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Robert Henaff / agriculture.gouv.fr

10 mai 2015 Info +

La diversification des cultures : comment la promouvoir ?

Jean-Marc Meynard, Aude Charlier, François Charrier, M’hand Fares, Marianne Le Bail, Marie-Benoît Magrini et Antoine Messéan [1] [2] [3] [4] [5]

Résumé

Dans le dernier demi-siècle, les territoires et les exploitations agricoles se sont de plus en plus spécialisés. Or, on sait aujourd’hui qu’une diversification des cultures serait nécessaire pour réduire l’usage des intrants (pesticides, engrais azotés, eau d’irrigation) et les nuisances environnementales associées. Cet article tente de mettre au jour les freins à la diversification des cultures, qui se manifestent à différents niveaux des filières agro-industrielles, afin de dégager des pistes d’action pour les politiques publiques. Nous mettons en évidence un verrouillage technologique autour des espèces dominantes, qui bloque ou tout au moins handicape fortement le développement des espèces mineures. Ce verrouillage est caractérisé par un grand nombre de freins interconnectés, depuis la disponibilité de variétés améliorées et de méthodes de protection phytosanitaire, la rareté des références quantifiées sur les successions incluant ces cultures, la difficulté des apprentissages à acquérir, jusqu’aux contraintes logistiques au niveau de la collecte et aux difficultés de coordination au niveau des filières émergentes, dont les acteurs se connaissent souvent mal. Le verrouillage technologique autour des grandes espèces n’est cependant pas une fatalité. L’article dégage une série de leviers d’action mobilisables pour inciter les acteurs à insérer, dans leur système productif, une plus grande diversité d’espèces cultivées. Il adresse un ensemble de recommandations aux pouvoirs publics en matière de politique agricole, d’orientation de la recherche et d’appareil statistique.

Mots clés

Diversification des cultures, filière, coordination, verrouillage, transition, R&D, assolement, rendement, pois protéagineux, lin oléagineux, chanvre, légumineuses

Le texte ci-après ne représente pas nécessairement les positions officielles du ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt. Il n’engage que ses auteurs.

Introduction

Depuis une cinquantaine d’années, l’agriculture française connaît un mouvement continu et profond de spécialisation : spécialisation des exploitations agricoles vers les productions animale ou végétale, avec un recul constant des fermes de polyculture-élevage ; spécialisation des territoires, avec une séparation géographique des zones de culture et d’élevage (Mignolet et al., 2012). Les céréales comme le blé tendre, l’orge, le blé dur et le maïs occupent de nos jours environ 60 %des terres arables de l’hexagone. Dans beaucoup de fermes, le nombre d’espèces cultivées diminue, les rotations sont de plus en plus courtes et, avec l’accroissement concomitant de la taille des parcelles, les mosaïques paysagères voient leur hétérogénéité se réduire. Dans le Bassin parisien, par exemple, comme le montrent Schott et al. (2010), la région centrale se « céréalise », avec une augmentation des surfaces en blé tendre et en colza, particulièrement spectaculaire durant les décennies 1970 à 1990, alors que l’élevage se concentre à la périphérie (Normandie, Thiérache, Champagne humide, etc.), qui voit exploser dans la même période les surfaces en maïs fourrage. Les prairies permanentes et la luzerne diminuent partout, en relation avec la régression des systèmes mixtes et l’intensification de l’élevage. Les rotations courtes (colza-blé-orge, colza-blé-blé, colza-blé, etc.) sont de plus en plus fréquentes. Au niveau de la France entière, les monocultures (maïs, blé principalement) couvrent aujourd’hui 8 %des surfaces assolées (Fuzeau et al., 2012). Sur 17 %des surfaces en blé tendre, le blé suit un autre blé, et dans certaines petites régions, cette proportion peut dépasser 30 % .

Les conséquences de cette spécialisation croissante des territoires, des exploitations et des rotations sont bien connues : tensions sur l’eau dans les régions où s’étendent les monocultures de maïs irrigué (Amigues et al., 2006) ; augmentation de la consommation d’énergie fossile et des émissions de gaz à effet de serre liée à la quasi-disparition des légumineuses des assolements (Nemecek, 2008, Jeuffroy et al., 2013, Pellerin et al., 2013) ; accroissement de l’usage des pesticides lié à une plus grande difficulté à maîtriser adventices et parasites dans des rotations courtes et des assolements peu variés (Butault et al., 2010, Schmitt et al., 2010) ; réduction de la biodiversité liée à l’homogénéisation des habitats et à l’emploi fréquent de pesticides (Le Roux et al., 2008 ; Vasseur et al., 2013). Schott et al. (2010) montrent ainsi que, dans le Bassin parisien, les petites régions où la spécialisation est la plus poussée sont aussi celles où les agriculteurs emploient le plus d’herbicides sur colza (effet du retour fréquent de la culture sur les mêmes parcelles, induisant une difficulté à contrôler géranium et crucifères), et le plus d’insecticides (effet des ressources trophiques abondantes sur l’accroissement des populations de phytophages spécialisés). Enfin, il est maintenant acquis que le raccourcissement des rotations participe également au plafonnement des rendements des grandes cultures (Jeuffroy et al., 2012 ; Benett, 2012 ; Pinochet et Noël, 2012).

Une re-diversification des cultures, au niveau des parcelles comme des territoires, apparaît donc comme un levier majeur pour « produire autrement », afin d’accroître la durabilité des systèmes de production agricoles, en favorisant la réduction des intrants (eau, pesticides, engrais azoté), l’accroissement de l’hétérogénéité des mosaïques d’habitats ou la réduction des pertes de rendement liées aux retours trop fréquents des mêmes espèces. Or, la spécialisation est une tendance lourde, un processus ancien et bien installé, favorisé aussi bien par les marchés (par exemple, les prix relativement élevés du blé et du colza par rapport à d’autres productions) que par les politiques publiques passées (soutien des prix des céréales, ouverture du débouché biocarburants) (Chatellier et Dupraz, 2012, Pouch, 2014). Les économies d’agglomération ont favorisé et favorisent encore la spécialisation régionale (Chatellier et Gaigné, 2012), de même que l’accroissement des échanges internationaux induit une spécialisation de chaque région du monde sur les productions pour lesquelles elle a un avantage comparatif.

Pour autant, la poursuite de ce mouvement de spécialisation est-elle inéluctable ? Peut-on susciter une inversion de tendance, une re-diversification ? Pour alimenter leur réflexion sur cette question, les ministères en charge de l’Agriculture et de l’Écologie ont passé en 2011 commande à l’Inra d’une étude sur les freins et leviers à la diversification des cultures, visant à identifier « les principaux freins à la diversification des espèces cultivées, au niveau des acteurs des filières agro-industrielles et des exploitants agricoles, et les leviers d’action mobilisables pour inciter ces acteurs à insérer, dans leur système productif, une plus grande diversité d’espèces cultivées » [6]. L’enjeu est bien d’envisager la diversification dans le cadre d’un système agricole et agro-industriel compétitif. L’étude a associé économistes et agronomes, en vue d’analyser les dynamiques socio-économiques, les stratégies des agriculteurs et des industriels d’amont et d’aval, ainsi que les innovations agronomiques, technologiques ou organisationnelles qui conditionnent le développement de cultures de diversification. De fait, la question d’une diversification de la sole cultivée renvoie plus largement aux choix de structuration des filières agricoles et agro-industrielles, ainsi qu’aux modes d’alimentation et à la politique de qualité des produits.

Dans cet article, nous revenons sur les principaux résultats de cette étude (Meynard et al., 2013, 2014). Après une présentation de son périmètre (1), les différents freins au développement des filières de diversification sont passés en revue (2), de façon à dégager des leviers de « déverrouillage » et proposer des pistes d’action (3).

1. Matériels et méthodes

L’étude a été réalisée en deux étapes, l’une d’analyse transversale des freins à la diversification sur douze cultures et les filières associées, l’autre d’analyse poussée du fonctionnement du système productif de trois cas contrastés de cultures-filières, orientée vers l’identification des leviers à la diversification.

1.1. Panorama des freins au développement des cultures de diversification

Les douze cultures étudiées (dont la liste est donnée sur le tableau 1) ont été choisies sur la base de trois critères majeurs : espèces connues au plan agronomique et cultivables en France ; produits ayant un débouché, actuellement pourvu par des produits d’autres cultures ou par des importations ; surfaces cultivées suivant des dynamiques contrastées (en croissance, en recul ou fluctuantes) à des niveaux de surface variés (de 5 000 à plus de 100 000 ha en France - tableau 1). A contrario, ces espèces n’ont pas été choisies parce qu’elles nous paraissaient de meilleures candidates que d’autres sous le prisme de la diversification. Il n’entrait pas dans nos objectifs de définir quelles cultures de diversification l’agriculture française doit développer, ni de démontrer les vertus de telle espèce particulière.

[7]

Nous avons identifié les freins au développement de ces douze cultures en nous appuyant sur deux sources complémentaires : 1) l’analyse de la bibliographie scientifique et technique portant sur ces cultures ; 2) des entretiens avec une trentaine d’experts du monde de l’agriculture, appartenant à des organismes variés (au moins trois experts par culture). La bibliographie scientifique sur la diversification reste très limitée. Les articles techniques sont plus nombreux, mais le plus souvent centrés sur une partie seulement de la filière (semences, production, ou transformation). C’est pourquoi l’appel à la vision globale des experts a été très utile, les articles [8] permettant de recouper les informations et analyses des experts. Signalons cependant que vu le nombre limité de sources mobilisées, aucune étude de cas ne prétend à l’exhaustivité : seul prend sens le panorama offert par les douze cas. Enfin, une étude bibliométrique des principales sources d’information nationales sur les techniques [9] de production (presse agricole nationale 2009-2012 et sites internet des Instituts techniques4) a été réalisée, pour analyser la nature du conseil et le contenu des références diffusés vers les agriculteurs, concernant les effets des cultures de diversification sur les cultures suivantes.

1.2. Analyse approfondie de l’ensemble du processus productif pour trois cultures

Pour le lin oléagineux, le pois protéagineux et le chanvre, une étude plus approfondie, basée sur des entretiens avec l’ensemble des acteurs des filières, a été conduite. Ces trois cultures ont été choisies parmi les douze, pour le contraste entre les modes de coordination des acteurs de la filière :

  • pour le pois à destination de l’alimentation animale, la coordination passe essentiellement par le marché ;
  • pour le lin, une utilisation en alimentation animale se développe, sous une forme extrêmement structurée par des contrats pluriannuels ;
  • enfin, le chanvre nous offre un cas intermédiaire entre marché et contrats.

L’objectif de cette étude approfondie est de comprendre l’influence de la structure organisationnelle des filières sur la dynamique d’évolution des surfaces des différentes cultures de diversification. L’analyse, conduite de l’aval à l’amont des filières, aborde l’ensemble du processus productif (agro-industriel et agricole), les coordinations entre les acteurs (contrats, spécifications, prix et structure des marchés) et leur capacité à générer suffisamment d’incitations pour que la culture et ses produits soient adoptés par les différents acteurs. Dans ce but, les données recueillies sur ces 3 cas lors du panorama ont été complétées par des enquêtes semi-directives auprès d’agriculteurs et d’acteurs de la filière dans des régions où celle-ci est représentée (tableau 2). Nous avons questionné les agriculteurs sur l’évolution de leurs assolements, les raisons pour lesquelles ils ont adopté, puis conservé ou abandonné des cultures de diversification, les contraintes et difficultés qu’ils ont rencontrées, et leurs relations avec l’aval de la filière. Les firmes ont été interrogées sur les dimensions stratégique, logistique et économique de l’organisation de leurs activités touchant aux produits de la diversification, et sur leur coordination avec les autres acteurs.

2. Les freins au développement des filières de diversification

Les freins à la diversification ont été identifiés de l’amont à l’aval des filières à partir des douze cas. Nous aborderons successivement : 1) les secteurs des semences et de l’agrofourniture, où sont conçues et évaluées des innovations diffusées vers les producteurs ; 2) la production agricole, c’est-à-dire les exploitations qui sont susceptibles d’introduire les espèces de diversification dans leurs assolements et rotations ; 3) le secteur de la collecte et du stockage des récoltes (opérateurs privés et coopératives) qui, en assurant le flux des matières premières à la fois dans l’espace (organisation géographique de la collecte et du stockage) et dans le temps (planification des transferts depuis l’amont vers l’aval, stabilisation et homogénéisation des lots), joue un rôle majeur dans la structuration de l’offre et sa capacité à répondre aux demandes de l’aval, et dans les choix d’assolement des agriculteurs ; 4) les secteurs de la transformation et de la distribution, qui jouent un rôle clé dans la structuration de la filière et dans l’accès au marché (aux consommateurs).

2.1. L’amont de la production : semences et phytosanitaires

D’une manière générale, les cultures qui couvrent de faibles surfaces constituent de petits marchés, tant pour les sélectionneurs que pour l’industrie phytosanitaire, ce qui justifie de leur part un investissement beaucoup moins important que sur les espèces majeures. La logique des « rendements croissants à l’adoption » prime dans leurs choix d’investissements.

Le progrès génétique est donc moins rapide sur les espèces de diversification que sur leurs concurrentes installées dans les assolements. On attribue en partie à ce phénomène le décrochage des rendements du pois par rapport au blé (Voisin et al., 2014) ou les difficultés de décollage du lupin ou du pois chiche. Pour ce dernier, par exemple, les variétés disponibles en France sont insuffisamment résistantes à l’anthracnose. Du fait du désinvestissement de l’Inra de la sélection des espèces mineures (de plus de cent espèces sélectionnées en 1975 à moins de dix en 2005, selon Bonneuil et Thomas, 2009), la recherche publique ne contrebalance plus la concentration de la sélection privée sur les espèces dominantes.

Cependant, certains acteurs régionaux, ayant inscrit la diversification dans leur stratégie de développement, ont choisi de développer des activités de sélection. Ainsi les coopératives Arterris sur le pois chiche, ou Terrena (par sa filiale Jouffray-Drillaud) sur le lupin. Pour réactiver la sélection d’espèces orphelines, des consortiums entre acteurs publics et privés se sont créés. Ainsi pour la moutarde, la sélection de variétés condiment pour une filière de niche en Bourgogne, est réalisée à AgroSup Dijon (école d’ingénieurs du secteur public) avec l’appui du Cetiom et du fabriquant de moutarde Maille. Elle est aujourd’hui soutenue par le débouché des cultures intermédiaires « pièges à nitrates » (CIPAN), plus récent et qui concerne une aire et un marché beaucoup plus étendus. De même, le développement de la sélection du lin oléagineux repose sur un partenariat entre l’Inra et le GIE LINEA, dont les variétés (inscrites en co-obtention) représentent aujourd’hui 90 %du marché des semences de lin d’hiver. Cependant, pour des cultures destinées à des filières qui ne sont pas encore stabilisées, la fixation des objectifs de sélection peut être complexe. Il en est ainsi du chanvre, pour lequel la diversité des débouchés, pour les fibres et les graines, multiplie les critères de sélection (teneur en fibre, qualité de la fibre, teneur en huile, rendement) sur lesquels l’interprofession semble avoir des difficultés à définir des priorités.

Pour la plupart des cultures de diversification, peu de produits phytosanitaires sont homologués . La procédure d’homologation est relativement lourde et donc coûteuse, ce qui dissuade les entreprises phytosanitaires d’investir sur des cultures mineures, où les possibilités d’amortissement de tels coûts sont limitées. Par exemple, sur le pois chiche, un seul herbicide est actuellement autorisé, et aucun produit efficace n’est disponible contre l’anthracnose. Aucun herbicide n’a été homologué sur lupin, alors qu’il existe des produits efficaces (homologués sur céréales). Ainsi, paradoxalement, alors que la diversification serait utile pour réduire l’usage des produits phytosanitaires, un frein à celle-ci est le manque de produits utilisables sur les cultures de diversification !

2.2. La production agricole

Au niveau des exploitations agricoles, la diversification bute sur des contraintes liées au milieu (sols ou climat peu adaptés à certaines cultures), à l’absence de ressources en eau d’irrigation, au travail (si la culture de diversification nécessite du travail pendant une période déjà saturée) ou de matériel (équipement non disponible dans l’exploitation ou chez un prestataire proche). Nous ne nous étendrons pas sur ces freins, qui diffèrent d’une petite région à une autre, voire d’une exploitation à l’autre, qui peuvent empêcher sans remède l’adoption de telle ou telle culture, mais ne constituent pas des explications générales aux difficultés de la diversification. Dans une exploitation donnée, si l’agriculteur veut diversifier son assolement, il trouvera toujours (ou presque) une ou plusieurs cultures compatibles avec ses sols, son climat, son calendrier de travail et l’équipement mobilisable. Il nous faut donc chercher ailleurs les freins génériques à la diversification. Les enquêtes ont permis d’en identifier deux : la difficulté des apprentissages, et le manque de références technico-économiques sur les bénéfices de l’insertion de ces cultures dans les successions.

Quand un agriculteur introduit une nouvelle culture, il faut d’abord qu’il apprenne à la cultiver. Par exemple, l’implantation du lupin ou du lin requiert un travail du sol particulier. La récolte est, pour beaucoup de cultures, l’opération la plus délicate. Il en est ainsi du pois protéagineux, difficile à moissonner quand les plantes sont couchées, ce qui arrive encore malgré les améliorations variétales dans la tenue de tige. De même, la double récolte des graines et des pailles du lin oléagineux et du chanvre est complexe à maîtriser. Ces particularités techniques sont des sources d’appréhension pour les agriculteurs, qui peuvent freiner l’adoption de ces cultures, mais elles ne sont plus problématiques une fois la phase d’apprentissage franchie.

Cependant, cette phase d’apprentissage nécessite du temps, souvent plusieurs campagnes, pendant lesquelles les risques de remise en question de la nouvelle culture sont élevés (Meynard, 2010). Il n’est pas rare en effet que celle-ci obtienne, dans les premières années, un rendement très inférieur aux attentes de l’agriculteur. S’il peut en identifier la cause, celui-ci ne va pas forcément condamner la nouvelle culture : il peut tenter d’adapter son itinéraire technique l’année suivante pour limiter les risques de récidive. Mais, comme les espèces de diversification sont mal connues des techniciens eux-mêmes, la faible performance reste souvent inexpliquée. Ce manque de clarté sur l’origine des fluctuations du rendement constitue sans équivoque un frein au développement des cultures mineures. Les enquêtes auprès des agriculteurs montrent qu’une culture récemment introduite ne supporte pas plus d’un ou deux échecs non expliqués. Le rejet qui les suit peut ensuite durer plusieurs années.

Si, d’un point de vue général, les intérêts agronomiques de la diversification ont maintes fois été démontrés, les références précises sur ce que l’on peut attendre, dans une région donnée, de l’introduction d’une culture donnée dans une rotation donnée sont, au dire des agriculteurs enquêtés, trop rares (confirmé par Duc et al., 2010, pour les protéagineux). Ceux-ci soulignent que les conseils qui leur sont délivrés, sur les cultures de diversification, par les coopératives ou les chambres d’agriculture, ne concernent souvent que la conduite de celle-ci, et rarement l’adaptation de la conduite de la culture suivante. Les organismes de comptabilité agricole (CER et privés), ajoutent-ils, font des calculs de marge par culture, rarement par couple de cultures successives ou par rotation. Les CER des régions concernées, interrogés sur ce point, confirment, en indiquant que les données de comptabilité annuelle ne permettent pas de faire de tels calculs pluriannuels. Ainsi, alors que la fluctuation des prix pousse à des raisonnements d’assolement court-termistes, les agriculteurs et leurs prescripteurs tendent ainsi à perdre de vue l’intérêt d’un raisonnement au niveau des rotations, qui serait favorable à la diversification.

L’analyse bibliométrique de la presse technique permet de préciser les résultats des enquêtes. Sur les 220 documents analysés, traitant des cultures de diversification, 100 abordent leurs effets sur la culture suivante, dits « effets précédent ». Ceux-ci concernent le plus souvent la maîtrise des bio-agresseurs (dans 40 %des références) et la fertilisation azotée du suivant (37 % ), et moins fréquemment la structure du sol (23 % ). Cependant, ces effets ne sont pas toujours quantifiés : si la réduction de fertilisation azotée permise par un précédent « légumineuse » est le plus souvent précisée, la réduction d’utilisation d’herbicides permise par l’allongement de la rotation l’est rarement. L’intérêt économique des cultures de diversification à l’échelle de la rotation n’est quantifié que dans 17 références, portant essentiellement sur le pois, la luzerne et le lin oléagineux. Il est frappant que dans ces dix-sept documents, la diversification apparaisse généralement comme économiquement intéressante, par rapport à des rotations simplifiées courantes, alors que dans les documents (au nombre de vingt) où les résultats économiques sont comparés au niveau annuel (marge de la culture de diversification comparée à celle d’une culture dominante, généralement le blé), la diversification n’apparaît intéressante que dans un quart des cas.

L’Unip a par exemple montré que l’introduction du pois protéagineux dans les successions céréalières courtes permettait d’améliorer la rentabilité à l’échelle de la rotation, malgré la plus faible marge brute annuelle du pois (Schneider et al., 2010 ; Carrouée et al., 2012). Cette amélioration, due à l’augmentation du rendement du blé suivant (par rapport à un blé sur blé), pourrait être encore plus forte si les agriculteurs ajustaient leurs niveaux d’intrants, et notamment la fertilisation azotée, conformément aux recommandations techniques disponibles. Ne pas disposer de références équivalentes pour l’ensemble des cultures de diversification, dans les différentes zones agro-climatiques, constitue à n’en pas douter un frein à la diversification.

2.3. La collecte et le stockage des produits agricoles

La majorité des collecteurs de produits de grande culture ont adopté des stratégies fondées sur des économies d’échelle, qui génèrent divers freins au développement des cultures de diversification, liés notamment à la faiblesse des collectes et à leurs coûts logistiques. En effet, commercialiser des volumes importants pour un petit nombre d’espèces confère un plus grand pouvoir de marché que commercialiser des volumes faibles pour un grand nombre d’espèces – ce qui oriente les collecteurs vers une forte spécialisation. Ainsi, par exemple, la collecte du groupe Dijon Céréales, qui regroupe douze coopératives, est (en 2012) principalement tournée vers les céréales (80 % ) et le colza (10 % ). De plus, des opérateurs économiques, comme l’union de coopératives InVivo, ont organisé de véritables services pour l’analyse des marchés, à destination des coopératives. Ces services concernent principalement les marchés des cultures dominantes, sur lesquelles la France s’est spécialisée. Les cultures de diversification ne bénéficient pas de tels réseaux et compétences.

Au niveau de la collecte, les stratégies de diminution des coûts de logistique, qui vont de pair avec les stratégies d’économie d’échelle, placent là encore les cultures de diversification en situation de concurrence défavorable, par rapport aux cultures dominantes. Il existe plusieurs freins « logistiques » au développement des cultures de diversification.

2.3.1. Les difficultés de la collecte de récoltes éparses sur le territoire

En dehors d’initiatives localisées de groupements d’agriculteurs (pois chiche, chanvre dans certaines régions), les cultures de diversification sont en général géographiquement dispersées au sein des bassins de collecte. Ainsi, dans le bassin de production de chanvre du Sud-Ouest, certains producteurs de pailles sont situés à plusieurs dizaines de kilomètres de l’usine de défibrage. Les distances importantes entre parcelles induisent des coûts logistiques élevés par rapport au tonnage collecté. Lorsque les organismes de collecte-stockage mettent en place une stratégie spécifique de diversification, ils tentent de pallier, moyennant des coûts supplémentaires, ces difficultés logistiques. Une option consiste à inciter, à travers une prime à la tonne, les agriculteurs à livrer eux-mêmes leur production au silo (stratégie mise en œuvre par la coopérative Vegam sur le lin oléagineux). Une autre option consiste à tenter de regrouper géographiquement la production, en mobilisant des agriculteurs dont les exploitations sont relativement proches d’un silo dédié (stratégie développée par la Cavac pour la paille de chanvre).

2.3.2. La concurrence des productions dans l’organisation du travail et la disponibilité des silos

La période de récolte des cultures de diversification chevauche parfois celle des cultures dominantes, ce qui peut s’avérer problématique, au niveau non seulement de l’organisation du travail sur l’exploitation agricole mais aussi de la collecte. Ainsi dans le Sud-Ouest, le sorgho se récolte à peu près en même temps que le maïs, qui est en général prioritaire pour l’allocation des ressources de transport et de stockage. La disponibilité en silos est souvent mentionnée comme un frein majeur au développement des cultures de diversification. En effet, la spécialisation des systèmes agricoles a conduit à investir dans des silos de grande taille, qui ne peuvent être rentabilisés avec de faibles volumes. Vouloir libérer les silos pour les cultures dominantes, prioritaires, peut conduire les organismes de collecte à « se débarrasser » rapidement des petits lots issus de cultures mineures, qui ne seront alors pas vendus au meilleur prix… Les problèmes de logistique semblent également à l’origine de mélanges de lots de qualité différente, stockés par commodité dans un même silo : mélange d’espèces de protéagineux, mélange de variétés de féveroles sélectionnées pour l’absence de facteurs antinutritionnels (FAN) avec des féveroles standards. De tels mélanges rendent difficile toute démarche de qualité pour ces productions.

2.4. La transformation industrielle et la distribution

Agriculteurs et coopératives structurent de plus en plus leurs offres en fonction des exigences de l’aval des filières. Le secteur de la distribution, en mettant les industriels en concurrence, incite ces acteurs à minimiser les coûts d’achat de matières premières et à standardiser leurs processus de transformation. Parmi les douze cultures étudiées, la moitié sont ou peuvent être utilisées pour la fabrication d’aliments du bétail, qui constituera le support principal de l’analyse dans cette section.

La formulation, procédé visant à la conception d’une recette alimentaire et/ou d’aliments composés, suit une logique reposant sur la substituabilité des matières premières agricoles par rapport à leur composition nutritionnelle, notamment la valeur énergétique et leur teneur en protéine (« nutriments anonymes »). Cette logique met donc directement en concurrence les différentes matières premières. Ainsi, les protéagineux sont confrontés à la concurrence très sévère du couple tourteau de soja – blé, particulièrement en production de porcs et de volailles, où le pois, par exemple, serait pourtant utilisable en grande quantité [10]. À cette concurrence déjà difficile pour les protéagineux, s’ajoute celle des coproduits de l’industrie des agro-carburants, tourteau de colza et drèches de blé notamment. En définitive, une matière première est incorporée dans un aliment composé si son prix d’achat est inférieur ou égal au « prix d’intérêt », qui est le prix maximal à payer pour l’optimisation de la formulation. Cependant, le prix d’intérêt d’une matière première dépend non seulement des cours des matières premières, mais également de son accessibilité, c’est-à-dire des coûts liés à son acheminement et de la régularité de l’approvisionnement. Une offre limitée en volume, dispersée sur le territoire et/ou éloignée des utilisateurs [11], pénalise les espèces de diversification. Pour les industriels, il est souvent plus intéressant de s’approvisionner sur le marché international, en matières premières toujours disponibles dans les silos européens, avec des compositions constantes et à des coûts réduits par des stratégies de volumes, que de tenter de mettre en place des approvisionnements locaux. L’incertitude sur l’approvisionnement des usines aurait ainsi freiné l’initiative de la coopérative Terrena pour monter une filière lupin dédiée à l’alimentation des ovins, et celle du Pôle de Compétivité « Céréales Vallée » pour développer du triticale destiné aux élevages sous label « Volailles d’Auvergne ».

Dans ce contexte de marché des matières premières fortement concurrentiel, on peut imaginer que les signes de qualité favorisent une segmentation favorable aux cultures de diversification. Ainsi, l’étiquetage des produits non-OGM a permis à plusieurs filières de diversifier leur offre. De telles stratégies de différenciation ont un temps été vues comme un moyen de réouvrir le marché de l’alimentation animale aux protéagineux d’origine communautaire. Mais finalement les acteurs se sont orientés vers la mise en place à l’étranger de filières d’approvisionnement tracées : la valeur ajoutée dégagée par la vente de produits « non-OGM » a permis de financer la traçabilité d’un approvisionnement en tourteau de soja non-OGM venu du Brésil, plutôt que de remonter des filières de production de protéagineux en France. D’une manière générale, pour devenir des leviers du développement de cultures de diversification, les cahiers des charges sont parfois insuffisamment restrictifs (cahiers des charges privés interdisant seulement certaines matières premières, par exemple celles issues d’organismes génétiquement modifiés), où à l’inverse trop restrictifs. Ainsi, la production de poulets Label Rouge exigeait, il y a encore peu de temps, une alimentation composée à 70 %de céréales, ce qui laissait peu de place à l’aliment protéique, et favorisait donc les matières premières à forte concentration protéique, comme le tourteau de soja. Si la réglementation du label a récemment évolué pour imposer 5 %de protéagineux dans les rations, les industriels semblent avoir aujourd’hui des difficultés à s’approvisionner en protéagineux pour satisfaire cette règle. Un autre exemple est l’exigence qualité du Label jaune portant sur la couleur des jaunes d’œuf : une alimentation à base de sorgho ne permettant pas d’obtenir la pigmentation requise sans recours à des pigments de synthèse, l’alimentation au maïs est privilégiée par les formulateurs de cette filière.

Dans ce contexte globalement défavorable, l’approvisionnement des industriels de l’alimentation animale en matières premières issues de cultures de diversification repose donc davantage sur des opportunités de marché (un volume de pois en déstockage dans un silo) que sur une stratégie d’approvisionnement sur le long terme. Cependant, certaines voient malgré tout leur usage se développer, grâce à des qualités spécifiques, mises en avant dans les filières qui les valorisent. Par exemple, les propriétés nutritionnelles parti-culières des graines de lin oléagineux, notamment le rapport « oméga 3/oméga 6 » de leurs lipides, ont incité des acteurs à monter une filière de produits alimentaires (œufs, lait, viande, etc.) riches en oméga 3, basée sur une alimentation des animaux domestiques à base de lin : la filière Bleu-Blanc-Cœur (BBC). Pour favoriser leur digestibilité par les animaux, les graines de lin subissent un traitement de cuisson-extrusion [12]. Le coût relativement élevé de ce traitement rend difficile sa valorisation pour des débouchés classiques en alimentation animale ; cette valorisation est plus facile dans une filière de qualité type Bleu-Blanc-Cœur, grâce à la valeur ajoutée tirée de la vente des produits. Le lin oléagineux, à la différence du pois protéagineux, devient de la sorte une matière première particulière, valorisée par un débouché spécifique. L’industriel Valorex, inscrit dans une filière qualité tracée, cherche à s’affranchir de la production non tracée disponible sur le marché mondial et à sécuriser un approvisionnement local en lin oléagineux en développant une stratégie de contractualisation vers l’amont pour inciter les agriculteurs à cultiver du lin. La participation des liniculteurs à la définition du cahier des charges a certainement été un facteur de réussite de cette contractualisation : devant les difficultés rencontrées par les producteurs pour satisfaire les contraintes imposées (sur la teneur en acides gras oméga 3 notamment) ce cahier des charges a dû être renégocié plusieurs fois, avec l’appui d’institutions publiques (DRAAF), parapubliques (Chambres d’agriculture) et privées (organismes de sélection, négociants).

Ainsi, la reconnaissance, par le marché et le consommateur, d’une qualité particulière de leurs produits, générant un supplément de valeur ajoutée, apparaît indispensable pour le développement des cultures de diversification. Les douze cas étudiés en offrent d’autres exemples au-delà de l’alimentation du bétail. En Bourgogne, les industriels de la moutarde sont parvenus, en travaillant avec des coopératives, et en profitant de l’essor des variétés utilisées comme CIPAN, à créer un approvisionnement local en graines de moutarde. Celui-ci contribue à l’image de spécialité régionale de la moutarde de Dijon, bien qu’il reste marginal par rapport aux importations. A contrario, dans le secteur du bâtiment, les panneaux d’isolation de chanvre ou de lin fibre, dont les coûts de production sont relativement élevés, percent difficilement dans un marché dominé par les panneaux de laine de verre. En effet, les normes dont s’est dotée la filière n’évaluent la qualité du produit que sur la base de son pouvoir isolant. L’absence d’affichage clair, à destination du consommateur, des externa-lités environnementales positives des panneaux de chanvre par rapport à la laine de verre (au niveau du recyclage en particulier), est défavorable au développement de la culture du chanvre.

2.5. La coordination des acteurs, de l’aval à l’amont

En définitive, l’analyse des douze cas, appuyée par l’étude approfondie de trois cas types, conduit à mettre en évidence trois grands modes de coordination entre les acteurs d’une filière. Cette diversité des modes de coordination reflète la complexité des relations entre le sous-système d’information et le sous-système opérant d’une filière de production (Ménard, 2012).

  • Organisations de type marché spot : la plupart des filières de l’alimentation animale dans lesquelles sont valorisées les espèces de diversification (à l’exception du lin) relèvent de ce type d’organisation. Ces filières sont caractérisées 1) par une concurrence forte entre des matières premières aisément substituables dans les pratiques de formulation qui visent une standardisation des débouchés ; 2) par une faiblesse des liens de coordination entre l’amont et l’aval, que ce soit en termes de mode de transaction (peu de contrats) ou d’échange d’information (connaissances, références techniques, etc.). Les freins au développement du pois, de la féverole, du lupin et du sorgho trouvent ainsi leur origine dans ce mode d’organisation du marché, qui les met en concurrence avec les matières premières dominantes (tourteau de soja, blé, maïs, tourteau de colza), déjà installées sur les marchés. Il en résulte que les incitations à insérer ces cultures dans les assolements sont difficilement efficaces.
  • Organisations contractualisées : ces filières sont caractérisées par une coordination verticale forte, à travers la mise en place de contrats de production et de cahiers des charges pour le développement d’une production tracée, souvent fondée sur une recherche de qualité spécifique de la matière première. Pour s’assurer un approvisionnement régulier, les industriels contractualisent avec les organismes de collecte, qui à leur tour contractualisent avec les agriculteurs. Ces derniers sont donc incités à intégrer ces cultures dans leurs rotations par les acteurs de l’aval (industriels ou coopératives), par des contrats de production dont les prix sont indexés sur les cultures dominantes dans l’assolement, mais également par un dispositif d’accompagnement et de formation. Le risque est partagé entre l’agriculteur et les autres structures de la filière. On retrouve ce mode d’organisation dans les cas du lin oléagineux pour la filière BBC en alimentation animale et de plusieurs filières en alimentation humaine (moutarde-condiment, féverole à destination du marché égyptien, lupin, pois chiche). Ces filières sont également structurées par des réseaux d’acteurs rassemblant les différents maillons de la filière, qui facilitent les échanges d’information entre les différents opérateurs, mais également entre les opérateurs et les structures de Recherche & Développement.
  • Organisations « hybrides » (ou partiellement contractualisées) : ces filières présentent généralement une intégration verticale relativement forte en amont (contrats de production entre les organismes de collecte stockage et les agriculteurs), mais les produits en aval sont soumis à une concurrence importante sur un marché plus indifférencié face à d’autres produits ayant des propriétés similaires (par exemple, les panneaux de chanvre sont concurrencés par la laine de verre, les vêtements en lin par ceux en coton, les bouchons de luzerne par les tourteaux de soja…). Les industriels, qui sont souvent structurellement liés à des coopératives cherchant à diversifier leurs débouchés, recherchent spécifiquement à s’approvisionner en une matière première et souhaitent donc inciter les agriculteurs à intégrer ces cultures dans leurs assolements. Mais la concurrence rencontrée en aval ne leur permet pas de dégager suffisamment de valeur ajoutée pour financer ces incitations et étendre ainsi leur bassin d’approvisionnement. Cette difficulté tient, en partie au moins, à l’insuffisante perception, par les consommateurs, de la différenciation des produits.

L’insuffisance de coordination entre les acteurs, de l’aval à l’amont, apparaît donc comme une cause majeure de l’échec de construction de filières de diversification. Les organisations de type « spot », marquées par des difficultés de circulation verticale de l’information et des incitations, sont peu favorables à la diversification. À l’inverse, les dynamiques de diversification qui réussissent sont liées à des organisations contractualisées, souvent initiées au niveau local, où les coordinations fortes sont plus faciles à construire. Parfois la filière reste limitée à l’échelle du bassin de production local (pois chiche, moutarde), parfois elle s’étend à d’autres régions (lin, chanvre). Dans les cas analysés, les coopératives ont souvent joué un rôle important dans la construction de ces coordinations, grâce à la qualité de leurs réseaux avec l’aval des filières et à leur relation privilégiée avec les agriculteurs, qui sont leurs sociétaires.

2.6. Un verrouillage technologique autour des grandes espèces

On peut résumer ce panorama des freins à la diversification des cultures en disant que les « petites espèces » ont d’autant moins de chances de se développer que tous les acteurs (ou presque) ont organisé leur stratégie autour des « grandes espèces ». Ils ont de très bonnes raisons de l’avoir fait : pour optimiser leur organisation ou leur logistique, pour répondre à la demande ou à l’offre de leurs partenaires économiques, pour réaliser des économies d’échelle ou pour réduire des coûts de transaction, etc. C’est tout un ensemble de mécanismes d’auto-renforcement interconnectés qui confortent la position des espèces dominantes :

- ces espèces sont bien connues, tant au plan agronomique que technologique ;

- des semences améliorées, des intrants spécifiques et du matériel pour les récolter sont proposés par les acteurs d’amont ;

- leur production est disponible pour les transformateurs intéressés, et conforme aux normes reconnues par les filières et les consommateurs (puisque ces normes ont été définies en fonction de leurs caractéristiques) ;

- les acteurs de leurs filières se connaissent bien et ont l’habitude de travailler ensemble.

A contrario, les espèces de diversification sont peu étudiées, peu sélectionnées, peu disponibles sur les marchés, leurs produits sont mal adaptés aux process industriels, pas toujours conformes aux normes dominantes, et les acteurs qui pourraient constituer des filières autour d’elles se connaissent mal. Tous ces mécanismes d’auto-renforcement sont interdépendants, systémiques : c’est tout le régime sociotechnique agricole qui est organisé autour des grandes espèces.

Le concept de « verrouillage technologique » (David, 1985) désigne de telles situations où une technologie (ici la spécialisation des systèmes de production sur les « grandes espèces ») est devenue un tel standard pour la société qu’il semble difficile d’en changer, même s’il existe d’autres technologies (ici la diversification) qui répondraient mieux aux attentes sociétales. Le concept de verrouillage a été développé dans la littérature scientifique sur des cas d’étude extérieurs à l’agriculture (secteurs de l’énergie, des transports), mais, depuis quelques années, différentes situations de verrouillage ont été décrites en agriculture, à l’étranger aussi bien qu’en France, pour comprendre les freins au changement des pratiques agricoles, notamment en vue de réduire l’usage des produits phytosanitaires (Cowan et Gunby, 1996 ; Vanloqueren et Baret, 2009 ; Labarthe, 2010 ; Meynard, 2010 ; Lamine, 2011 ; Fares et al., 2012).

Le verrouillage d’un régime sociotechnique conduit à un tri entre les innovations : celles qui sont totalement compatibles avec la technologie standard peuvent se développer, alors que celles qui remettent en cause soit cette technologie, soit les relations entre acteurs telles qu’elles se sont organisées autour du standard, ont beaucoup moins de chances de se développer (processus de dépendance au chemin, path dependence), même si les acteurs reconnaissent leur intérêt. Comme le souligne Arthur (1994) « une technologie n’est pas choisie parce qu’elle est la meilleure, elle devient la meilleure parce qu’elle a été choisie ». L’identification des leviers pour un « déverrouillage », c’est-à-dire une évolution du régime standard qui le rendra perméable à des innovations radicales intéressantes pour la société, nécessite de porter l’analyse au niveau du régime sociotechnique, c’est-à-dire des relations entre normes, procédures, réseaux d’acteurs, institutions et infrastructures qui gouvernent les choix technologiques.

3. Les leviers pour un déverrouillage. Recommandations aux pouvoirs publics

Un régime sociotechnique, même verrouillé, n’est généralement pas totalement homogène. Des niches d’innovation peuvent apparaître, créant un espace partiellement isolé du fonctionnement normal du régime, et notamment des processus qui sélectionnent les marchés et les innovations technologiques. Fonctionnant avec des normes et des règles institutionnelles différentes, les niches permettent des apprentissages et la construction de réseaux économiques capables de supporter des innovations radicales (Schot, 1998), comme les filières de diversification et les innovations agronomiques, technologiques et organisationnelles qui leur sont associées.

Pour constituer des ressources lors d’un déverrouillage, ces niches doivent se structurer afin de dépasser les effets d’autorenforcement du régime sociotechnique standard. Rip & Kemp (1998) et Geels (2002) proposent un modèle explicatif du processus de déverrouillage, organisé selon trois niveaux. Le « paysage sociotechnique » représente le niveau supérieur constitué par les institutions, les normes sociales, politiques et culturelles qui guident le « régime sociotechnique standard ». Celui-ci représente le niveau intermédiaire, où se produisent les interactions entre le paysage et les acteurs. Ces interactions génèrent les règles et procédures de régulation du régime sociotechnique dominant. Les « niches d’innovation » représentent le niveau inférieur où se créent et s’organisent les innovations radicales, le régime sociotechnique standard produisant, quant à lui, surtout des innovations incrémentales, améliorant la trajectoire technologique initialement choisie. L’isolement des niches permet ainsi une maturation des innovations radicales et, sous certaines conditions, leur diffusion. La théorie multiniveaux des transitions sociotechniques (Geels 2002, 2005) nous indique que les pouvoirs publics peuvent favoriser un déverrouillage, en conduisant des actions coordonnées portant à la fois sur :

- un changement du paysage, pour que celui-ci exerce une pression sur le régime standard, et le déstabilise. En d’autres termes, les pouvoirs publics peuvent changer les règles du jeu, en faisant évoluer institutions et normes réglementaires ;

- une consolidation des niches d’innovation, pour que celles-ci soient en mesure d’alimenter la construction d’un nouveau régime sociotechnique ou, plus précisément de s’hybrider avec l’ancien régime pour le transformer dans le sens souhaité.

Nous nous sommes appuyés sur ces éléments pour identifier les leviers susceptibles d’être mobilisés par les pouvoirs publics, en coordination avec les acteurs économiques, pour favoriser la diversification des cultures.

Une première conclusion s’impose : le verrouillage étant systémique, tout chemin vers la diversification reposera nécessairement sur la mobilisation simultanée et organisée de nombreux acteurs. Une telle conclusion renvoie à la nécessité d’une critique constructive des politiques publiques, généralement ciblées sur une seule catégorie d’acteurs. Ainsi, concernant les choix d’assolement des agriculteurs, les modèles sur lesquels se fondent les politiques agricoles reposent sur l’optimisation du revenu des agriculteurs eux-mêmes, les autres acteurs étant absents du modèle (alors que nous avons montré leur rôle décisif dans les choix d’assolement). Il est clair qu’une politique visant à la diversification qui ne contiendrait que des mesures adressées aux agriculteurs serait vouée à l’échec. La preuve en a été donnée en France en 2010-2011, quand les pouvoirs publics ont voulu développer les protéagineux, en proposant une prime aux agriculteurs. Cela a été efficace la première année (doublement des surfaces de protéagineux en 2010), mais les surfaces se sont ensuite à nouveau effondrées, parce que le reste de la filière n’a pas suivi. A contrario, à la fin des années 1970 et dans les années 1980, c’est une politique coordonnant garantie de prix élevés au niveau des producteurs, appui à la sélection et soutien aux fabricants d’aliments du bétail utilisant les protéagineux qui a abouti à l’expansion spectaculaire des surfaces en pois protéagineux (multiplication des surfaces par sept dans les années 1980). Dans la situation complexe décrite dans l’étude, et compte tenu des nombreuses interdépen- dances et sources de verrouillages qu’elle souligne, les séduisantes simplifications du type « un problème, une solution » ou « un objectif de politique publique, un instrument » n’ont plus cours.

Nous proposons donc aux pouvoirs publics de mobiliser simultanément et de manière coordonnée deux grandes catégories de leviers :

- favoriser la construction et la consolidation de filières autour des cultures de diversification, ce qui suppose d’aider à structurer les débouchés en favorisant une meilleure coordination des acteurs, et à soutenir le développement d’innovations génétiques, agronomiques et technologiques adaptées ;

- inciter le régime standard à se déverrouiller, à ouvrir des fenêtres d’opportunité, à la faveur desquelles certaines filières de diversification pourront se développer et dépasser le statut de niche, ce qui peut nécessiter de nouvelles normes et réglementations.

3.1. Favoriser la construction et la consolidation de filières autour des cultures de diversification

Même si elle doit, pour s’initier, être soutenue par les pouvoirs publics, la diversification ne perdurera sur le long terme que si l’action des pouvoirs publics est relayée par les mécanismes du marché. Favoriser des filières de diversification, c’est donc d’abord promouvoir de nouveaux débouchés. Mais comme ces nouvelles filières vont rencontrer des filières installées, elles ne pourront se développer que s’il y a un supplément de valeur ajoutée qui compense les handicaps liés à leur taille modeste ou à leur émergence récente. Cela suppose que les produits issus des cultures de diversification se différencient des autres par des qualités reconnues par le marché : qualité nutritionnelle [13], qualité technologique [14], qualité environnementale [15], etc.

Les pouvoirs publics peuvent favoriser de telles filières en renforçant le dispositif des mentions valorisantes (au premier rang desquelles les signes officiels de qualité) permettant de mieux positionner auprès du consommateur final les produits issus des cultures de diversification, en mettant en avant leur qualité spécifique. Par exemple, la mise en place d’un signe de qualité « agriculture-santé » pour des produits à forte qualité nutritionnelle (tels que les produits animaux riches en oméga 3 ou les légumes secs) favoriserait certaines cultures de diversification. Cependant, cette différenciation peut entraîner des coûts de transaction (collecte, stockage, traçabilité, etc.) susceptibles de réduire son intérêt économique, tout particulièrement en présence d’une offre de cultures de diversification éclatée sur le territoire. La coordination des acteurs le long de la filière peut permettre de réduire ces coûts de transaction, notamment au travers de stratégies de massification de l’offre [16] de produits issus de la diversification.

Cette coordination des acteurs est fondamentale. Les contrats apparaissent comme un outil de coordination à privilégier, pour plus de lisibilité et de cohésion des choix productifs de l’amont à l’aval, et une meilleure transmission de la valeur ajoutée et des connaissances entre les acteurs. Pour un agriculteur, par exemple, l’adoption d’une nouvelle culture implique des investissements spécifiques (en matériels, mais aussi en formation et connaissances nouvelles afin de maîtriser les itinéraires techniques). Pour inciter les agriculteurs à faire ces choix, il est crucial de leur garantir, sur la durée, un débouché et un accompagnement technique. La contractualisation pluriannuelle permet, d’une manière générale, d’engager les différents maillons de la filière dans la pérennité du processus qui est mis en place (Hart & Holmstrom, 1987, Fares, 2006) [17]. Cependant, le développement de telles coordinations et dynamiques contractuelles suppose que les acteurs négocient des cahiers des charges, des modes de fonctionnement de la filière, et une répartition de la plus-value satisfaisante pour tous.

Comment aider des acteurs très divers, qui ne se connaissent pas forcément – sélectionneurs, coopératives, transformateurs, distributeurs, organismes de recherche, instituts techniques, Chambres d’agriculture, agriculteurs –, à coordonner leurs stratégies autour d’un projet de diversification ? Nous proposons que dans ce but les pouvoirs publics soutiennent la construction, au niveau local ou régional, de dispositifs de partenariat originaux s’inspirant des pôles de compétitivité ou des partenariats européens pour l’innovation (Commission européenne, 2012). De tels dispositifs, soutenus par des politiques publiques de long terme (dix ans avec évaluation à mi-parcours, par exemple), auraient pour vocation de favoriser la construction de réseaux d’acteurs, et de contribuer à l’incubation et à la validation des innovations technologiques, agronomiques et organisationnelles nécessaires à la compétitivité de la filière. De tels dispositifs, favorables à la fois au développement territorial et à l’environnement, pourraient être soutenus dans le cadre du second pilier de la PAC.

Enfin, la construction des filières de diversification suppose un investissement de Recherche & Développement. Il faudrait s’interroger, au niveau national et européen, sur l’équilibre des investissements en R&D, entre les espèces majeures et les espèces mineures. Les espèces mineures n’ont aucune chance de se développer si on investit proportionnellement à leur surface ou à leur poids économique, ce qui est la tendance actuelle. Un investissement des organismes de recherche et de développement nationaux, en coordination avec leurs homologues européens, est indispensable, à la fois pour créer des connaissances [18] sur les espèces de diversification (génétique, agro-écologie, technologie de transformation, économie des filières, etc.) et pour assurer un soutien méthodologique aux acteurs des filières émergentes (méthodes de sélection, appui à la construction de systèmes de culture ou de process industriels, dispositifs de diagnostic de la variabilité des performances, par exemple). Concernant plus particulièrement l’innovation variétale, plusieurs voies peuvent être empruntées : susciter un réinvestissement de la recherche publique dans la sélection des espèces orphelines, organiser le partenariat entre acteurs publics et privés sur la sélection des espèces mineures, soutenir les sélectionneurs privés impliqués sur des espèces de diversification, en coordination avec les acteurs de la production et de la transformation. Le soutien à l’innovation doit aussi concerner la mise à disposition de solutions phytosanitaires pour des usages mineurs, en particulier les couples « culture de diversification/bio-agresseur » pour lesquels il n’y a pas de solution alternative efficiente.

Au niveau régional, il apparaît indispensable de consolider et d’adapter les références sur la productivité, les marges et les effets « précédent » des cultures de diversification. Si, au niveau national, la littérature technique souligne souvent les effets bénéfiques des cultures de diversification sur les cultures suivantes (et parfois quantifie ces avantages), les références sont rarement régionalisées. Un effort soutenu (de la part des organismes de R&D, de conseil et de comptabilité-gestion) de production d’informations quantifiées sur les marges comparées des rotations plus ou moins diversifiées est apparu crucial, de même que l’organisation d’un accompagnement des agriculteurs dans l’apprentissage des nouvelles cultures, par le renforcement des réseaux d’expérimentation et de conseil mais aussi par le partage d’expériences innovantes au sein de groupes d’agriculteurs. Cependant, des tensions ont été relevées entre des dynamiques régionales en concurrence, qui peuvent être préjudiciables à la fixation d’objectifs de sélection consensuels et au partage des références. Si le développement des cultures de diversification reste le fait d’acteurs locaux non coordonnés entre territoires, il plafonnera vite. Dès lors que se dessinent plusieurs bassins de production avec des acteurs différenciés, une structuration forte de l’interprofession apparaît nécessaire pour, d’une part, engager le dialogue avec les sélectionneurs sur les objectifs de sélection à privilégier et, d’autre part, organiser les échanges et l’adaptation des références entre territoires.

3.2. Inciter le régime standard à se déverrouiller, à ouvrir des fenêtres d’opportunité pour intégrer des filières de diversification

Pour les pouvoirs publics, inciter le régime standard à se déverrouiller suppose de déstabiliser le système sociotechnique en faisant évoluer normes et réglementations, mais aussi en suscitant, par la formation, la communication, ou l’exemple, une évolution des valeurs. Il s’agit d’inciter les acteurs majeurs à faire évoluer leurs stratégies sur le moyen terme, sans prendre trop de risques de porter atteinte à leur compétitivité à court terme. Là encore, il nous semble que plusieurs instruments devraient être mobilisés conjointement, pour toucher les différents acteurs et engager le changement à plusieurs pas de temps.

Les règlements de la PAC , qui touchent très largement les agriculteurs potentiellement concernés par la diversification, constituent un levier incontournable. Le volet diversification du verdissement de la PAC 2013 représente un premier outil, même si les études réalisées sous l’égide du Commissariat général au développement durable par exemple (Fuzeau et al., 2012), suggèrent qu’il n’aura en l’état que des effets très limités. Un accroissement des exigences quant à la diversité des assolements pourrait aider au déverrouillage. De même, l’intégration des cultures de légumineuses dans le calcul des surfaces d’intérêt écologique devrait conduire à partir de 2015, à un accroissement de leurs surfaces. Mais cet accroissement restera fragile, et subordonné à la pérennité de la règle, si aucune action n’est entreprise pour aider à la consolidation des filières utilisant leurs produits [19] (voir supra sur la consolidation des niches d’innovation). En tout état de cause, la mise en cohérence de telles mesures avec une stratégie globale de soutien à la diversification peut avoir un effet de signal fort auprès des agriculteurs et, par ricochet, des organismes de R&D, des coopératives et des fournisseurs d’intrants.

Un autre axe pour l’action publique pourrait être de s’appuyer sur les politiques environnementales , comme par exemple la politique de protection des eaux dans les zones de captage. La diversification participant à la réduction des pesticides (particulièrement des herbicides) et des maladies racinaires comme le piétin échaudage des céréales (qui perturbent l’absorption de l’azote), elle peut contribuer à réduire la pollution des eaux. Les aires de captage, où le régime dominant est déstabilisé par les exigences d’amélioration de la qualité de l’eau, pourraient constituer des territoires privilégiés pour l’hybridation entre régime dominant et niches. Agriculteurs, coopératives et petites entreprises de transformation pourraient y explorer ensemble, dans un contexte où des MAE soutiennent les changements de pratiques et les apprentissages, l’organisation d’une diversification des cultures et de la création de nouveaux débouchés, au niveau territorial.

Sur le long terme, un levier majeur pour la déstabilisation du régime dominant est sans nul doute l’évolution des programmes de formation initiale (programme « Enseigner à Produire Autrement » du ministère de l’Agriculture). On peut en attendre non seulement une évolution des connaissances (allant dans le sens d’une meilleure appréhension des intérêts de la diversification) des jeunes formés, appelés à exercer leur activité chez les différents acteurs des filières, mais aussi un changement de valeurs. D’une manière générale, la mise en lumière, chez des publics de tous âges et de toutes professions, des risques tant écologiques qu’économiques liés à la spécialisation, à l’œuvre depuis cinquante ans, peut contribuer à faire évoluer le paysage sociotechnique. La démonstration de l’intérêt de la diversification peut prendre différentes formes, comme la promotion des vertus des produits issus de la diversification par les marchés publics (légumineuses et produits animaux BBC dans la restauration collective des établissements publics, isolation à base de ressources agricoles locales dans les bâtiments publics, etc.). La mobilisation de ce dernier levier supposerait sans doute une évolution des critères d’attribution des marchés.

En parallèle, pour que les pouvoirs publics puissent évaluer l’efficacité des mesures prises, il serait utile de remédier à la carence de statistiques sur les cultures mineures – ces espèces étant souvent regroupées dans une catégorie « autres » dans les enquêtes des services du ministère de l’Agriculture. Nous suggérons la création d’un observatoire des cultures mineures dans les territoires, qui, en renseignant en temps réel sur les dynamiques à l’œuvre, permettrait d’ajuster en temps réel le dispositif d’action.

S’adressant à des processus à forte inertie, l’ensemble de ces propositions ne pourra être suivi d’effets que si les mesures correspondantes sont mises en œuvre sur la durée (dix ans plutôt que cinq ans) et affichées, dès leur mise en place, comme des mesures devant durer. Cette condition est essentielle pour susciter, tant en sélection que dans les filières de transformation ou chez les agriculteurs, les investissements amortissables sur le long terme nécessaires à la construction et à la consolidation des filières.

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[1] Département Inra SAD (Sciences pour l’Action et le Développement), 78850 Thiverval-Grignon, France.

[2] UMR1048 Inra-AgroParisTech SAD-APT (Sciences pour l’Action et le Développement - Activités, Produits, Territoires), 78850 Thiverval-Grignon, France.

[3] UAR1240 Inra EcoInnov (Impacts écologiques des innovations en production végétale), 78850 Thiverval-Grignon, France.

[4] UR0045 Inra-LRDE (Laboratoire de Recherches sur le Développement de l’Élevage), Quartier Grossetti 20250 Corte, France.

[5] UMR1248 Inra-INPT AGIR (Agrosystèmes, agricultures, Gestion des ressources, Innovations & Ruralités), chemin de Borde-Rouge, BP 52627, 31326 Castanet-Tolosan Cedex, France.

[6] Cette étude a été financée par les ministères en charge de l’Agriculture et de l’Écologie, et réalisée avec l’appui de la Délégation à l’expertise, la Prospective et les Études de l’Inra. Nous remercions les personnes interrogées pour leur disponibilité, et les membres du comité de pilotage (ministères, ACTA, APCA, Coop de France, FNCIVAM, FNE, Inra) pour leurs conseils avisés.

[7] Culture de diversification étudiée seulement pour la zone nord.

[8] Toutes les références ne sont pas citées dans ce texte. On se reportera au rapport de l’étude pour connaître l’ensemble des sources utilisées, ainsi que la liste des experts rencontrés (Meynard et al., 2013).

[9] Revues Cultivar, La France Agricole, Perspectives Agricoles et Réussir - Grandes cultures ; sites internet d’Arvalis - Institut du Végétal, du Cetiom, de l’Institut technique du Lin, de l’UNIP et de Coop de France Déshydratation. En tout, 180 articles de revue et 40 dossiers disponibles sur internet ont été analysés.

[10] Si le lupin est potentiellement l’espèce pouvant le mieux concurrencer le tourteau de soja grâce à sa haute teneur en protéines (40 % ), son utilisation est freinée par des verrous technologiques (digestibilité par les monogastriques), ainsi que par l’absence d’engagement des acteurs sur cette culture.

[11] « Le porc est en Bretagne, le pois n’y est pas », rappelle l’un des experts interrogés.

[12] Le procédé de cuisson-extrusion vise l’amélioration de la digestibilité des constituants des graines oléagineuses, notamment les lipides, et d’inactivation des facteurs anti-nutritionnels. Il fait appel à des actions mécaniques et thermiques multiples, de maturation (produit soumis à une température pendant un temps donné dans un maturateur) et d’extrusion (produit soumis à des contraintes physiques et thermiques lors du passage dans un extrudeur) (Chesneau et al., 2009).

[13] Valorisée par Bleu-Blanc-Cœur dans le cas du lin.

[14] Souvent associée à un nouveau process breveté (par exemple, thermo-extrusion des graines oléo-protéagineuses par l’industriel Valorex, fabrication de poudre de protéine de lupin par la coopérative Terrena, extraction de l’amidon de pois par l’industriel Roquette, etc.).

[15] Lors de la production ou de l’usage du produit (par exemple, chanvre dans l’éco-bâtiment).

[16] Certaines coopératives regroupent leur offre pour mieux commercialiser la production (cas de la féverole pour le marché export).

[17] L’efficacité d’une contractualisation suppose que les contractants aient un poids suffisant pour qu’aucun ne puisse tirer à l’excès le contrat dans un sens qui le favorise. Pour cela, une politique publique réglementant ces contrats de long terme pourrait s’avérer utile.

[18] Plusieurs espèces ne semblent faire aujourd’hui l’objet d’aucun investissement réel en recherche agronomique et développement, pour les conditions françaises : lupin, moutarde condiment, pois chiche, mais aussi lentille, sarrasin. D’autres sont relativement connues au plan agronomique, mais ne font pratiquement pas l’objet de travaux de base en génétique : chanvre, lin, avoine…

[19] Dans cette logique, on peut également souligner l’intérêt qu’il y aurait à assortir le récent « Plan Protéines Végétales pour la France 2014-2020 » (MAAF 2014 a), qui prévoit classiquement des aides à la production et à la R&D, d’autres mesures de soutien à la construction de filière, notamment en direction de la collecte et de la transformation, afin d’inciter à l’incorporation des protéines produites en France dans les aliments du bétail.