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Alain Clergerie / agriculture.gouv.fr

27 juin 2018 Info +

Banane : la mutation de toute une filière en Guadeloupe

Crises à répétition, fluctuation et concurrence sur les prix, dégâts causés par des pesticides ou des fongicides désormais interdits, fréquence de cyclones dévastateurs... autant de facteurs qui ont incité la Guadeloupe à entièrement repenser son modèle de production de bananes de l’amont jusqu’à l’aval de la filière. Travail de longue haleine et pari difficile à relever, mais grâce aux efforts conjugués des amoureux et des professionnels de l’île, l’avenir de la banane semble assuré. Récit d’une évolution... et peut-être pourrait-on même parler de révolution, tant les professionnels sont fiers, à juste titre, des efforts entrepris pour relever la filière !

En décembre 2017, après le passage de l’ouragan Maria, tout était à refaire. Des plantations rasées, production et expérimentation entièrement anéanties en quelques heures, comme le souligne le responsable du Cirad Guadeloupe. Une situation difficile à surmonter qui n’a pourtant pas dissuadé les quelque 600 producteurs de poursuivre avec l’aide des chercheurs et de l’Acta la mise en œuvre du second plan banane durable 2016/2020. Mais pour continuer à faire ce que le directeur appelle de la « culture écologiquement intensive », le Cirad a eu besoin de partenaires.

Quand les producteurs s'allient à la recherche...

Et c’est ainsi que l’Institut technique tropical et l’Inra ont apporté leur contribution. Avec une des plus belles collections de référence du monde de plus de 400 variétés de bananiers, les chercheurs ont mis en œuvre un programme d’expérimentation portant sur le désherbage, les cercosporioses et les maladies de conservation. Autant dire qu’aucun stade de la production n’a été négligé.

Les couverts végétaux qui entourent les bananiers présentent de multiples avantages qu’il faut savoir adapter en fonction du sol et du climat sans perdre de vue les objectifs qu’on veut atteindre. Outre le fait d’améliorer par ce moyen la structure des sols, on peut également mieux gérer la ressource en eau, contrôler les bio agresseurs tout en préservant durablement l’environnement.

Quant à la cercosporiose, maladie fongique qui s’attaque aux feuilles de la plante et provoque la maturation précoce des fruits, un système d’avertissement biologique permet de réduire fortement de 70 à une dizaine de traitements à l’année. Ce résultat est possible grâce aux efforts de tous les producteurs et à leur la coopération renforcée.

Une micro-ferme intelligente

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Parallèlement, l’Inra a lancé un projet de micro-ferme climato-intelligente. Car pour lutter de façon plus générale contre les pesticides, il faut comprendre, observer, savoir favoriser la diversité et faire de la nature, des sols et du climat, des alliés. L’objectif est aussi de parvenir à terme à des systèmes d’exploitation plus résilients, capables de recycler l’ensemble de la biomasse produite. La réutilisation de ces co-produits comme fertilisants contribue à enrichir le sol en matière organique, à économiser de l’énergie et in fine à rationaliser la main d’œuvre. Dans une île où 80% des surfaces d’exploitations ne dépasse pas la dizaine d’hectares et où l’agriculture de subsistance domine, « on recomplexifie - comme le souligne Harry Ozier Lafontaine - les systèmes d’exploitations pour les rendre plus robustes ».

La monoculture a trop longtemps fait oublier aux agriculteurs, « la culture de la transformation » qui crée pourtant de la valeur ajoutée au profit d’une culture intensive. D’où l’intérêt de faciliter la transition voire la réintroduction de l’animal dans certains systèmes de polyculture. L’idée étant dans chaque cas de figure, d’amorcer un cycle de production moins consommateur d’énergie, plus économe en eau, plus autonome et surtout moins dépendant des aléas extérieurs. Les chercheurs s’évertuant à accompagner au mieux les agriculteurs dans cette mutation complexe qui prend du temps.

La banane Cirad 925... vers un label bio ?

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Motivés par la nécessité de se sevrer définitivement de l’utilisation de toutes les formes de pesticides, les chercheurs n’économisent pas leurs efforts dans la création de nouvelles variétés de fruits, plus résistants aux maladies et aux parasites, sans perdre de vue les qualités organoleptiques indispensables à la satisfaction du consommateur. Lancée en phase expérimentale il y a dix ans, la banane Cirad 925 est ainsi née grâce aux efforts conjugués du groupement des producteurs et des chercheurs devenus plus attentifs aux exigences du marché. Cette banane a maintenant de bonnes chances d’être déployée plus largement à l’horizon 2020, voire d’être couronnée d’un label bio. Mais pour être concurrentielle, elle doit encore réduire les coûts de production jugés trop élevés (de 30 à 40% supérieurs à une banane conventionnelle) dus à l’apport de matière organique nécessaire à sa croissance et qu’il faut importer. Un travail est également nécessaire sur le process de maturation pour retarder l’apparition de taches brunes sur le fruit et la conserver en bon état dès la récolte et jusqu’à la phase délicate de transport. Sensible au froid, la Cirad 925 voyage à une température de 15 degrés, soit deux de plus que la Cavendish, pour freiner son mûrissement. L’enrobage a aussi fait l’objet d’expérimentation et c’est à présent la cire de carnouba, un additif alimentaire en voie d’homologation, qui la protège du brunissement.

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À l’exploitation bananière de Changy-Dembas à Capesterre, on reconnaît volontiers que ces améliorations techniques pour le conditionnement du bio ont également des effets bénéfiques sur la commercialisation de la banane durable. Les sacs perforés laissent mieux respirer le fruit et les risques d’éclatement lors du transport sont réduits. Le décalage de maturation entre la peau et la pulpe trouve aussi des solutions avec des capacités de stockage en mûrisserie, accrues et mieux adaptées.

Car des investissements importants ont été réalisés sur la station de conditionnement pour améliorer les postes de travail, réduire la pénibilité et gagner en rapidité. Des remorques pendulaires limitent la manutention livrant directement les régimes de bananes à portée de main, évitant toute manipulation préjudiciable à la qualité du fruit. Toute cette évolution profite à l’ensemble de la production de la banane et c’est toute une filière dont la qualité est tirée vers le haut.

À l’horizon 2020, 100 hectares de bananes Cirad 925 seront plantés en Guadeloupe et en Martinique pour une production d’environ 2 000 tonnes. Cela restera encore un marché de niche mais représentera une alternative intéressante à la production conventionnelle. Avec la contrainte des quotas et l’avènement de la bioéconomie, la filière réfléchit à de nouvelles formes de valorisation de sous-produits autre que celle du fruit, en utilisant aussi les feuilles, le tronc pour la création de sacs, la hampe pour la production de pesticides ou la fleur pour la consommation. Prise de conscience et partage des savoir-faire ont ouvert une voie durable à la coopération et à l’innovation pour redonner un élan à la filière.

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