L'équipe interministérielle du préfet Veau (à droite sur la photo) dédiée au Varenne de l'eau.
La délégation interministérielle en charge du suivi des conclusions du Varenne de l'eau et de l'adaptation au changement climatique. De gauche à droite : Annie Koutouan, Simon Devisme, Gilles Crosnier, Frédéric Veau. - Xavier Remongin / agriculture.gouv.fr

01 février 2023 Info +

Varenne de l'eau : entretien avec le préfet Frédéric Veau, délégué interministériel

Depuis le 28 avril 2022, le préfet Frédéric Veau (à droite sur la photo) est le délégué interministériel en charge du suivi des conclusions du Varenne agricole de l'eau et de l'adaptation au changement climatique. Huit mois après sa nomination, il nous présente son équipe et fait un premier point sur la mise œuvre de la feuille de route issue des travaux du Varenne de l'eau.

Pourriez-vous nous présenter votre parcours ?

Mon parcours professionnel est marqué par trois dominantes :

  • les outre-mer en ayant notamment servi comme sous-préfet puis préfet en Guadeloupe, en Guyane et à Mayotte ;
  • l’administration territoriale « hexagonale » en préfectures et, pendant 7 ans, comme directeur général des services du Conseil général de Lot-et-Garonne ;
  • enfin les questions européennes, en particulier comme chef de service « justice affaires intérieures » à la Représentation permanente à Bruxelles.

J’ai été confronté à la gestion de la ressource en eau à plusieurs reprises dans ma carrière en particulier à Mayotte pour l’alimentation en eau potable, et en Corrèze, avec les conséquences agricoles des sécheresses de 2018 et 2019.

Pourquoi avoir fait le choix d'une équipe dédiée et interministérielle ?

Les 24 annonces faisant suite aux conclusions du Varenne de l’eau sont principalement d’ordre juridique, financier et technique, et allient à la fois méthodologie, planification et études.

C’est dans cette perspective de suivi et de mise en œuvre que j’ai souhaité constituer une équipe composée d’un pôle de politique publique de l’eau et d’un pôle dédié aux missions transverses.

Il s’agit à la fois de garantir la continuité de la dynamique du Varenne de l’eau, de coordonner et promouvoir l'action des services de l'État en faveur de l’adaptation des filières agricoles au changement climatique et d'une politique publique de l'eau en agriculture tout en veillant à associer l’ensemble des autres parties prenantes.

Je voudrais insister sur deux particularités de la délégation. Nous opérons dans un cadre interministériel puisque nos missions nous ont été confiées au mois d’avril 2022 par les deux ministres en charge de l’agriculture et de la transition écologique. Enfin, nous sommes une structure de mission, avec une durée de vie limitée à 3 ans. Pour fonctionner, nous nous appuyons donc sur les directions et les réseaux existants, sans créer de strate administrative supplémentaire.

La délégation est donc composée de Gilles Crosnier, expert eau et référent technique, de Simon Devisme, chargé de mission technique, et d’Annie Koutouan, référente synthèse et moyens.

La délégation est opérationnelle depuis le 1er septembre 2022. Je voudrais d’ailleurs remercier le Secrétariat général du ministère pour son soutien humain et logistique, puisque la délégation est logée au sein du ministère de l’Agriculture, rue de Varenne.

Le comité de pilotage s'est réuni pour la première fois le 8 novembre dernier ; qu'en est-il ressorti ?

Les deux premiers comités de pilotage (COPIL) ont permis de réunir toutes les parties prenantes et de faire le point sur l’avancement des mesures mais aussi de réaffirmer le cap des conclusions du Varenne de l’eau.

Trois orientations sont à retenir :

  • tout d’abord, les actions doivent être menées en respectant le cadre du Varenne de l’eau sans vouloir en faire ni plus ni moins ;
  • ensuite, il est nécessaire d’accélérer la mise en œuvre des mesures pour avoir des résultats concrets en 2023 ;
  • enfin, les parties prenantes ont à travers la délégation un interlocuteur dédié pour faire remonter les difficultés rencontrées et solliciter, si nécessaire, un accompagnement dans la gestion de leurs actions.

Le 1er COPIL a été suivi d’une réunion d’avancement des travaux du Varenne de l’eau, notamment auprès des organisations professionnelles agricoles (OPA).

Quelle est la méthode de mise en œuvre de la feuille de route du Varenne de l'eau ?

Plusieurs acteurs interviennent dans le cadre du Varenne de l’eau : des directions générales du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire (DGAL, DGPE, DGER), FranceAgriMer, le CGAAER, l’IGEDD, la direction de l’eau et de la biodiversité pour le ministère de la Transition écologique, INRAE, l’Office français de la biodiversité (OFB), la fédération des instituts techniques agricoles, l’ACTA, ou encore Chambres d’agriculture France.

Chaque partie prenante est responsable du pilotage d’une ou plusieurs mesures et rend compte auprès de la délégation de ses actions, avancées et difficultés.

Un point d’avancement est réalisé, soit en bilatéral, soit en comité de pilotage.

Je suis également attentif à ce que toutes ces actions se traduisent par des avancées concrètes sur le terrain. Pour ce qui concerne le ministère de l’Agriculture, nous travaillons ainsi en interaction étroite avec le Groupement des directions régionales de l'Alimentation, de l'Agriculture et de la Forêt (DRAAF) et les ingénieurs généraux de bassin.

J’attache une importance particulière à la déclinaison et l’appropriation des actions du Varenne de l'eau dans les territoires. C’est dans cette optique que je rencontre régulièrement des acteurs publics et privés confrontés aux difficultés de gestion de l’eau, afin d’exposer les avancées du Varenne de l'eau et qu’ils me remontent leurs difficultés. Je rencontre également, avec le ministre en charge de l’Agriculture, l’ensemble des préfets de région pour recenser les projets de sécurisation d’accès à l’eau en agriculture et les difficultés auxquelles ils font face.

Quels sont les objectifs recherchés ?

Les objectifs du Varenne de l’eau, tels que déclinés dans la feuille de route, visent à anticiper les effets du changement climatique sur l’agriculture pour mieux la protéger et s’adapter tout en développant une vision raisonnée des besoins et de l’accès aux ressources en eau. C’est un équilibre d’ensemble à trouver entre l’adaptation de l’agriculture au changement climatique (recherche variétale, évolution des modes et des systèmes de culture, capacité des sols à stocker de l’eau et performance de l’irrigation) et l’accès à la ressource en eau là où c’est possible (remise en service d’ouvrages hydrauliques, stockages, réutilisation des eaux usées traitées). Il n’y a pas de modèle d’ensemble, mais la définition de projets optimaux en prenant en compte les réalités des territoires et des bassins.

Notre agriculture doit se doter d’outils nécessaires pour être plus résiliente face aux effets du changement climatique, et la bonne mise en œuvre du Varenne de l'eau est l’un de ces outils.

Mes deux principaux objectifs sont donc de garder un équilibre entre « adaptation » et « accès à la ressource en eau », et de garder un caractère opérationnel aux actions du Varenne de l'eau : qu’elles concernent des études ou des textes réglementaires, elles doivent se traduire concrètement par une meilleure adaptation de notre agriculture.

Pourriez-vous nous faire un premier état d'avancement ?

Toutes les annonces faites ont été lancées, que ce soit en matière de planification, d’études ou d’appels à projets. Les textes juridiques ont été rédigés et certains sont déjà parus tandis que d’autres devraient être prochainement finalisés.

La thématique 1 qui vise à protéger l’agriculture concerne principalement l’assurance récolte, dont le projet de loi, voté en mars 2022 entrera en application dès le 1er janvier 2023.

L’étude Explore 2, lancée et pilotée par INRAE et l’OFB, devrait rendre ses premiers résultats d'ici mi-2023. Pour rappel, cette étude va actualiser celle de 2012 avec pour objectif d’intégrer les dernières évolutions des modèles de prévisions du GIEC sur le climat.

La thématique 2 préconise l’adaptation de l’agriculture au changement climatique qui, suite aux épisodes estivaux de sécheresse, doit être accélérée. Dans le cadre des plans des filières, cet engagement se matérialise par une stratégie d’adaptation renforcée. Si l’exercice est abordé différemment selon les filières, il n’empêche que toutes ont entamé la démarche et adopté une feuille de route dont la déclinaison en plan d’action est prévue d’ici 2025.

Quant aux plans régionaux d’adaptation, la dynamique d’engagement se poursuit.

En région, l’État accentue son partenariat avec, en particulier, la création du GIP Transitions en Occitanie, dont la mission est d’accompagner les porteurs de projets.

Enfin, sur la thématique 3 qui concerne l’accès raisonné à la ressource, le stockage de l’eau en période hivernale constitue le principal enjeu.

Ainsi, le décret n°2022-1078 sur les volumes prélevables en période de hautes eaux a été signé en juillet 2022 et l’étude de référencement pilotée par INRAE et l’OFB est attendue rapidement.

En parallèle, la rénovation et la modernisation des réseaux d’ouvrages hydrauliques est rendue possible via la mobilisation de fonds de France relance. Ce sont en 2022 plus de 40 projets d’hydraulique agricole qui ont ainsi pu être financés. C’est par exemple le cas de l’union des ASA de Châteauroux-les-Alpes, dans les Hautes-Alpes, où les financements vont participer au remplacement des 40 km de canalisation irriguant près de 450 ha et contribuer à une économie d'eau estimée à plus de 3 millions de m3 par an, soit plus de 50% des prélèvements actuels. Le projet est par ailleurs lié à un projet de microcentrale hydroélectrique avec une prise d’eau commune pour la conduite forcée.

En Auvergne-Rhône-Alpes, le programme « 100 retenues pour la région », l’une des actions phares de la stratégie eau-air-sol du préfet de région, a permis d’identifier près de 340 projets de retenues collinaires dont les travaux de plus de 120 d’entre elles sont d’ores et déjà réalisés ou planifiés.

Quelles sont les prochaines grandes étapes et échéances à venir ?

  • Au niveau national, plusieurs textes réglementaires restent à finaliser à brève échéance, précisément concernant l’irrigation en viticulture, la gestion quantitative de l’eau ou la réutilisation des eaux usées. Les professions industrielles sont très attentives à la parution du décret sur la réutilisation des eaux usées qui sera complété par la mise en place d’un observatoire du recyclage des eaux usées en agroalimentaire.
  • Au niveau territorial, ce sont surtout les résultats des appels à projets et appels à manifestations d’intérêts qui mettront en exergue les acteurs portant des projets innovants, performants et adaptés aux enjeux climatiques à venir. L’appel à manifestation d’intérêt Démonstrateurs territoriaux des transitions agricoles et alimentaires doté de 15 M€ pour le financement de projets innovants sur la réutilisation d’eaux usées a récemment dévoilé ses 7 lauréats, dont 2 sont en lien avec les thématiques du Varenne de l'eau. C’est par exemple le cas du projet Salt’Eaux porté par Suez Eau France, qui a pour objet la réutilisation des eaux usées traitées produites par les stations d'épuration de Thau et de Camargue (environ 2,5 Mm3/an) pour irriguer et drainer les surfaces viticoles limitrophes.

Le guichet de la 3e révolution agricole sera ouvert en 2023 et plusieurs appels à projets lancés en 2022 sont en attente de la diffusion des lauréats.

Interview réalisée fin décembre 2022.