Robot de recherche - INRAE

08 juin 2022 Info +

Roland Lenain : « La robotique sera l’un des leviers de l’agroécologie »

Roland Lenain est directeur de recherche et responsable de l’équipe Robotique et Mobilité pour l’Environnement et l’Agriculture (ROMEA) au sein de l’unité TSCF (Technologies et systèmes d’information pour les agrosystèmes) d’INRAE. À ce titre, il est un observateur avisé des évolutions de la robotique agricole en France.

La robotique agricole est-elle en train de devenir une réalité en France ?

La réponse est multiple. Première chose, la robotique agricole est déjà une réalité dans l’élevage. Aujourd’hui, le robot de traite est largement démocratisé, et on trouve aussi des robots d’affourragement, d’alimentation… C’est en plein essor, pour une raison simple : il s’agit d’un environnement structuré, dans lequel les robots « se sentent bien ». La robotique se développe plus facilement quand on maîtrise l’environnement, les conditions de localisation, quand on la déploie dans un site fermé, propre, balisé. Tout cela explique la différence de développement entre la robotique d’élevage et la robotique dans les champs.

Comment explique-t-on qu’il n’y ait pas plus de robots dans les champs aujourd’hui ?

Pour que les robots soient efficaces en terrain ouvert, il y a encore des verrous à lever. Ils doivent agir en fonction de leur environnement et des tâches qui leur sont confiées. Ils doivent pouvoir reconnaître des situations dangereuses et adapter leur comportement en conséquence. C’est là que c’est difficile : le robot doit reconnaître l’obstacle. Par exemple, ne pas tenir compte d’une branche qui dépasse dans une rangée de vignes, mais s’arrêter si une personne est accroupie dans le champ. C’est assez compliqué : il faut les capteurs adéquats, capables d’avoir les couleurs, la géométrie, et de fonctionner dans n’importe quelle condition d’éclairage – y compris la nuit… Il y a tout un tas de problématiques qui entrent en jeu.

L’intelligence artificielle peut-elle contribuer à surmonter ce problème de détection ?

Sur le sujet de l’IA, on est en progrès constant. La capacité de calcul est largement supérieure à ce qu’on avait dans le passé, et permet un meilleur apprentissage. Mais nous sommes face à un souci avec l’IA : le côté « boîte noire » de la technologie des réseaux de neurones. En résumé, on ne peut pas prédire la réponse de l’IA face à une situation inédite, hors de sa base d’apprentissage. Cela rend difficile la validation et la certification des robots qui en sont équipés.

Quels sont les pistes explorées en ce moment pour les robots dans l’agriculture végétale ?

La première piste, c’est l’automatisation de l’agriculture classique. L’exemple simple, c’est le tracteur autoguidé. Dans cette voie, on n’envisage pas de nouvelles façons de produire, on rend simplement une tâche moins pénible. La deuxième piste, c’est de se dire : un robot peut rendre des services pendant que l’humain fait autre chose. Puisqu’il peut être dangereux, mais aussi impactant pour les sols, de faire travailler un gros robot en autonomie, on va travailler sur des petites machines. Ainsi, on voit l’apparition de robots de désherbage, comme Oz ou Anatis. À mon avis, plutôt que d’avoir de grosses machines complexes, on aura à l’avenir des machines plus petites, plus élémentaires, moins énergivores, et on adaptera la taille de la flotte en fonction de ce qu’on veut faire.

"Les robots ne nécessitent pas de temps humain et sont capables d’intervenir de façon précise et répétée : ils permettent une véritable agriculture de précision, plus économe en énergie et en intrants. C’est la raison pour laquelle je suis convaincu que la robotique est, et sera, l’un des leviers de l’agroécologie."
- Roland Lenain

L’un des arguments de la robotique est d’accompagner l’agriculture dans son verdissement. Pouvez-vous nous expliquer ce qu’elle apporte dans le domaine ?

C’est simple : l’alternative au modèle productiviste, issu de la mécanisation et de la chimie, ce sont de nouvelles méthodes comme le bio, le non-travail du sol, la rotation de cultures, qui nécessitent d’intervenir de façon de plus en plus fréquente dans les champs, et de façon beaucoup plus précise et localisée. C’est donc davantage de temps humain, répétitif et pénible, ce qui pose un problème de main d’œuvre, avec des troubles musculo-squelettiques très fréquents chez les travailleurs. Les robots, de leur côté, ne nécessitent pas de temps humain et sont capables d’intervenir de façon précise et répétée : ils permettent une véritable agriculture de précision, plus économe en énergie et en intrants. C’est la raison pour laquelle je suis convaincu que la robotique est, et sera, l’un des leviers de l’agroécologie.

Quels sont les principaux obstacles qui freinent son développement aujourd’hui ?

Outre les difficultés technologiques qu’on vient d’évoquer, les freins sont aussi réglementaires. Aujourd’hui les agroéquipements, y compris les robots, sont soumis à la « directive machine », qui est adaptée à la conduite manuelle des engins. Il y doit toujours y avoir quelqu’un, soit aux commandes de la machine, soit en supervision à distance, en surveillance permanente. Cela limite grandement l’intérêt d’un robot… Du côté de la recherche, on fera avancer le sujet en garantissant à 100% le comportement des robots : voilà le grand défi, qui passera notamment par l’intelligence artificielle. Il y a aussi d’autres freins législatifs, comme l’interdiction pour un robot roulant de traverser, même ponctuellement, une route entre deux parcelles. Cela complique le développement et l’expérimentation, sans même parler de la commercialisation. Mais nous travaillons pour faire avancer ces sujets législatifs.

Quels seront, à l’avenir, les facteurs d’accélération de la robotique agricole ?

Sur le long terme, je crois profondément au partage de technologies élémentaires, de bases de données, d’infrastructures de développement. Il faut mutualiser le coût de la recherche et la data, au bénéfice à la fois des acteurs privés et des instituts publics comme INRAE. Ce sera un vrai facteur d’accélération, que promeut aujourd’hui la communauté au sein de l’association RobAgri. Il y a aussi la question de la norme : au même titre qu’on a un code de la route pour la voiture, il faudra des normes, un « dictionnaire commun » partagé entre les constructeurs de robots agricoles, pour faciliter leur prise en main par les agriculteurs.

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