24 août 2021 Publication

Perspectives de la filière canne-sucre-rhum-énergie en outre-mer

  • Didier Kholler

Une mission interministérielle a été chargée d'examiner les perspectives d'évolution de la filière canne-sucre-rhum-énergie en outre-mer ainsi que des soutiens dont elle bénéficie.

Bandeau juillet aout lettre du CGAAER
Remorques remplies de cannes à sucre
Thierry Caro

Rapport de mission interministérielle de conseil n° 20091

Mars 2021

Mots-clés : Canne à sucre, rhum, énergie, Outre-mer, filière

Enjeux

Quoique dans une part bien moindre que la betterave, la canne à sucre contribue à la production sucrière de la France et constitue pour La Réunion, la Guadeloupe et la Martinique une activité structurante tant du point de vue économique et social, que culturel et environnemental.

Cependant, l'ouverture des marchés, accrue après l'abandon des quotas sucriers en Europe et le niveau important des soutiens publics posent des questions pour cette filière ultramarine, quant à son adaptation à l'avenir mais aussi quant à la justification technique et financière de certains soutiens.

Méthodologie

La mission interministériellle était composée de Taline Aprokian, François-Xavier Deniau et Guillaumme Lachaussée (IGF), Didier Krüger (CGEDD), et de Didier Kholler (CGAAER).

Elle a étudié la filière canne-sucre-rhum dans sa globalité en intégrant l'enjeu énergétique. Cinq thèmes ont été approfondis : marché mondial du sucre et accords commerciaux, diagnostic économique et social de la filière, analyse technique et financière de l'aide à l'adaptation à la fin des quotas sucriers, approche agricole et environnementale de la production de canne, évaluation de la filière canne-énergie.

La mission a travaillé avec les interlocuteurs concernés des Antilles et des administrations centrales par visioconférence, et a effectué un déplacement à La Réunion.

Résumé

La canne à sucre, particulièrement adaptée aux zones tropicales et plutôt résiliente aux événements climatiques, occupe plus du tiers de la surface agricole utile des trois territoires et alimente plusieurs filières industrielles : la production de sucre brut ou de sucres dits spéciaux (sucres roux, aromatisés...), la production de rhum agricole ou traditionnel (celui-ci provenant de la mélasse issue du processus sucrier), la production de chaleur et d'électricité (par brûlage des tiges de cannes après extraction de leur jus).

Les soutiens publics que cette filière reçoit, budgétaires ou fiscaux, sont élevés : 74,6 M€ au titre du programme européen POSEI ; 90 M€ d'aides nationales complémentaires ; 38 M€ au titre d'une autre aide complémentaire pour l'adaptation à la fin des quotas sucriers ; 31,9 M€ de prime pour la valorisation énergétique de la bagasse ; diverses mesures fiscales avantageuses pour le rhum ultramarin exporté vers la métropole ou consommé sur place… Au total pour les trois DROM étudiés, l'ensemble des aides s'élevait à 439,9 M€ en 2019 (dont 44 % d'aides fiscales et 56 % d'aides budgétaires), soit l’équivalent d’un montant de 15 870 € pour chacun des 27 700 emplois directs ou indirects de la filière.

Pour autant les performances économiques des cinq usines sucrières sont mauvaises, malgré des niveaux de subvention qui représentent pour quatre d'entre elles entre 80 % et 205 % du chiffre d'affaires. Dans ces conditions et au vu des orientations des marchés en France, en Europe et à l'international, la mission a constaté que :

  • à court terme la remise en cause de l'aide à la sortie des quotas ne ferait qu'aggraver les difficultés des acteurs industriels et agricoles. Son adaptation doit donc être progressive, pour accompagner les évolutions nécessaires ;
  • les entreprises doivent viser plus de valeur ajoutée, donc baisser la part relative du sucre à raffiner et accroître leurs positionnements sur les sucres spéciaux ou le sucre de canne bio ;
  • la valorisation de la bagasse est correcte, surtout quand elle prend la forme de co-génération dans 4 usines sur 5 ; mais cette solution ne doit pas prévaloir sans réel besoin en électricité pour le territoire. Par ailleurs il n'est pas démontré qu'une évolution vers de la canne-énergie aurait une pertinence économique et agronomique ; néanmoins sans remettre en cause la sole cannière, l'amélioration énergétique de la filière peut se faire par une valorisation plus systématique de la paille et en implantant des variétés plus riches en fibres.

Les principales recommandations de la mission portent sur :

  • le conditionnement du versement de l'aide liée à la sortie des quotas à : 1/ un niveau minimal du cours mondial du sucre brut (puisqu’un prix du sucre élevé diminue l'écart de compétitivité par les coûts de production) ; 2/ un engagement de non versement de dividendes aux actionnaires ; 3/ une évolution modérée des frais de personnels ;
  • un montant de cette aide de 38 M€ recalculée à 35,7 M€ en 2022 puis dégressive jusqu'à un niveau forfaitaire proposé à 23,7 M€ en 2028 et au-delà, qui ne financerait que des investissements de diversification ;
  • défendre la filière canne à sucre des DROM dans le cadre des accords commerciaux négociés par l'Union européenne, en excluant les sucres spéciaux des concessions aux pays tiers ;
  • lors de la répartition du nouveau contingent d'aides fiscales sur les rhums traditionnels, augmenter les contingents attribués aux sucriers pour remonter vers eux la valeur ajoutée tirée de la mélasse ;
  • inclure les réflexions stratégiques de la filière dans les travaux des comités de transformation agricole des outre-mer, et aider la reconversion des planteurs ;
  • impliquer davantage les collectivités territoriales dans le soutien à la filière, en mobilisant l'octroi de mer, en entrant au capital des entreprises et en s'impliquant dans la négociation des conventions fixant le prix d'achat des cannes.

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