26 janvier 2016 Publication

Écarts de compétitivité liés au coût du travail dans les secteurs agricole et agroalimentaire dans différents pays européens

  • Patrick Dedinger

Le CGAAER et l'IGAS ont été chargés d'objectiver la réalité des écarts de compétitivité liés au coût du travail salarié dans les secteurs agricole et agroalimentaire entre la France et ses principaux partenaires commerciaux européens…

©Fnsea

Rapport de mission interministérielle de conseil n°14143 CGAAER - IGAS

Août 2015

Mots clés : Compétitivité, parts de marché, coût du travail, charges courantes d’exploitation

Enjeux

Les ministres en charge de l'agriculture, du travail et de la santé ont confié au CGAAER et à l'IGAS une mission sur les écarts de compétitivité liés au coût du travail salarié dans les secteurs agricole et agroalimentaire entre la France et ses principaux partenaires commerciaux européens, afin de fournir les éléments d’analyse aux discussions entre les pouvoirs publics, les fédérations professionnelles et les organisations syndicales de salariés.

La mission a présenté son rapport devant Stéphane Le Foll et Myriam El Khomri dans le cadre du Comité de l’emploi dans les filières agricole et agroalimentaire le 25 novembre 2015.

Méthodologie

La mission était composée d'un membre de l'IGAS, Aurélien Besson, et d'un membre du CGAAER, Patrick Dedinger.

Elle a porté sur les secteurs les plus employeurs de main d’œuvre en production agricole (fruits, légumes, horticulture et viticulture) et dans l’industrie alimentaire (abattage et première découpe de viande de boucherie et de viande de volaille) en France et chez nos principaux partenaires commerciaux européens : Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, Italie, Pays-Bas et Pologne.

La mission a retenu la définition de la compétitivité économique donnée par l’OCDE, à savoir la capacité d’un territoire, d’un secteur économique ou d’une entreprise à vendre et à fournir durablement un ou plusieurs biens ou services marchands sur un marché donné en situation de concurrence. Elle s’évalue au travers de la dynamique des parts de marché et traduit la capacité à être compétitif sur les coûts et hors coûts.

La méthode retenue consiste à observer sur une longue période comment évoluent les parts de marché des produits français sur notre marché domestique et sur le marché de nos partenaires, puis de rapprocher cette évolution de celle du coût du travail pour voir s’il existe une corrélation.

La mission a utilisé des données harmonisées au plan européen fournies par le SSP par extraction des bases Eurostat (Comext et IAA) et RICA européen et les documents produits par les conseillers agricoles des ambassades de France, les directions des ministères, ainsi que les organismes publics ou parapublics (FranceAgriMer, APCA, instituts techniques).

Résumé

Les principaux constats établis par la mission concernent l'évolution des parts de marché et l'évolution du coût du travail.

L’évolution des parts de marché

Sur une période de onze ans (2003-2013), la France est en perte de compétitivité pour l’ensemble des produits étudiés vis-à-vis de ses sept partenaires européens.

Pour les fruits frais, les exportations françaises sont en recul de 34 % en volume et notre part de marché dans ces pays chute de 50 %. Dans le même temps, nos importations en provenance de ces pays, principalement d’Espagne, progressent de 21 % et notre taux de couverture des importations par les exportations passe de 72 % à 39 %.

Un constat similaire peut être établi pour les légumes frais : notre part de marché passe de 13 % à 10 % et notre taux de couverture recule de 65 % à 56 %. Nos importations proviennent là aussi majoritairement d’Espagne.

Vis-à-vis de ces sept pays, le secteur horticole français (fleurs, plantes ornementales…) exporte, en valeur, de manière résiduelle. Il représente 1,25 % de part de marché des sept pays étudiés. Le taux de couverture de nos importations par nos exportations passe de 14 % en 2003 à 8 % en 2013.

Le vin français voit également ses parts de marché s’éroder. Si les exportations croissent de 5,6 % en valeur sur la période, elles régressent en termes de parts de marché de 44 % à 34 %. Toutefois, nous exportons vers ces pays six fois plus que nous importons.

La viande de boucherie fraîche, réfrigérée ou congelée exportée vers les sept pays est stable en volume sur onze ans. Mais la part de marché de la France recule tout de même de 11 % à 9 %. Nos importations de viande de boucherie, essentiellement en provenance d’Allemagne et d’Espagne, ont fortement progressé (+21 %), aussi notre taux de couverture s’est mécaniquement dégradé de 79 % à 64 %.

Enfin, en viande de volaille, nos volumes exportés vers ces pays baissent de 23 % entre 2003 et 2013 alors que nos importations sont multipliées par plus de deux. Dès lors, notre part de marché dans ces pays passe de 18 % à 9 % et notre taux de couverture qui était positif (152 % en 2003) devient négatif de manière croissante à partir de 2007 (41 % en 2013).

L’évolution du coût du travail

Face au constat établi sur l'évolution des parts de marché, il convient d’examiner si un lien peut être établi entre l’évolution de notre compétitivité et celle du coût du travail constatée chez nos partenaires et en France.

En 2004, année de l’adhésion de la Pologne à l’Union européenne, les écarts de coût du travail sont considérables. Cinq pays ont un coût du travail plus faible que la France (Allemagne, Belgique, Espagne, Italie, Pologne) et deux pays ont un coût du travail plus élevé (Pays-Bas et Danemark). La hiérarchie est restée la même en 2012 bien que des phases de rattrapage aient pu être observées, comme en Espagne et en Pologne par exemple.

Ainsi en 2004, le coût horaire du travail en France est 1,7 fois plus élevé qu’en Espagne dans le maraîchage et deux fois plus élevé en viticulture et en arboriculture. Si le ratio est resté stable en 2012 pour les deux premières productions, il s’est réduit en arboriculture en passant de 1/2 à 1/1,6. La forte dégradation de notre solde commercial avec l’Espagne en fruits et légumes frais est plus que proportionnelle avec l’évolution du coût du travail dans les deux pays. D’autres facteurs (coût et hors coût) interviennent donc pour expliquer la perte de compétitivité des produits français.

L’analyse conduit à une conclusion plus nuancée avec l’Allemagne. L’écart de coût du travail entre 2004 et 2012 se creuse en faveur de ce pays d’un rapport de 1/1,3 à 1/1,5 en maraîchage et reste stable en arboriculture fruitière. Nos importations de légumes frais en provenance de ce pays sont multipliées par deux et celles de fruits frais par trois. Le facteur coût du travail apparaît prépondérant dans cette évolution. Toutefois, le solde de nos échanges de ces produits avec l’Allemagne demeure largement positif. Ainsi, en 2013, il est d’un rapport de un à trois en fruits frais et de un à quatre en légumes frais. Ce ratio s’est néanmoins dégradé en onze ans puisqu’il était respectivement de 1 pour 23 et de 1 pour 8 en 2003.

Les importations de légumes frais en provenance de Belgique et des Pays-Bas se sont maintenues à haut niveau malgré un coût du travail proche ou supérieur à celui de la France et très nettement supérieur au coût du travail espagnol, italien ou allemand. Ainsi, les importations belges et néerlandaises représentent 45 % des volumes importés d’Espagne en 2013 contre 51 % en 2003 alors que le ratio des coûts horaires du travail est resté les mêmes avec l’Espagne.

Dans l’industrie des viandes, abattage et première transformation (découpe), le coût horaire du travail (salaire brut et charges sociales patronales) est à peu près le même pour la boucherie ou la volaille dans chacun des pays. En France, les données sectorielles ne sont disponibles que pour le secteur coopératif.

Avec 30 €/h et 28 €/h, la Belgique et les Pays-Bas ont le coût horaire du travail le plus élevé. La France est au même niveau que l’Allemagne à 20 €/h. Toutefois, ces données ne reflètent pas la réalité car les entreprises de ces trois pays font appel massivement à des travailleurs détachés pour lesquels, même si le salaire du pays d’accueil est respecté, les taux et les assiettes des cotisations sociales restent ceux du pays d’origine. Le différentiel de coût pour les travailleurs détachés reste conséquent.

Avec respectivement, 17 €/h et 15 €/h, les coûts horaires de l’Italie et de l’Espagne ne sont pas très éloignés du coût horaire français. En revanche, avec 5 €/h la Pologne dispose d’un avantage comparatif indéniable.

On peut donc considérer que le coût du travail (travailleurs de l’entreprise et travailleurs extérieurs) explique la position dominante de l’Allemagne, de la Pologne et, dans une moindre mesure, de la Belgique et des Pays-Bas dans le secteur des viandes de boucherie et de volaille

Resitué dans l’ensemble des charges courantes d’exploitation de la production agricole, le coût du travail en France représente toujours le même pourcentage entre 2004 et 2012. Il n’a donc pas été un facteur d’alourdissement de celles-ci. Ce ratio a augmenté en Allemagne, Pologne, Espagne et Pays-Bas pour la production fruitière. Il a augmenté en Allemagne et en Pologne pour la production légumière du fait d’un rattrapage salarial.

Conclusion

Dans l’ensemble des pays étudiés, la structure de l’emploi ne détermine pas fortement le coût du travail. Dans la production agricole, le travail demeure principalement familial, tandis que dans l’abattage et découpe de viande de boucherie ou de volaille, le travail salarié représente de 90 % à 99 % des emplois (dans ces industries, certains pays ont un recours massif aux travailleurs détachés, particulièrement les Pays-Bas, l’Allemagne et la Belgique).

Ce sont les dispositions juridiques nationales en matière de droit du travail (salaires, durée du travail…) et de droit de la protection sociale (niveau des prestations sociales et modalités de financement) qui conduisent aux écarts de coût du travail.

L’absence de minimum salarial dans ces activités en Allemagne a longtemps permis une rémunération parfois très faible des travailleurs détachés, source de distorsion de concurrence.

L’introduction d’un salaire minimum en Allemagne et la mise en œuvre du CICE et des mesures du Pacte de responsabilité et de solidarité en France conduisent à une réduction de l’écart du coût du travail entre les deux pays d’autant plus significative que le salaire minimum allemand devra s’appliquer aux travailleurs détachés.

La mission estime que les données contenues dans cette étude devraient faire l’objet d’une actualisation annuelle et que les autres dimensions de la compétitivité devraient également être traitées dans le cadre d’une réflexion d’ensemble sur la compétitivité de ces secteurs.

Lien vers le rapport


S'abonner à La lettre du CGAAER