Appareil d'imagerie médicale vétérinaire
Xavier Remongin/agriculture.gouv.fr

06 septembre 2023 Info +

Télémédecine vétérinaire et transformation de la pratique en santé animale - Analyse n° 194

Les notes d’Analyse présentent en quatre pages l’essentiel des réflexions sur un sujet d’actualité relevant des champs d’intervention du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. Selon les numéros, elles privilégient une approche prospective, stratégique ou évaluative.

La télémédecine se développe en santé animale et l’usage des outils connectés facilite son adoption, pour les animaux de compagnie comme pour ceux de rente. Elle nécessite des aménagements de la réglementation (puisque le décret de 2020 autorisant son expérimentation est maintenant caduc), et de la formation des praticiens. Elle modifie en profondeur la relation entre l’animal, son propriétaire et le vétérinaire, tout en étant porteuse de nombreux bénéfices en matière de santé publique vétérinaire.

Introduction

Exercer « à distance » n’est pas une pratique nouvelle : une partie des traités du médecin Galien (IIesiècle) et du vétérinaire Apsyrte, dans le Corpus Hippiatricorum Graecorum (IVesiècle) prennent la forme de lettres, réelles ou fictives, incluant des conseils à des correspondants. Au XVIIIe siècle, Claude Bourgelat, fondateur des écoles vétérinaires, transmet lui aussi ses instructions par courrier à ses élèves qu’il a envoyés lutter contre une épizootie de peste bovine. En médecine humaine, le développement des technologies de l’information et de la communication a permis l’essor de la télémédecine, que la pandémie de Covid-19 a considérablement accéléré. La télémédecine vétérinaire (TMV) tend elle aussi à se banaliser, en dehors de tout cadre réglementaire, selon deux grandes tendances : pour les animaux de compagnie, son développement est comparable à celui de la télémédecine humaine ; en pratique rurale, elle a de plus bénéficié des évolutions de l’élevage de précision1 et de la création de nombreux outils connectés.

Les récents confinements sanitaires ont contribué à l’établissement d’un cadre réglementaire pour les activités de TMV. Ainsi, le décret n° 2020-526 du 5 mai 2020 relatif à l’expérimentation de la télémédecine vétérinaire a autorisé, à titre expérimental, pour une période maintenant terminée de 18 mois, cette pratique sur inscription auprès de l’Ordre national des vétérinaires.

La première partie de cette note montre comment les leviers réglementaires et techniques ont permis le développement de la TMV. La partie suivante s’intéresse aux impacts de la TMV sur la pratique vétérinaire quotidienne, en France. Enfin sont présentées les perspectives ouvertes, pour la santé publique vétérinaire et son déploiement territorial, par les outils connectés associés à l’intelligence artificielle et au machine learning2.

1) Le vétérinaire et les outils de la télémédecine

Si les vétérinaires praticiens utilisent la TMV parfois de longue date, sa mise à l’agenda législatif est récente. En effet, cette TMV pose la question générale des conditions d’exercice de la médecine vétérinaire, suite au fort développement des outils connectés pour les animaux de compagnie, et surtout à l’essor de l’élevage de précision.

Réglementation française et nomenclature des actes de TMV

Il est courant d’appeler son vétérinaire pour obtenir un conseil, tant pour les propriétaires d’animaux de compagnie que pour les éleveurs. Cette pratique pose la question de la frontière entre « conseil » et « consultation ». Le décret n° 2020-526 a donc explicité ce qui relevait, pendant l’expérimentation, de la TMV, en reprenant une nomenclature des actes définie en 2017 par l’Académie vétérinaire de France3 (figure 1). En outre il a engagé, sous le contrôle du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires, une expérimentation de 18 mois et les vétérinaires pratiquant la TMV devaient remplir un questionnaire après chaque acte. Au total, seulement 981 vétérinaires, soit 5,45 % de ceux inscrits à l’Ordre, ont participé à cette expérimentation.

Un tableau présente une nomenclature des actes de télémédecine vétérinaire : téléconsultation, télésurveillance, téléexpertise, téléassistance, télérégulation nommée aussi régulation médicale vétérinaire.

L’expérimentation autorisée par le décret a confirmé l’existence de pratiques en matière de TMV, plutôt qu’elle n’a révélé de réelles innovations ou des tendances émergentes. Le développement d’outils connectés, depuis deux décennies, a déjà considérablement diversifié les pratiques professionnelles des vétérinaires. Certains praticiens, plus technophiles, expriment un intérêt pour l’adoption d’un cadre réglementaire, tandis que les propriétaires trouvent des avantages à la TMV, qui permet par exemple la détection plus précoce de symptômes discrets de maladies en élevage, ou la levée des contraintes géographiques pour consulter un spécialiste. Pour développer la TMV, une législation est attendue, qui apportera une protection aux vétérinaires et propriétaires, et viendra combler un vide juridique suite à la caducité du décret autorisant l’expérimentation.

Des outils connectés pour surveiller les animaux et leur environnement

Les outils connectés (OC) se diffusent rapidement, dans tous les domaines. Certains, développés par des industriels de l’équipement des élevages, des professionnels de l’alimentation animale ou des laboratoires vétérinaires, peuvent être intéressants à utiliser en TMV, ce qui réduit le besoin de développer des outils ad hoc. Tenir à jour la liste de ces OC s’avère difficile, mais l’association Vet-IN-Tech a publié plusieurs livres blancs qui en font un recensement non exhaustif4 (figure 2). Certaines plateformes, régulièrement actualisées, permettent aussi de suivre le développement de ces technologies. Pour les seuls bovins, un panorama des outils existants est par exemple proposé par le Data Driven Dairy Decisions for Farmers (4D4F) ou l’International Committee for Animal Recording (ICAR). En France, l’Institut de l’élevage (IDELE), en partenariat avec Aspexit, tient à jour un catalogue d’outils connectés en élevage de précision, ainsi que des fiches conseils.

Un schéma donne des exemples d’outils connectés pour les bovins : capteur, podomètre, balance, bolus, collier, boucle. Ces outils peuvent être utilisés pour suivre l’alimentation, la santé, la reproduction ou l’état général de l’animal. Par exemple, un bolus ruminal (thermobolus) permet de suivre la température de l’animal et le pH ruminal ; ces éléments sont utilisés pour le suivi de l’alimentation et de la santé de l’animal.

Pour les animaux de compagnie, certains OC s’inspirent de ceux proposés en médecine humaine, par exemple lors de la pesée des chats dans les bacs à litière, dans le cadre de la gestion médicalisée du poids. D’autres équipements sont plus spécifiques : caméras de surveillance, colliers connectés, etc. D’autres encore relèvent davantage du gadget, tels les jeux, qui pourraient néanmoins avoir un effet bénéfique sur la santé, en diminuant le stress occasionné par la solitude des chats en appartement, en les incitant à bouger pour lutter contre leur obésité, etc.

En ce qui concerne les animaux de sport et de rente, l’élevage de précision s’est accompagné du développement de nouveaux outils, classables en deux grandes catégories :

  • des outils fixés au bâtiment d’élevage : caméras, détecteurs d’odeur, appareils de mesure d’humidité et de température ;
  • des outils fixés sur l’animal (colliers, bagues, plaquettes auriculaires, capteurs caudaux, podomètres, etc.), voire insérés dans l’animal (bolus ruminaux).

Dans les deux cas, une sélection rigoureuse des données fournies par ces OC permet au vétérinaire d’affiner son examen clinique. Il faut néanmoins veiller à ce que l’animal ainsi suivi ne soit pas réduit à un ensemble de mesures et données, qui mettrait en péril son bien-être dans un contexte d’élevages automatisés.

Vers des diagnostics mieux objectivés et plus précis ?

L’utilisation des OC peut contribuer à améliorer la pratique de la médecine vétérinaire, en appui de la démarche diagnostique et pour le suivi des animaux. Une récente étude montre les différentes utilisations possibles, souhaitées par les vétérinaires interrogés (figure 3).

Un graphique présente les types d’actes que les vétérinaires souhaitent réaliser via la télémédecine. Les résultats proviennent d’une enquête : 62 répondants déclarent vouloir réaliser des consultations de suivi post-opératoire ; 52 des consultations de suivi de maladie chronique ; 35 des consultations de nutrition ; 32 des consultations de comportement. 16 déclarent vouloir traiter des urgences via la télémédecine, 15 réaliser des consultations de dermatologie et 14 n’ont pas d’avis.

En médecine des animaux de compagnie, les OC permettent un suivi sur une longue durée de certaines maladies. Par exemple, dans le cas d’une affection urinaire chez le chat, des bacs à litière connectés peuvent alerter d’une prochaine crise, grâce à l’analyse automatisée de l’urine, de la fréquence et de la quantité des mictions. Ces données peuvent être envoyées à un logiciel sur l’ordinateur ou le portable du propriétaire et utilisées dans le cadre d’une télésurveillance.

Alors que l’approche collective caractérise la médecine des animaux de rente, les nombreux OC disponibles permettent un suivi plus fin des conditions générales d’élevage et de l’état de santé de chaque animal. Par exemple, les capteurs dans les bâtiments enregistrent des données de température, d’hygrométrie, de gaz et d’odeurs, pour surveiller les facteurs d’ambiance pouvant déclencher ou aggraver les affections. Les colliers connectés associés à des automates de distribution permettent d’individualiser les rations qualitativement et quantitativement. Pour ce qui est du bien-être animal (BEA), les OC enregistrent en continu des mesures dont certaines pourraient, à l’avenir, valider les critères d’un éventuel label BEA. D’autre part, en cas de litiges de voisinage (bruits, odeurs) ou de suspicion de maltraitance animale, ils pourraient être utilisés à des fins d’objectivation.

Les évolutions techniques, la fourniture de données nouvelles et plus abondantes transforment, et transformeront plus encore demain la pratique du vétérinaire, en améliorant le recueil d’informations cliniques à distance. Ces nouvelles pratiques professionnelles sont en phase avec l’essor de la demande générale pour la TMV, 29 % des propriétaires d’animaux de compagnie et plus de la moitié des éleveurs étant demandeurs de téléconsultation, selon deux études réalisées en 20215.

Diverses inquiétudes sont toutefois liées à ces utilisations6, notamment parce qu’aucune réglementation n’existe sur ces OC pour animaux. Concernant les OC fixés sur l’animal, ou a fortiori insérés dans l’animal, leur catégorisation au plan réglementaire pourrait être envisagée, par exemple en tant que « dispositifs médicaux ». À l’instar de ce qui est observé en santé humaine, ils pourraient aussi faire l’objet d’une certification.

2) TMV et mutations de la profession vétérinaire

L’exercice à distance de la médecine vétérinaire requiert des adaptations déterminantes, à prendre en compte dans le cadre de la formation des praticiens et à accompagner via des travaux de recherche spécifiques. Elle redéfinit aussi les échanges entre praticiens, animaux et propriétaires.

Les conséquences sur la pratique vétérinaire

La médecine vétérinaire s’exerce dans le cadre d’une profession réglementée, encadrée par un Ordre compétent pour les atteintes au code de déontologie. La réglementation ordinale prendra en compte les nouveautés liées à la TMV lorsqu’un nouveau décret l’autorisant sera paru.

Par exemple, les actes de télémédecine définis dans le décret ont été inclus dans la liste de ceux autorisés dans le cadre de l’exercice des vétérinaires temporairement le temps de l’expérimentation. Une première ébauche d’encadrement s’est aussi fait jour, en limitant la pratique de la TMV aux seuls animaux qui ont été récemment examinés physiquement par le vétérinaire, en conséquence de quoi la pose d’un diagnostic, la rédaction d’une ordonnance et la délivrance des médicaments étaient autorisées. La TMV pourrait se réaliser selon deux modalités : lorsque le vétérinaire réalise des actes de TMV sur sa clientèle habituelle et utilise par exemple la télésurveillance sur un animal présentant une maladie qu’il a déjà diagnostiquée et traitée auparavant ; lorsqu’un vétérinaire réalise des actes de TMV sur des animaux de la clientèle d’un confrère, ayant lui-même vu l’animal et le lui ayant demandé.

En l’absence de codification et réglementation, plusieurs questions restent en suspens. Il n’existe pas pour l’instant de jurisprudence liée à des erreurs de diagnostic ou de traitement, ni à la « perte de chances » qui pourrait être reprochée au vétérinaire qui refuserait de pratiquer la TMV. La pratique de la TMV pourrait après réglementation être prise en charge par l’assurance responsabilité civile du vétérinaire praticien, au même titre que la pratique classique, dès lors que la compagnie d’assurance en a été informée. Par ailleurs, la législation ne prévoit pas, pour l’instant, d’encadrement de la prescription et de la délivrance d’un OC par le vétérinaire, qui pourraient correspondre à celles de matériels et de dispositifs médicaux.

Recherche et formation devront s’approprier les enjeux de la TMV

En dehors du champ ordinal proprement dit, la question de l’utilisation et de la gestion des données produites par la TMV doit être clarifiée. Elle est directement liée aux enjeux de validation et de définition des bonnes pratiques en clinique vétérinaire.

La validité d’une donnée dépend de l’outil utilisé (capteur). Il est donc important de définir, pour chaque paramètre collecté, un intervalle de normalité par appareil, ce qui suppose l’optimisation et le partage des performances métrologiques. De ces performances dépendra, notamment, la pertinence de l’envoi d’alertes lorsque des données anormales sont détectées. De la même façon, pour une maladie donnée, il sera important de spécifier un bouquet de données permettant d’avoir une forte suspicion de maladie, et les algorithmes correspondants pour l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA).

Dans cette perspective, l’approche en médecine humaine peut constituer une référence : les guides méthodologiques d’évaluation de dispositifs médicaux, embarquant ou non de l’IA, utilisés par la Commission nationale d’évaluation des dispositifs médicaux et technologies de santé (CNEDiMTS) et les référentiels de la Haute autorité de santé (HAS), peuvent être adaptés à la TMV7. En outre, des inquiétudes devront être levées, par exemple celles que posent l’utilisation des données générées par les OC, à des fins mercantiles ou lors de recherche médicale, comme le souligne un récent avis de l’Académie vétérinaire de France8.

Les vétérinaires devront aussi acquérir des compétences nouvelles, lors de sessions de formation initiale ou continue, pour mieux utiliser les outils de télémédecine et les données qu’ils génèrent. Cette élévation des qualifications et compétences concernera aussi l’ensemble des équipes au sein desquelles ils exercent.

Une réflexion critique quant à la valeur des données devra être introduite, afin d’intégrer de manière pertinente ces technologies aux outils diagnostiques et thérapeutiques.

Par ailleurs, une utilisation de la TMV à l’échelle internationale pourrait se développer dans le cadre d’épizooties mondialisées : la formation des services vétérinaires et les pratiques de TMV devraient être harmonisées, en lien avec les travaux de l’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA) et de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

De l’analyse des comportements à l’analyse des données

Alors que les propriétaires se fondaient auparavant sur des modifications comportementales ou physiques des animaux pour évaluer leur santé, les OC produisent désormais un volume important de données dont la compréhension doit être acquise et le traitement organisé.

En médecine des animaux de compagnie, l’accès permanent du propriétaire à des données plus nombreuses, sur son animal, peut engendrer une sursollicitation des vétérinaires et de leurs équipes. Il faudra donc sensibiliser la clientèle aux informations qui doivent ou non provoquer une consultation. D’autre part, les outils connectés permettent d’améliorer le diagnostic et la surveillance thérapeutique, lorsque l’identification directe des signes par le propriétaire n’est pas possible. Ainsi, dans le cas de l’épilepsie canine, les crises peuvent avoir lieu alors que les propriétaires sont absents et il est alors plus difficile de vérifier l’adéquation de la thérapeutique. De la même façon, l’analyse automatisée des urines peut détecter précocement l’apparition de nouvelles crises chez un chat atteint d’urolithiase9.

En médecine vétérinaire rurale, l’éleveur est davantage habitué à utiliser des applications pour suivre ses animaux et à interpréter les données produites à la lumière d’un contexte (spécificité de l’élevage, suspicion de maladie, etc.). Néanmoins, avec le développement de la TMV, les relations entre l’éleveur et le vétérinaire vont se transformer et elles devront être clarifiées. Il faudra par exemple prévoir diverses configurations, lors de la détection de données anormales, en déterminant si le vétérinaire doit prendre l’initiative d’une visite ou attendre la sollicitation de l’éleveur, avec le risque d’intervenir trop tard. Du point de vue du vétérinaire, la quantité de données recueillies permettra de développer une approche plus globale de l’élevage, ce qui pourra notamment enrichir certaines des activités de suivi de sa clientèle, et de suivi sanitaire permanent. Au-delà de la visite ponctuelle permettant d’établir le BSE, l’enregistrement des données en continu offre au praticien un accès continu aux paramètres zootechniques objectivés. Par exemple, en élevage porcin ou avicole, les relevés des conditions du bâtiment peuvent être corrélés avec la survenue de maladies, en particulier respiratoires. Ils facilitent également la visualisation de problèmes de bien-être animal, comme le rejet d’un congénère par le groupe.

3) Outils connectés et approche One Health

Au-delà de la pratique quotidienne du vétérinaire, les OC permettront le recueil de données et leur analyse, éventuellement automatisée par l’IA, dans une perspective de santé publique vétérinaire et de préservation de la biodiversité.

TMV et santé publique vétérinaire

La « santé publique vétérinaire » est définie comme « l’ensemble des actions collectives, principalement régaliennes, en rapport avec les animaux sauvages ou domestiques, leurs services et leurs productions entrant notamment dans la chaîne alimentaire, qui visent à préserver les santés humaine et animale, et la santé des écosystèmes »10. Ambitieuse sur le papier, elle fait face, dans la réalité, à un déficit de ressources humaines, qu’il s’agisse des vétérinaires sanitaires en milieu rural, des inspecteurs en hygiène des aliments ou les agents des services vétérinaires. Grâce aux données envoyées par la TMV, le vétérinaire peut de manière plus efficiente décider de se rendre ou non sur site, et ainsi optimiser les sollicitations d’une profession en tension.

À condition d’avoir préalablement défini les paramètres pouvant être les signes de certaines maladies réglementées (MR), un dispositif d’alerte précoce pourrait notifier les suspicions de cas à la fois à l’éleveur, aux services vétérinaires et au vétérinaire sanitaire. Une telle application fournirait un appui significatif, notamment dans certains contextes épidémiologiques : lorsqu’une maladie est présente à la frontière du territoire ou pour la détection rapide de nouveaux foyers dans le cas d’épizooties massives. Cette précocité de la réaction permettrait de réduire les coûts occasionnés par ces MR. Par exemple, une récente étude britannique11 a montré que des outils d’auto-apprentissage de l’ordinateur, associés à de l’IA, permettent de détecter dans un élevage industriel de poules des vocalisations de stress, de les différencier de vocalisations normales et ainsi de suspecter précocement la survenue d’une maladie (influenza aviaire). La TMV aura donc toute sa place dans la lutte contre les maladies infectieuses en élevage.

OC et surveillance de la faune sauvage

Le concept de One Health (Une seule santé) a été forgé pour décrire l’imbrication des santés humaine, animale et environnementale. Il montre combien la prise en compte de la santé des animaux sauvages est importante pour prévenir ou limiter les risques d’épizooties, de zoonoses et de maladies émergentes ou ré-émergentes. L’observation de la faune sauvage permet cette télédétection précoce, en particulier à l’aide de caméras et capteurs automatisés. La détection de comportements anormaux ou de densités en animaux anormales (dépopulation ou surpopulation) pourrait déclencher une alerte, prise en charge éventuellement à longue distance si des compétences locales ne sont pas disponibles. Couplé au réseau d’expertise de l’OMSA (laboratoires de référence, centres collaborateurs), cette mise en réseau améliorerait l’accès à des compétences en santé animale provenant du monde entier. Dans le cadre de l’épidémiologie participative, il serait également possible d’utiliser les données de promeneurs transmises par leurs smartphones, comme cela a été proposé à des chasseurs dans le cadre de la lutte contre la peste porcine africaine en Corse12.

Conclusion

Bien qu’actuellement sans base légale, une demande existe car la télémédecine vétérinaire est très appréciée par les propriétaires d’animaux de compagnie, qui souhaitent retrouver les avantages offerts en médecine humaine : accès à un professionnel qualifié, absence de déplacement, en particulier pour une consultation spécialisée. Elle est aussi très bien accueillie en médecine rurale, où les éleveurs y voient un prolongement de l’élevage de précision. Les conditions semblent donc réunies pour qu’elle se développe dans les prochaines années. Sa réglementation, en cours de finalisation, viendra apporter une base légale à cet état de fait et mettre fin à une carence observée au terme de la phase d’expérimentation.

Cette tendance sera facilitée par la mise sur le marché de nouveaux outils connectés et applications en santé. La profession vétérinaire est elle aussi favorable à ces évolutions, dans la mesure où elles lui ouvrent la possibilité de proposer de nouveaux services (télésurveillance) et de faciliter la saisine d’experts éloignés physiquement (téléexpertise). Autant d’activités qui diversifient et améliorent l’exercice professionnel quotidien. Cependant, l’utilisation des outils connectés peut aussi présenter des inconvénients qu’il convient de prévenir, liés au coût du matériel ou à la survalorisation des données par rapport au bien-être animal observé.

La TMV pourra également contribuer à apporter des solutions à certains des défis actuels de la profession et des pouvoirs publics : maillage vétérinaire des territoires, surveillance de la santé publique, etc. Son déploiement devrait se fonder sur un travail commun entre pouvoirs publics et représentants de la profession pour éviter d’éventuelles dérives commerciales. En outre, les outils connectés permettent une surveillance de l’animal sain (alimentation, abreuvement, mouvements, etc.) et des paramètres de son environnement (température, ventilation, hygrométrie, etc.), facilitant la maîtrise des critères de son bien-être. Le relevé en continu de ces éléments facilite le contrôle des obligations liées aux labels de qualité et améliore le respect de l’animal conformément aux demandes sociétales.

Franck Bourdy

Centre d’études et de prospective


1 Élevage utilisant des capteurs reliés à un système numérique permettant de suivre les animaux et de gérer l’exploitation en temps réel.

2 Programmation de l’ordinateur de façon à tirer des conséquences des expériences successives.

3 Académie vétérinaire de France, 2017, Avis et rapport sur la télémédecine vétérinaire.

4 Chambron C, Valentin-Smith A et al., 2018, E-santé animale : en savoir plus sur les objets connectés, Vet-IN-Tech. Valentin-Smith A, Chambron C et al. 2020, Télémédecine vétérinaire. Livre blanc, Vet-IN-Tech.

5 Vet-IN-Tech, Intérêt des propriétaires/éleveurs pour la télémédecine vétérinaire. WebinaireNUManima 2021.

6 Comité d’éthique Animal, Environnement, Santé, 2020, Avis sur les objets connectés en santé animale.

7 HAS, 2021, Évaluation des applications dans le champ de la santé mobile (mHealth). État des lieux et critères de qualité du contenu médical pour le référencement des services numériques dans l’espace numérique de santé et le bouquet de services des professionnels.

8 AVF, 2023, Avis sur les données brutes vétérinaires : recueil, stockage, protection, transformation et usage.

9 Garcia-Monero G., 2020, « L’IoT a tout pour plaire aux vétérinaires, mais doit encore les séduire », JDN.

10 Académie vétérinaire de France, 2021, L’Académie vétérinaire de France revisite la définition de la santé publique vétérinaire, communiqué de presse.

11 Mao A. et al., 2022, « Automated identification of chicken distress vocalisations using deep learning models », J. Royal. Soc. Interface, 19(191).

12 Calba C. et al., 2015, « Applying participatory approaches in the evaluation of surveillancesystems: A pilot study on African swine fever surveillance in Corsica », Preventive Vet. Med., 122, pp. 389-398.