Xavier Remongin / agriculture.gouv.fr

13 novembre 2025 Info +

Quels futurs pour les filières fruits et légumes françaises d’ici 2040 ?

Les notes d’Analyse présentent en quatre pages l’essentiel des réflexions sur un sujet d’actualité relevant des champs d’intervention du ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Souveraineté alimentaire. Selon les numéros, elles privilégient une approche prospective, stratégique ou évaluative.

Le taux d’auto-approvisionnement de la France en fruits et légumes se dégrade tendanciellement. Dans ce contexte, le ministère de l’Agriculture, de l’Agro-alimentaire et de la Souveraineté alimentaire a commandé une étude prospective sur l’avenir de ces filières. Réalisée par CERESCO et AgroClimat1, elle explore les trajectoires d’évolution probables d’ici 2040. Elle montre que le maintien des niveaux de production dépendra de la capacité à s’adapter au changement climatique et à ses conséquences : diversification des espèces et des variétés, déplacements de bassins de production, etc. De telles évolutions impacteront les facteurs de compétitivité de ces filières, et il conviendra d’essayer de mieux faire correspondre, nationalement, les consommations et les productions.

Introduction

Les filières fruits et légumes (dont les pommes de terre) occupent 2,3 % de la surface agricole utilisée française et représentent un peu plus de 13 % des exploitations. Elles se caractérisent par des modèles de production variés : plein champ, maraîchage diversifié, sous serre, cultures annuelles ou pérennes, fruits et légumes destinés à l’industrie ou au frais. Cette diversité, qui se retrouve au niveau des circuits de commercialisation, est à la fois une force et une faiblesse. Elle permet de résister aux aléas des marchés et de répondre à la variété des attentes des consommateurs, selon leurs âges, catégories sociales, modes de vie, etc. Inversement, cette diversité accroît les problèmes rencontrés par les acteurs (adaptation des solutions de mécanisation et de biocontrôle aux espèces et aux environnements, etc.) et elle disperse leurs capacités de réponse. Ces filières connaissent aussi des difficultés structurelles, comme la baisse des rendements constatée pour la majorité des espèces cultivées, ou la difficulté croissante à recruter une main-d’œuvre permanente ou saisonnière, fondamentale pour le secteur. Par ailleurs, la nécessaire adaptation au changement climatique et les enjeux de souveraineté alimentaire soulèvent plusieurs questions. Quels facteurs ou tendances pourraient venir bouleverser les chaînes de production et d’approvisionnement nationales et internationales ? Quels seront les impacts du changement climatique sur la production de fruits et légumes, particulièrement sensible aux conditions météorologiques ? Comment les filières pourront-elles s’y adapter ? Comment la consommation alimentaire évoluera-t-elle, et avec quels impacts sur le maillon de la production ?

Face à ces incertitudes, une étude prospective sur l’avenir des filières fruits et légumes, d’ici 2040, a été commandée par le ministère de l’Agriculture, de l’Agro-alimentaire et de la Souveraineté alimentaire. Ses enseignements complètent le plan de souveraineté fruits et légumes lancé en 20232, et d’autres démarches nationales, telles la prospective pour l’industrie agroalimentaire française à l’horizon 20403 ou l’étude sur le marché de la pomme de terre4. Réalisée par Ceresco et AgroClimat, avec l’appui d’un groupe de travail constitué de représentants des différents maillons de la filière, elle a abouti à un diagnostic d’ensemble, notamment fondé sur des projections biogéographiques des fruits et légumes en France. La biogéographie étudie la répartition des espèces à la surface du globe. Dans un contexte de réchauffement climatique, elle permet d’anticiper l’évolution géographique des zones de cultures et les modifications de la saisonnalité des espèces cultivées. Quatre scénarios contrastés ont ensuite été formulés, pour aider les acteurs à se préparer à différentes perspectives d’avenir.

Le rapport final de l’étude aborde de nombreux sujets, au-delà de ceux présentés ici, qui concernent surtout l’évolution géographique des productions de fruits et légumes consécutive au changement climatique. La première partie de cette note présente les principaux enseignements tirés de l’étude biogéographique des fruits et légumes en France. Sont ensuite résumés les quatre scénarios prospectifs et leurs conséquences sur les productions.

1. Changement climatique et évolutions des biogéographies des fruits et légumes

L’étude de l’évolution de la répartition géographique des productions, faite par AgroClimat, met en lumière les changements liés au climat, à la saisonnalité, mais aussi au développement des espèces dans les décennies à venir. Les productions de fruits et légumes étant particulièrement sensibles aux événements météorologiques, le travail réalisé souligne les adaptations nécessaires au maintien de filières économiquement viables, avec des différences entre arboriculture et maraîchage.

Modéliser la distribution géographique des productions

L’analyse biogéographique a porté sur trois espèces arboricoles emblématiques (abricots, noix et pommes). Elle a été réalisée en climat actuel, ainsi qu’aux horizons 2040-2060 et 2080-2100, avec ou sans irrigation, et en fonction de différents scénarios climatiques RCP5définis par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Elle a abouti à l’élaboration de cartes de potentiel économique de production par variété (figure 1 pour l’abricot Bergeron). Ce potentiel est calculé à partir de huit indicateurs agronomiques représentant les principaux freins au développement d’une variété6. Pour les cultures maraîchères, d’autres analyses biogéographiques, basées sur la méthode GAEZ-FAO7, adaptée par AgroClimat, ont permis de réaliser des cartes montrant la limitation de la photosynthèse potentielle par des facteurs climatiques, pédologiques et socio-économiques. Cette deuxième série de cartes a été réalisée au niveau de l’espèce et non pas de la variété.

Figure 1 – Comparaison du potentiel économique de production de l’abricot (variété Bergeron) entre les périodes 2000-2020 et 2040-2060, sans irrigation

Figure 1 – Deux cartes de la France métropolitaine comparent le potentiel économique de production de l’abricot variété Bergeron entre les périodes 2000-2020 et 2040-2060, sans irrigation, et dans un scénario climatique RCP 8.5, correspondant à un réchauffement élevé. Le potentiel économique de production permet de calculer un pourcentage de succès pour le développement d’une variété en culture principale.

Ainsi, les zones en vert sur la carte correspondent à un potentiel supérieur à 70 %, indiquant que la variété est économiquement viable. En revanche, les zones jaunes et rouges indiquent que le développement de la variété en culture principale n’est pas économiquement viable. La lecture des cartes indique que le potentiel de l’abricot Bergeron s’érode dans le sud, et remonte progressivement vers le nord à l’horizon 2040-2060, notamment au nord de la vallée du Rhône et dans le Pays de la Loire.

Lecture : le calcul du potentiel économique de production de l’abricot Bergeron donne un pourcentage de succès pour le développement d’une variété en culture principale. Elle est considérée comme étant économiquement viable si le potentiel est supérieur à 70 % (en vert sur la carte). En revanche, les zones jaunes et rouges indiquent que le développement de la variété en culture principale n’est pas économiquement viable. Le scénario climatique RCP 8.5 utilisé correspond à un réchauffement élevé.

Source : AgroClimat, rapport final tome 1, p. 87

Des évolutions notables dans la filière arboricole

L’étude montre que l’arboriculture française dispose de marges de manœuvre pour s’adapter au changement climatique, à condition que les évolutions du potentiel économique de production sur le territoire soient bien identifiées. La création progressive de nouvelles filières et les changements de variété devront être planifiés et la prise en compte des spécificités régionales, contrastées, sera cruciale.

Certaines régions verront à l’avenir leur potentiel économique de production s’éroder. Il s’agirait principalement du bassin méditerranéen (Roussillon, sud Languedoc, sud Provence, Corse) et du sud de la vallée du Rhône, qui vont pâtir du manque de froid hivernal et des excès de chaleur estivaux, et qui connaîtront des sécheresses importantes.

À l’horizon 2040, seule une diversification des espèces cultivées est envisageable. Les nouvelles espèces à introduire pourraient être, entre autres, les agrumes, la grenade, la figue de barbarie, les olives, les nèfles, les kakis, les pistaches, la mangue et l’avocat. Cette diversification sera complexe à mettre en œuvre car elle impliquera un soutien technique important et la structuration de nouvelles filières sur le territoire. Pour les olives, par exemple, il s’agira de développer des équipements (conditionnement, transformation) et des partenariats économiques pour répondre à la demande française. Cette dernière, en revanche, est quasi inexistante pour la figue de barbarie et les nèfles, ou très réduite pour les pistaches et la grenade. Les régions de la côte Atlantique (Bretagne, Pays de la Loire, Sud-Ouest) vont principalement pâtir d’un manque de froid hivernal, plus que de sécheresse. Pour elles, une diversification basée sur des modifications variétales est envisageable, en sélectionnant des variétés aux besoins de vernalisation (i.e. période de froid permettant la floraison) moindres.

À l’inverse, dans le nord et le nord-est de la France, les conditions climatiques à 2040 seront favorables à plus d’espèces arboricoles tempérées qu’aujourd’hui. Le nord de la vallée du Rhône et les zones aux alentours de Besançon, Dijon, Nancy, Metz, bénéficieront de conditions climatiques comparables à celles du sud de la vallée du Rhône aujourd’hui. Elles pourront donc mettre en culture les espèces qui y sont actuellement implantées : pommes, poires, pêches, abricots, cerises. Dans le Sud-Ouest, la diversification pourra se faire en conservant les mêmes espèces, mais en implantant des variétés avec de plus faibles besoins de vernalisation, en raison de l’augmentation des températures hivernales. Les cultures adaptées aux bassins du sud des Landes et du Lot-et-Garonne pourront être déplacées vers des zones de moyenne altitude et remonter vers le Centre-Val de Loire : prunes, fruits rouges, kiwi, fraises, etc. Dans ces régions, la diversification pourra reposer sur des espèces et des variétés, déjà présentes en France, ayant des besoins de vernalisation importants : pomme Golden, noix Franquette et abricot Bergeron. Des risques de gel tardif existent à l’heure actuelle, mais ces espèces peuvent d’ores et déjà s’étendre au-delà de leurs bassins de production actuels. Pour les espèces sensibles au froid hivernal, comme l’abricot, l’expansion vers le nord ne pourra se faire que de façon progressive.

Des adaptations moins difficiles pour le maraîchage

La répartition des cultures de légumes devrait être moins affectée, quel que soit le système de production (maraîchage de plein champ, frais ou légumes d’industrie), et a fortiori sous serre, où l’atmosphère est contrôlée. En effet, contrairement à l’arboriculture, la saisonnalité des récoltes peut y être adaptée. Grâce à un décalage des périodes de culture, à des évolutions des pratiques culturales et à des adaptations variétales, il serait possible de maintenir les espèces en production dans leurs bassins actuels. Dans les régions du Nord, le potentiel de production sera en hausse, tandis qu’il ne devrait pas évoluer dans le Sud. Une diversification fondée sur de nouvelles espèces, présentes en Espagne ou au Maghreb, comme la patate douce, serait envisageable, mais elle nécessiterait la création de nouvelles filières, et une compétitivité suffisante pour faire face aux importations en provenance des zones de production traditionnelles.

Irrigation, diversification et accompa­gnement des changements

L’étude montre que l’irrigation permet d’améliorer le potentiel économique de production dans les zones déjà adaptées à une culture. Avec la réduction de la disponibilité en eau, l’irrigation deviendra demain un paramètre très important et les écarts de rendement entre agricultures irriguée et non irriguée s’accentueront. Néanmoins, avec ou sans irrigation, les volumes de production devraient baisser pour certaines variétés « historiques ». De plus, l’irrigation ne permettra pas d’implanter ou de maintenir des variétés et espèces dans des zones qui ne sont pas encore ou ne sont plus adaptées.

Les variétés traditionnellement produites dans le sud de la France pourront, dans une certaine mesure, gagner des régions plus septentrionales ou plus en altitude. Cependant, ces déplacements ne permettront pas toujours de maintenir les niveaux de production actuels. En effet, certaines variétés ont été sélectionnées pour être adaptées à leurs emplacements historiques (ex : abricot Roussillon). Les nouvelles régions d’adoption pourront disposer d’un climat comparable aux bassins actuels, mais il n’est pas garanti qu’elles connaîtront les mêmes conditions pédoclimatiques, ce qui se traduirait par une perte modérée de potentiel de production.

Pour maintenir la production française, il faudra donc diversifier les espèces et variétés cultivées, au niveau des bassins de production comme des exploitations. Cette diversification devra être progressive, car le climat est en constante évolution. Dans le cadre d’un verger vieillissant, par exemple, il sera nécessaire de replanter une nouvelle variété et/ou espèce tout en maintenant en place la précédente, pour éviter une transition risquée avec des rendements trop variables. En effet, dans les deux prochaines décennies, le gel tardif (principalement dans le Nord-Nord-Est) et les besoins de vernalisation (Sud) seront des paramètres qui varieront fortement d’une année sur l’autre. Le maintien d’espèces ou de variétés ayant des sensibilités différentes à ces paramètres, au sein d’une même exploitation, permettra d’éviter des années improductives. Cette diversification sera d’autant plus nécessaire que, pour des raisons économiques et sociales, les exploitations ont eu tendance à se spécialiser ces dernières années.

Pour soutenir ces efforts d’adaptation et de diversification, les prestataires de l’étude considèrent que le maintien de programmes de recherche et d’expérimentation dynamiques est une priorité. Ils devraient se concentrer sur l’amélioration des variétés (pour les rendre plus adaptées aux futures conditions climatiques), et plus généralement chercher à accompagner l’évolution des bassins de production. Il s’agirait de travailler sur des caractères d’adaptation transversaux, comme l’évolution des systèmes racinaires, afin que les plantes soient plus résistantes à des apports irréguliers en eau.

Par ailleurs, la géographie de la production n’est pas la seule variable à considérer. D’autres paramètres, de nature économique ou sociale, sont également à prendre en compte pour étayer les stratégies de déplacement de bassins : localisation des outils et des infrastructures liés à la filière (plateforme de conditionnement, logistique, outils de transformation, etc.), prise en charge du risque, évolutions des consommations alimentaires, etc. L’intégration de ces enjeux et leur anticipation, dans les politiques publiques, dépendront du contexte politique et socio-économique des prochaines années.

2. Quatre scénarios prospectifs pour les filières fruits et légumes d’ici 2040

Les scénarios ci-dessous, volontairement contrastés, explorent différents avenirs probables pour les filières fruits et légumes d’ici 2040. Ils ne prétendent pas décrire à l’avance la réalité mais sont une invitation à la projection et à la réflexion. Ils sont fondés sur des analyses bibliographiques, des entretiens et des ateliers de travail avec des parties prenantes du secteur. Ces scénarios tiennent compte des cartes biogéographiques et d’autres ensembles de variables sociales, politiques, économiques, technologiques, etc. (figure 2).

Figure 2 – Système de variables utilisé pour analyser la situation présente et élaborer les scénarios d’avenir

Figure 2 – Un tableau présente le système de variables utilisé pour analyser les tendances passées et présentes des filières fruits et légumes, et construire des scénarios d’évolution.

Les principales variables ayant une influence sur ces filières concernent le contexte dans lequel elles s’inscrivent (ex. géopolitique, ressources naturelles), la production agricole et agroalimentaire, l’économie et les marchés (ex. stratégies commerciales, mise en marché), les valeurs, représentations et comportements des ménages et des agriculteurs, ainsi que l’action publique. Ces facteurs varient de façon contrastée dans chacun des scénarios élaborés.

Source : CERESCO, rapport final tome 2, p. 12

Souveraineté alimentaire européenne

Ce premier scénario décrit une Union européenne (UE) confrontée à des difficultés croissantes d’approvisionnement (alimentation, intrants) sur le marché international. En réponse, elle adopte une politique productiviste pour soutenir la souveraineté alimentaire à l’échelle continentale, pour sécuriser ses chaînes de valeur alimentaires. Des mesures protectionnistes (hausse des droits de douane, clauses miroirs, etc.) sont mises en œuvre pour favoriser la production européenne. Les acteurs de l’aval investissent dans l’amont pour sécuriser leurs chaînes de valeur et maîtriser leurs coûts.

Dans ce scénario, une logique plus court-termiste prédomine. Il n’y a pas de soutien public spécifique pour accompagner l’évolution des filières face aux nouvelles contraintes biogéographiques. L’ensemble des maillons du secteur alimentaire, de la production à la distribution, privilégient l’adoption de variétés plus précoces ou plus résistantes, plutôt que de travailler sur une évolution des bassins de production et sur le développement de nouvelles filières (agrumes, olive, patate douce etc.), qui impliquent, selon eux, des investissements trop incertains.

On assiste à l’hyperspécialisation de l’agriculture sur un nombre restreint de filières qui résistent mieux aux contraintes climatiques, et à la mise en œuvre de solutions technologiques apportant des réponses à des problèmes météorologiques (optimisation de l’usage de l’eau, filets paragrêle et anti-insectes, etc.). Le recours à l’irrigation est massif et les conflits locaux autour de l’eau s’accroissent. Les productions hivernales se diversifient tandis que les productions estivales deviennent de plus en plus difficiles (ex. sécheresses). Les approvisionnements en fruits et légumes dépendent d’imports depuis les voisins européens, notamment lors des étés les plus chauds.

Prise de conscience écologique

Ce deuxième scénario décrit une Europe connaissant des crises sanitaires et environnementales, avec plusieurs scandales, dont des maladies liées à l’exposition aux pesticides. Sous la pression de la société civile, appuyée par la communauté scientifique et des ONG, l’UE lance un plan ambitieux pour protéger ses ressources naturelles stratégiques, notamment l’eau, les sols et la biodiversité. Elle place l’agroécologie au cœur de cette stratégie et déploie une politique incitative favorisant l’entrepreneuriat agricole. Des normes à l’importation permettent de protéger le marché européen d’une concurrence internationale, laquelle impose à son agriculture des règles de production moins strictes.

Dans ce cadre, des financements renforcés via les programmes opérationnels (organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes de l’UE) sont fléchés, pour inciter les filières à réorganiser leurs bassins de production en fonction de l’évolution des biogéographies. L’urgence est au renouvellement progressif du verger français pour l’adapter au froid hivernal (principalement dans le Nord et le Nord-Est), permettre la vernalisation (dans le Sud) et mieux gérer les fortes chaleurs. Pour les nouvelles filières (patates douces, nèfles, figues de barbarie, cacahuètes, pistaches etc.), des efforts importants de communication et de pédagogie sont menés, en parallèle des investissements productifs. Ces campagnes de soutien tiennent compte des politiques nutritionnelles et créent des débouchés pour de nouveaux fruits et légumes français (nèfles, figues de barbarie, grenades, etc.).

Dans le même temps, la réduction des intrants et la transition vers de nouvelles variétés et espèces nécessitent des apprentissages techniques importants, ainsi qu’une adaptation des outils de production. Le risque de tensions sur les approvisionnements, en quantité (baisse des rendements) et en qualité (calibres, taches, etc.), est élevé. Les imports sont limités et des solutions alternatives se généralisent : multiplication des calibres, développement de la « 4e gamme » (produits crus prêts à l’emploi), etc.

« Du blé, du blé, du blé ! »

Ce troisième scénario anticipe une mondialisation accrue où les États européens, y compris la France, sont affaiblis par des crises à ­répétition (économiques, migratoires, climatiques, sanitaires, etc.). Ils priorisent alors la compétitivité des acteurs économiques en simplifiant et/ou levant des contraintes réglementaires, notamment environnementales. L’agriculture de firme devient de plus en plus la norme et donne la priorité aux grandes cultures. Le nombre d’exploitations de fruits et légumes chute drastiquement.

Dans ce contexte, il n’y a pas de réflexion stratégique au niveau national sur l’évolution des bassins de production. Les producteurs qui n’ont pas les moyens techniques ou financiers pour investir, ou ceux, proches de la retraite et qui n’en ont plus envie, abandonnent la production des espèces les plus à risque après quelques années de mauvais rendements. Ce sont les filières arboricoles qui souffrent le plus de ce désengagement. Les efforts de R&D privés et les exploitations agricoles se concentrent sur des cultures à production rapide et à hauts rendements (petits fruits comme la fraise, certains légumes), qui permettent une meilleure adaptation aux fluctuations de la demande. Certaines filières s’effondrent (abricots, pommes, poires, cerises, etc.), notamment en Occitanie, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Corse. La concurrence entre les acteurs ne permet pas les investissements nécessaires au développement de filières adaptées sur le long terme. La filière fruits et légumes s’hyperspécialise sur quelques espèces particulièrement résistantes, rentables, ou adaptées à la culture sous serre, qui se développe.

Reconquête opportuniste

Dans ce quatrième et dernier scénario, la France lance un plan ambitieux de « conquête », en matière de fruits et légumes, pour répondre à des objectifs sociaux et économiques, notamment de renforcement de la sécurité alimentaire et de qualité nutritionnelle de l’alimentation. Le pays voit dans le changement climatique une opportunité pour reprendre des parts de marché à l’Espagne et l’Italie, confrontées à de fortes contraintes climatiques. La France cherche à devenir le premier fournisseur de vitamines naturelles pour l’Europe, en mobilisant l’ensemble des maillons de la filière fruits et légumes et en augmentant sa production nationale.

Les financements, provenant d’arbitrages budgétaires ambitieux, permettent de soutenir le développement de nouvelles filières. Ils sont fléchés en cohérence avec les évolutions des aires de production. Les fruits et légumes traditionnellement produits en Espagne et dans le sud de l’Italie (tomate, courgette, agrumes) sont priorisés, au vu des difficultés que rencontrent ces deux pays. La France a l’opportunité de se positionner comme exportateur sur ces marchés au niveau européen. Les régions les plus propices à ce type de productions, telles que la Bretagne, la Normandie et le Nord-Pas-de-Calais, sont particulièrement accompagnées : formations, investissements dans des équipements adéquats, marketing, création de signes de qualité, essais variétés-terroirs pour identifier les variétés les plus intéressantes pour chaque zone, etc.

Conclusion

Cette note se concentre sur les conséquences d’une évolution de la géographie des productions de fruits et légumes en France, dans le contexte du changement climatique. Elle montre qu’un déplacement des bassins de production sera nécessaire pour maintenir les niveaux de production du pays en fruits et légumes La diversification des espèces et des variétés implantées devra également être privilégiée.

Ces changements nécessiteront de soutenir les exploitations afin de maintenir la compétitivité des filières et de réaliser des investissements. Cet accompagnement devra se faire sur le plan technique (ex. itinéraires culturaux, innovations variétales) et économique (ex. systèmes contractuels et assurantiels). Arriver à une meilleure adéquation des productions et des consommations sera un autre défi à relever dans les années à venir, tout en tenant compte des fondamentaux de l’économie agricole et des recommandations de santé publique. Le développement de certaines productions (ex. fruits à coque, patates douces) devra notamment être accompagné.

Les constats et scénarios présentés dans cette étude sont une contribution à la réflexion sur l’avenir du secteur des fruits et légumes en France. Ce travail a permis d’explorer les évolutions probables des filières fruits et légumes. Il revient maintenant à l’ensemble des parties prenantes de se saisir de ces éléments pour élaborer les décisions permettant de faire advenir le futur le plus souhaitable.

Alice de Bazelaire, Pauline Delpech, Bertrand Oudin - Ceresco
Serge Zaka - AgroClimat
Julie Blanchot, Marie Martinez - Centre d’études et de prospective


Notes de bas de page

1 Ceresco, AgroClimat, 2025, Quels futurs pour les filières fruits et légumes françaises d’ici 2040 ?, rapport pour le ministère de l’Agriculture, de l’Agro-alimentaire et de la Souveraineté alimentaire
2 MASA, Plan de souveraineté pour la filière fruits et légumes, 2023.
3 CGAAER, Prospective pour l’industrie agroalimentaire française à l’horizon 2040, 2025
4 FranceAgriMer, Étude sur les tendances de marché pour la pomme de terre française, 2024
5 Les Representative Concentration Pathways (RCP) présentés dans le 5e rapport d’évaluation du GIEC correspondent à quatre trajectoires d’évolution des concentrations de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère, pour le xxie siècle et au-delà.
6 Il s’agit du gel hivernal, de la date de fin de vernalisation (période de froid permettant la floraison), de la date de floraison, de la date de maturité, de l’intensité de sécheresse, du gel post-floraison, de la coulure (excès d’eau à la floraison) et du risque caniculaire.
7 Méthodologie GAEZ qui permet d’évaluer les ressources et le potentiel agricole des terres.
8 Purseigle, F., Nguyen, G. et Blanc, P., (dir.), 2017, Le nouveau capitalisme agricole. De la ferme à la firme, Presses de Sciences Po.

À télécharger