Crédit : Xavier Remongin/agriculture.gouv.fr

10 juin 2025 Info +

Qui s’installe en agriculture aujourd’hui ? - Analyse n°215

Les notes d’Analyse présentent en quatre pages l’essentiel des réflexions sur un sujet d’actualité relevant des champs d’intervention du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. Selon les numéros, elles privilégient une approche prospective, stratégique ou évaluative.

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Le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire a financé, en 2024, cinq recherches sur le thème des « nouveaux actifs agricoles ». Le projet AgriNovo, piloté par le Laboratoire de recherches en sciences sociales (LARESS) de l’École supérieure des agricultures (ESA Angers), visait à identifier les différents profils de personnes accédant aujourd’hui au statut d’agricultrice et d’agriculteur, en fonction notamment de leur origine sociale et de leur parcours de pré-installation1. Cette note en présente les principaux résultats. S’appuyant sur l’analyse de plus de 3 400 questionnaires d’agriculteurs installés en 2018 ou en 2022, cette recherche a permis d’établir une typologie des profils des nouveaux installés. Elle montre le rôle encore central de la socialisation familiale au métier et la diversité des ressources et des modes d’accès à ce statut.

Introduction

Longtemps caractérisé par une forte clôture sociale, le groupe socio-professionnel des agricultrices et agriculteurs tend à s’ouvrir, sous l’effet conjoint d’une baisse de l’homogamie sociale et du développement de nouvelles trajectoires d’entrée dans le métier. Ces parcours se sont diversifiés, entre détours professionnels préalables à l’installation d’enfants d’agriculteurs et reconversions de personnes non issues de ce milieu2. Les trajectoires scolaires et professionnelles, c’est-à-dire les modalités de socialisation et d’accès au métier, se sont transformées, de même que les modes de transmission de l’exploitation et de mobilisation du groupe familial sur celle-ci3. En particulier, l’installation agricole ne se fait plus nécessairement en couple, entre autres parce que les conjointes et conjoints d’agriculteurs et d’agricultrices exercent de plus en plus souvent une activité professionnelle différente4.

Ces transformations ont pu être interprétées comme une « crise de reproduction » de la paysannerie française5, voire une « crise de succession » touchant plus largement le métier agricole à l’échelle européenne6. Elles se traduisent en tout cas par une évolution des profils des nouveaux installés, dont l’ampleur et les caractéristiques restent mal documentées. Outre l’arrivée de « NIMA » (non issus du milieu agricole), catégorie désignant les personnes n’ayant pas grandi au sein d’une famille d’exploitants mais dont les contours exacts sont flous, et la hausse des installations « hors cadre familial »7, les trajectoires des personnes qui s’installent aujourd’hui restent mal connues. En effet, les données disponibles renseignent surtout sur les parcours des actifs en aval de leur entrée dans le secteur agricole8. Nous avons cherché à combler une partie de ces lacunes grâce à une enquête par questionnaire, auprès de l’ensemble des personnes ayant accédé au statut d’agriculteur ou d’agricultrice en 2018 ou en 2022 (encadré 1).

Encadré 1 - L’enquête Agrinovo

Notre enquête s’appuie sur une base de sondage constituée de l’ensemble des personnes inscrites à la MSA en tant que cotisants non-salariés au sein d’exploitations agricoles, et installées en 2018 ou en 2022, incluant les cotisants solidaires. Le choix de ces dates d’installation permettait de disposer de données sur des personnes nouvellement installées et présentait par ailleurs l’avantage de faciliter la mesure d’éventuels effets de la pandémie de Covid-19.

Sur une population mère de 29 216 personnes installées en 2018 ou 2022 (soit la population exhaustive d’installés à ces dates, à l’exception des personnes décédées, n’ayant pas fourni de mail de contact ou refusant d’être contactées, et d’un échantillon de 370 personnes déjà interrogées dans le cadre de l’enquête AgriTempo, financée dans le cadre du même appel à projets que notre enquête), nous avons obtenu 3 397 réponses complètes et exploitables. Les données ont été redressées à l’aide d’informations issues de la MSA et du recensement agricole 2020, notamment sur le niveau de diplôme et l’année d’installation, afin de coller au plus près à notre population cible.
Le questionnaire a été conçu à partir des résultats d’une enquête sociologique préalable auprès de personnes récemment installées en Loire-Atlantique et en Maine-et-Loire. Outre des informations sur les caractéristiques de l’exploitation (statut juridique, taille, type de production) et les pratiques des exploitants (modes de production, de commercialisation, etc.), le questionnaire a permis de saisir l’origine sociale des enquêtés, leur parcours scolaire et professionnel, ainsi que leur exposition à différentes formes de socialisation agricole (parents agriculteurs ou présence d’agriculteurs dans la famille élargie, expériences professionnelles ou informelles sur une exploitation, formation agricole ou non, initiale ou continue). Ont également été identifiés les modes de socialisation non-agricoles, comme le fait d’avoir vécu en ville ou d’avoir été en couple avec une personne ne travaillant pas dans l’agriculture.
À partir de ces données, nous avons réalisé une analyse des correspondances multiples (ACM) afin de synthétiser le grand nombre de variables obtenues sur ces nouveaux exploitants. Cette ACM a permis de projeter les informations individuelles selon trois axes : le premier concerne le niveau et les modalités de formation et de qualification, le deuxième le degré de socialisation au milieu agricole, le troisième l’origine sociale et les expériences. Enfin, une classification ascendante hiérarchique (CAH) a permis de différencier cinq types de parcours d’installation (figure 1).

Figure 1 - Les cinq types de parcours d’installation

Les cinq types de parcours d’installation

Figure 1 :Cette figure représente, en cinq graphiques, la projection des cinq types de parcours identifiés sur le plan factoriel issu de l’analyse en composantes multiples. Ces cinq groupes occupent des positions différentes dans le plan.

Lecture : les données individuelles sont ici projetées dans le plan factoriel des axes 1 (vertical, expliquant 57 % de la dispersion de l’échantillon : niveau de qualification croissant) et 2 (horizontal, 22,4 % de la dispersion : degré de socialisation croissant au milieu agricole). Les axes complémentaires (3 : origine sociale, 10,6 %) contribuent à distinguer les classes mais ne sont pas représentés.
Source : Auteurs

L’analyse des informations recueillies a permis d’élaborer une typologie de profils qui donnent à voir cinq grandes modalités d’accès au statut d’agriculteur ou d’agricultrice aujourd’hui, ainsi que la diversité de leurs trajectoires professionnelles. Chaque partie de cette note est consacrée à l’un de ces types.

Les « héritiers bien préparés » ou la transmission multi-dimensionnelle du métier

La première classe est à la fois la plus nombreuse (1 170 individus, 34 % des répondants) et la plus homogène, par la concentration de ses membres dans l’espace factoriel de notre classification ascendante hiérarchique (figure 1). Elle regroupe des « héritiers », au sens où l’immense majorité (96 %) ont au moins un parent agriculteur. Nettement masculine (81 % d’hommes), cette classe est composée d’individus sensiblement plus jeunes que la moyenne, puisque 80 % d’entre eux ont moins de 35 ans au moment de l’installation, et même la moitié moins de 25 ans, contre 47 % qui ont moins de 35 ans et 8 % moins de 25 ans dans le reste de l’échantillon des répondants. Leur installation rapide se fait à l’issue d’un parcours de socialisation au métier très complet, où ils diversifient les ­modalités d’apprentissage au travail d’exploitant agricole. Ils cumulent en effet des expériences informelles (participation fréquente au travail sur l’exploitation familiale pour 88 % d’entre eux) et formelles (formation agricole initiale, expériences comme apprentis ou salariés agricoles). De plus, ils apprennent le métier sur différentes exploitations (88 % ont eu au moins une expérience sur l’exploitation de tiers en dehors de leur famille).

Cette multiplication des expériences est le signe d’une construction au long cours d’une « vocation agricole »9. Elle se manifeste dans les motivations à l’installation évoquées par les membres de cette classe : pour un tiers d’entre eux, c’est le souhait de reprendre l’exploitation familiale ou le métier de leurs parents qui vient en premier. On est donc bien en présence « d’héritiers », comme en témoignent les modalités d’installation : les reprises d’exploitations y sont très majoritaires et les créations (15 %) deux fois moins fréquentes que dans l’ensemble de l’échantillon. Le plus souvent, l’exploitation reprise appartenait exclusivement à des membres de la famille (3 cas sur 4) : on a donc affaire à une transmission familiale qui ne consiste pas simplement à trouver un repreneur à des fins économiques, mais à s’assurer, pour les parents, qu’ils n’ont pas « travaillé pour rien »10 et que leur investissement sur l’exploitation va pouvoir profiter à un de leurs enfants.

Les « héritier(e)s sans vocation » : un ancrage agricole mais une moindre socialisation au métier

À ces « héritiers bien préparés », dont le parcours relativement linéaire, jusqu’à l’installation, reflète un long travail d’inculcation de la vocation et de socialisation professionnelle, s’oppose un deuxième type « d’héritiers » dont l’installation semblait ne pas autant aller de soi, et qui représentent 22 % des réponses (752 individus). Ce sont aussi des héritères et héritiers, dans la mesure où cette classe regroupe là encore principalement des enfants d’agriculteurs (71 %), mais avec cette fois une majorité de femmes (61 %). Toutefois, 92 % ont exercé un autre métier en dehors de l’agriculture avant de s’installer. Le fait que ces héritières et héritiers s’engagent d’abord massivement dans une autre carrière révèle qu’ils ne se destinaient pas a priori au métier d’agriculteur. Il pourrait s’agir d’un indice de « vocations agricoles contrariées » par des « conditions matérielles, à la fois financières et foncières », qui les empêchent de s’installer, de manière analogue aux « héritiers sans héritage » que Frédéric Nicolas identifie dans l’agriculture biologique11. Mais cette classe s’en distingue car ses membres semblent être « sans vocation », au sens où l’on ne retrouve pas de logiques d’inculcation du métier tout au long du parcours et en vue d’une transmission.

En effet, plus des deux tiers n’ont pas suivi de formation agricole initiale. De plus, près d’un tiers ne fait part d’aucune expérience antérieure de travail sur une exploitation, auxquels s’ajoutent 43 % qui indiquent n’avoir que des expériences informelles (« coups de main » donnés en dehors de tout contrat de travail, le plus souvent sur des exploitations de membres de la famille). L’investissement sur l’exploitation familiale est ainsi moindre : 18 % indiquent ne « jamais ou presque » avoir participé au travail sur celle-ci et 33 % « parfois, occasionnellement » (contre 1 % et 10 % respectivement des « héritiers bien préparés »). Alors que le travail de construction de la vocation, engagé par les parents agriculteurs en vue de s’assurer un successeur, cible généralement les fils plutôt que les filles, le fait que cette classe regroupe une majorité de femmes est cohérent avec l’idée d’une absence de vocation constituée au long cours.
Par ailleurs, Frédéric Nicolas repérait chez les « héritiers sans héritage » une tendance à se mettre en couple avec des personnes plus qualifiées, tout en gardant un ancrage dans les réseaux de sociabilité et le milieu agricoles. Ici, à l’inverse, les membres de cette classe des « héritier(e)s sans vocation » sont sensiblement moins investis dans les sociabilités agricoles que les « héritiers bien préparés », et assez souvent en couple avec un agriculteur ou une agricultrice (plus d’un cas sur trois). On peut y voir le signe que l’installation procède moins, pour eux, du réinvestissement d’une « vocation agricole contrariée »12 que d’une « re-socialisation » au métier par le conjoint. Celle-ci intervient après avoir d’abord accepté de ne pas hériter du métier et de l’exploitation familiale, et après avoir envisagé une carrière dans un autre secteur professionnel, comme employé (42 %) ou ouvrier (24 %). Ce serait pour certaines et certains une manière d’accéder au statut d’agriculteur par le couple.

Les classes populaires hors cadre : un ancrage rural plus qu’agricole

Dans la troisième classe, regroupant 16 % des répondants (551 individus), on retrouve des exploitants qui, bien que n’étant pas enfants d’agriculteurs (97 %), en avaient très souvent un parmi les membres de leur famille (près des trois quarts). Ceci semble traduire un ancrage rural plutôt qu’agricole à proprement parler. En effet, parmi les modalités les plus associées à cette classe, on trouve le fait de n’avoir « jamais ou presque » participé au travail sur l’exploitation de membres de la famille (près d’un tiers des cas), le fait d’avoir repris une exploitation qui appartenait à des personnes hors famille (40 %) et d’avoir eu des expériences professionnelles sur des exploitations également hors famille (près des deux tiers). À l’inverse, seulement un quart des membres de cette classe s’installe en reprenant une exploitation appartenant à des membres de leur famille, ce qui est deux fois inférieur à la moyenne des répondants. De fait, cette classe correspond davantage à des installations hors cadre familial.

L’ancrage rural de ces exploitants se mesure par ailleurs au fait que 90 % d’entre eux déclarent avoir vécu dans une zone rurale avant leur installation. Majoritairement issus d’un ménage ouvrier (56 %) ou à dominante employée (20 %), ils sont issus des classes populaires rurales et 60 % occupaient un emploi d’ouvrier ou d’employé avant leur installation (à égales proportions). Leur socialisation à l’agriculture passe alors par le fait d’avoir suivi une formation agricole initiale (pour les deux tiers) relativement courte : seulement 30 % ont un BTS agricole ou un diplôme agricole de niveau plus élevé, contre 51 % pour les héritiers bien préparés. Ils ont aussi accumulé de l’expérience en tant que salarié sur une exploitation (pour les deux tiers également).

Leurs principales motivations à l’installation reflètent leur appartenance aux classes populaires rurales. Le souhait de travailler dehors et de ne pas être sous les ordres d’un patron sont surreprésentés, évoquant la valorisation du travail à l’extérieur par la classe ouvrière13 et la volonté de s’installer à son compte pour échapper aux relations de subordination14. Notons enfin que les membres de cette classe sont majoritairement des hommes (62 %), dans des proportions similaires à l’ensemble de l’échantillon.

Les reconvertis des classes moyennes : une bifurcation vers l’agriculture

La quatrième classe, qui regroupe 20 % des répondants (667 personnes), est composée d’individus dont l’installation constitue une « bifurcation »15, au sens où elle survient ­malgré un faible ancrage dans le milieu agricole voire rural. N’ayant pour les trois quarts pas de parents agriculteurs, ses membres s’installent en créant leur propre exploitation (82 % des cas) et ils passent plus souvent que les autres par des agences immobilières, ayant une activité foncière, pour accéder aux terres (20 % contre 6 % de l’ensemble16). Ceci constitue un indice du peu de liens qu’ils entretiennent avec des agriculteurs et agricultrices, dont ils seraient susceptibles de reprendre l’exploitation ou qui leur donneraient accès à des terres. Ils ont plus souvent habité en zone urbaine avant leur installation (41 % contre 21 % des répondants) et ont aussi connu plusieurs expériences professionnelles : les trois quarts ont eu au moins deux métiers différents avant d’entrer en agriculture. C’est en cela qu’on peut considérer que leur installation constitue une bifurcation, une rupture dans leur parcours professionnel, d’où un âge d’installation relativement élevé : 31 % ont plus de 40 ans, contre 21 % des autres répondants.

Par ailleurs, si la classe précédente était fortement associée aux classes populaires, celle-ci a une proximité plus marquée avec les classes moyennes. Certes 10 % de ses membres étaient ouvriers avant leur installation, et 39 % employés, mais on trouve aussi un quart d’ex-professions intermédiaires et 16 % d’anciens artisans-commerçants. Du point de vue de leur origine sociale, 37 % sont issus d’un ménage à dominante cadre ou intermédiaire, 16 % d’un ménage ouvrier et 20 % d’un ménage à dominante employée. Enfin, les membres de cette classe, qui comprend une proportion égale d’hommes et de femmes, sont plus souvent en couple avec des artisans ou des commerçants (14 %), des employés (21 %) ou des professions intermédiaires (15 %) que l’ensemble des répondants (respectivement 5, 17 et 10 %). Leurs origines sociale et professionnelle, autant que le statut socioprofessionnel de leur conjoint, leur procurent des capitaux favorisant leur installation.

Cette classe se distingue des précédentes par les pratiques de ses membres17 : les trois quarts commercialisent leur production uniquement en circuit court (un tiers de l’ensemble des répondants), près d’un tiers se consacre au maraîchage (15 % de l’ensemble) et 60 % déclarent un mode de production biologique (seulement un tiers du total). Cette classe évoque des profils de « néo-ruraux » qui, sans réifier cette catégorie, tendraient à s’engager en agriculture pour y défendre des valeurs et une vision spécifique du métier18. Toutefois il ne faut pas surestimer le caractère militant de ces reconversions : si 13 % des membres de cette catégorie adhèrent à la Confédération paysanne, syndicat le plus représenté pour cette classe, la tendance est davantage à la non-adhésion avec 72 % de non syndiqués (64 % pour l’ensemble des répondants). C’est d’ailleurs le groupe des « héritiers bien préparés » qui est le plus engagé professionnellement, davantage investi dans le syndicat majoritaire qu’est la FNSEA et dans la gouvernance de différentes organisations professionnelles agricoles.

Les reconvertis et contre-mobiles des classes supérieures urbaines : l’agriculture pour changer de cadre ?

La dernière classe (257 répondants, 8 % du total) regroupe des individus qui se distinguent nettement par leur appartenance aux classes supérieures urbaines, avant leur installation. Plus de 80 % d’entre eux occupaient un emploi de cadre ou de profession intellectuelle supérieure, 85 % disposaient d’un diplôme de niveau bac + 5 ou plus, et près des deux tiers habitaient en zone urbaine. Plus du tiers étaient également en couple avec un ou une conjointe cadre ou profession intellectuelle supérieure au moment de leur installation. Leur ancrage dans les classes supérieures se retrouve aussi dans leur origine sociale : 62 % sont issus d’un ménage à dominante cadre ou intermédiaire.

Au vu de ces éléments, on peut penser que cette classe regroupe, comme la précédente, une part importante de « reconvertis ». Elle se distingue toutefois par la présence d’une proportion significative d’enfants d’agriculteurs (42 %) qui, bien qu’inférieure à celle de l’ensemble des répondants (55 %), reste nettement plus élevée que chez les « reconvertis des classes moyennes » (12 %). Cette classe regroupe donc des personnes pour qui l’installation représente une mobilité professionnelle (seuls 4 % n’ont pas exercé un autre métier avant de s’installer), mais aussi, pour une partie, une « contre-mobilité »19 : un retour vers la catégorie socio-professionnelle des parents après avoir occupé une autre position professionnelle plus avantageuse.

L’une des principales caractéristiques de cette classe est son haut degré de qualification, y compris dans le secteur agricole : 30 % de ses membres possèdent un diplôme de niveau bac + 5 en lien avec l’agriculture (agronomie, gestion des entreprises agricoles, etc.). Ce point est important car il nuance l’image de néo-ruraux très qualifiés qui seraient étrangers au monde agricole.

Cette classe est d’abord structurée par le fait d’avoir appartenu aux classes supérieures (des points de vue du niveau de diplôme, du métier exercé, de la catégorie socioprofessionnelle du conjoint), mais elle ne réunit pas pour autant que des personnes étrangères au monde agricole. Ce résultat va dans le sens de travaux ayant étudié les « néo-ruraux » ou « néo-agriculteurs »20. Par contraste avec la classe précédente, qui regroupe également des « néo-ruraux », celle-ci se distingue en ce qu’elle concerne des personnes rencontrant moins de difficultés, en particulier économiques. Et contrairement à la classe précédente, elle ne compte qu’une petite majorité d’hommes (58 %).

Conclusion

La littérature sociologique sur les agriculteurs et les grilles de lecture de ce monde professionnel véhiculées par la société distinguent souvent les « héritiers » des « NIMA ». Les résultats de la recherche Agrinovo amènent à s’éloigner de cette représentation simpliste et binaire.
Ils montrent d’abord la diversité des trajectoires et des ressources des enfants d’agriculteurs, que l’on ne peut réduire à un groupe homogène d’individus héritant d’un métier, d’un statut et d’un patrimoine. Certains embrassent un destin « tout tracé », où la socialisation professionnelle renforce la socialisation familiale et se réactualise dans un engagement syndical qui donne le la de la profession. D’autres héritières et héritiers, après un détour par des milieux professionnels ou des études supérieures loin des mondes agricoles, reviennent à leurs origines sociales, mais chargés de nouvelles dispositions qui en feront des agricultrices et agriculteurs différents des premiers.
Ces résultats confirment la nécessité d’abandonner le terme de « NIMA », qui véhicule des stéréotypes associés au « manque », au « déficit », et qui masque les ressources mobilisées par ces individus pour accéder au statut d’agriculteur. Issus des classes moyennes et supérieures par leur origine sociale, leur trajectoire professionnelle antérieure ou via la situation de leur conjoint, certains de ces reconvertis disposent de capitaux économiques et culturels qui compensent leur absence d’héritage agricole. D’autres, après une formation initiale généraliste, se forment et travaillent en agriculture, accumulant compétences et réseaux professionnels indispensables à l’installation. Enfin, et c’est plutôt une surprise, on trouve parmi les non-héritiers des individus issus des classes populaires, qui doivent à leur ancrage rural une proximité avec le groupe des agriculteurs et avec des institutions de formation qui les socialisent très jeunes aux mondes agricoles. Leurs pratiques professionnelles hétérogènes ne les rapprochent ni tout à fait des héritiers ni des mobiles des classes moyennes et supérieures.

Antoine Dain
LARESS (USC INRAE-ESA)
Cerlis (Université Paris Cité)

Caroline Leroux
LARESS (USC INRAE-ESA)
Cerlis (Université Paris Cité)

Caroline Mazaud
LARESS (USC INRAE-ESA)
CENS (Université de Nantes)

Bertille Thareau
LARESS (USC INRAE-ESA)


Notes de fin

1- Dain A., Leroux C., Mazaud C. (coord.), Thareau B., 2025, Portrait social des nouveaux agriculteurs, parcours d’installation, pratiques et rapports au métier, rapport pour le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. La recherche a été menée par le LARESS avec l’appui de Chambres d’agriculture France et du Centre d’études et de prospective. Nous remercions tout particulièrement Jean-Noël Depeyrot pour son aide précieuse.

2 - Dubuisson-Quellier S., Giraud C., 2010, « Agriculteurs et société : entre clôtures et passerelles », dans Hervieu B. et al., Les mondes agricoles en politique, Presses de Sciences Po, pp. 111 129.

3 - Bessière C., Bruneau I., Laferté G., 2014, « Introduction : Les agriculteurs dans la France contemporaine », Sociétés contemporaines, 96, n° 4, pp. 5 26.

4 - Giraud C., 2014, « Une distance sociale intime. Hétérogamie parentale et choix de l’agriculture par les fils et filles d’agriculteur », dans Boudjaaba F. (dir.), Le travail et la famille en milieu rural, xvi e -xxi e siècle, Presses universitaires de Rennes, pp. 185 206.

5- Champagne P., 2002, L’héritage refusé. La crise de la reproduction sociale de la paysannerie française, 1950-2000, Seuil.

6 - Burton R.J.F., Fischer H., 2015, « The Succession Crisis in European Agriculture », Sociologia Ruralis, 55, n° 2, pp. 155 166.

7 - L’installation « hors cadre familial » s’entend comme l’installation sur une exploitation agricole indépendante de l’exploitation d’un parent (ou d’un parent du conjoint lié par un pacs ou un mariage) jusqu’au 3e degré, collatéraux inclus (au sens des articles 741 et suivants du code civil).

8 - Mahé M., Jacques-Jouvenot D., et al., 2019, « La mobilité professionnelle des agriculteurs », dans Forget V. et al., Actif’Agri. Transformations des emplois et des activités en agriculture, Centre d’études et de prospective, Ministère de l’agriculture et de l’alimentation, La Documentation française, pp. 100-113.

9 - Bessière C., 2003, « Une profession familiale : les trois dimensions de la vocation agricole », dans Gojard S., Gramain A., Weber F., (dirs.), Charges de famille. Dépendance et parenté dans la France contemporaine, La Découverte, pp. 237 273.

10 - Bessière C., 2010, De génération en génération : arrangements de famille dans les entreprises viticoles de Cognac, Raisons d’agir.

11 - Nicolas F., 2017, « L’agriculture biologique : un travail pas comme les autres ? », Tracés. Revue de Sciences humaines, n° 32, pp. 69 90.

12 - Bessière C., 2010, op. cit.

13 - Weber F., 1989, Le travail à-côté : étude d’ethnographie ouvrière, Inra et EHESS.

14 - Gros J., 2017, « Travailleurs indépendants mais subalternes. Les rapports à l’indépendance des bûcherons non salariés », Sociologie du travail, 59, n° 4.

15 - Bessin M., Bidart C., Grossetti M., 2010, Bifurcations : les sciences sociales face aux ruptures et à l’événement, La Découverte.

16 - Sur l’ensemble des répondants, près de quatre installations sur cinq ont bénéficié d’une proposition par des proches et 9 % sont passés par la chambre d’agriculture ou la SAFER.

17 - Ces variables de pratiques étaient utilisées comme variables supplémentaires dans l’ACM et n’intervenaient donc pas dans la structuration des différentes classes, ce qui n’empêche pas de s’intéresser à la répartition de leurs modalités et de repérer des écarts entre les classes.

18 - Bruneau I., 2006, La Confédération paysanne : s’engager à « juste distance », thèse de doctorat de science politique, Paris 10. Leroux B., 2013, « Devenir agriculteur biologique. Approche des processus de (re)conversions professionnelles », Regards sociologiques, n° 45 46, pp. 233 246. Paranthoën J.-B., 2021, « Des reconversions professionnelles en train de se faire vers le maraîchage biologique. Ethnographie d’une formation », Travail et emploi, 166 167, n° 3 4, pp. 103 129. Samak M., 2021, « Devenir agriculteur biologique. Les conditions sociales d’une hétérodoxie professionnelle », Sociétés contemporaines, 124, n° 4, pp. 125 150.

19 - Bertaux D., 1974, « Mobilité sociale biographique. Une critique de l’approche transversale », Revue française de sociologie, 15, n° 3, pp. 329 362.

20 - Bruneau I., 2006, op. cit. ; Samak M., 2021, op. cit.