
Les installés « non issus du milieu agricole » : des producteurs comme les autres ? - Analyse n°218
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Les notes d’Analyse présentent en quatre pages l’essentiel des réflexions sur un sujet d’actualité relevant des champs d’intervention du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. Selon les numéros, elles privilégient une approche prospective, stratégique ou évaluative.
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Le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire a financé, en 2024, cinq recherches sur le thème des « nouveaux actifs agricoles ». Le projet AgriDinamo, piloté par l’INP-AgroToulouse, visait à caractériser ces nouveaux actifs, en s’intéressant à leur profil socio-démographique et à leur trajectoire professionnelle, mais également au projet d’installation et à l’organisation productive qu’ils portent1. Cette note en présente certains résultats. Elle montre que ces nouveaux actifs participent, au même titre que les autres, au renouvellement des structures agricoles. En documentant la grande diversité des projets d’entreprise et la complexité des processus d’installation, elle remet en cause l’existence d’une dualité entre exploitants issus et non issus du milieu agricole.
Introduction
Alors qu’une baisse conséquente du nombre d’entreprises agricoles est à prévoir dans les prochaines années, le profil de « nouveaux actifs » interroge et soulève des débats : qui sont-ils ? Quels projets entrepreneuriaux et organisations productives portent-ils ? Parviennent-ils à atteindre leurs objectifs ? Si le terme « nouvel actif » peut être employé dans le sens « d’installé récent », il est de plus en plus fréquemment employé, dans le débat public et la littérature scientifique et professionnelle, pour désigner une catégorie particulière de nouveaux entrants : les agriculteurs « non issus du milieu agricole » (NIMA). Ceux-ci se distinguerait des autres par leur filiation non agricole et une installation hors cadre familial (HCF). Mais ces caractéristiques font-elles pour autant de ces NIMA une population singulière de nouveaux entrants par rapport aux autres, issus du monde agricole (IMA) ? Comment qualifier ce qui fait nouveauté, dans un contexte économique et social mouvant, où la nouveauté en matière de projets, de formes d’organisation de la production, et même de façons de considérer son métier, est omniprésente et souvent indépendante des profils socio-démographiques ?
Les résultats présentés dans cette note sont issus du projet de recherche AgriDinamo, mené en 2024, qui combine une analyse statistique descriptive des données du Recensement agricole de 2020 (RA2020) avec une analyse qualitative de données d’enquêtes menées dans les départements de l’Hérault, du Gard et de la Lozère (encadré 1). AgriDinamo ambitionne de mieux définir et caractériser ces « nouveaux actifs », en articulant trois dimensions indissociables du schéma d’installation, à savoir le profil socio-démographique et la trajectoire de la personne qui entre dans le métier, le projet d’installation que cette dernière porte et l’organisation productive qu’elle cherche à mettre en place. Ce faisant, cette étude permet d’enrichir la définition du « nouvel actif », qui se cantonne trop souvent, selon nous, au profil du nouvel entrant et à sa trajectoire, au détriment des deux autres dimensions (projet et organisation). Cette caractérisation des triptyques « profil, projet, organisation » passe par une meilleure compréhension de la manière dont le nouvel entrant met en œuvre son projet professionnel ou de vie, arrive ou pas à l’aligner avec les structures d’exploitation qui se libèrent, reste ou pas dans la profession, etc.
Encadré 1 - Démarche méthodologique
Notre travail a articulé deux volets complémentaires visant à caractériser les triptyques « profil, projet, organisation » chez des installés récents (moins de 6 ans).
Le premier volet a consisté, dans le prolongement de précédents travaux2, à classer les 388 714 entreprises agricoles de France métropolitaine à partir des données du RA2020. Cette typologie s’est appuyée sur un ensemble de variables indicatrices de la taille de l’entreprise, de sa stratégie productive, sa gouvernance et son organisation, et de la main-d’œuvre qu’elle utilise. Pour chaque type d’entreprises, les profils socio-démographiques des installés depuis 2014 ont ensuite été déterminés, afin de voir si les installés récents HCF étaient davantage présents dans certains types.
Le deuxième volet propose une analyse comparative de 66 triptyques profil, projet, organisation chez des agriculteurs nouvellement installés. Ces triptyques ont été reconstitués à partir d’entretiens semi-directifs réalisés entre mars et décembre 2024 (23 en Lozère, 22 dans l’Hérault, 21 dans le Gard). Les personnes interrogées ont été identifiées à partir de contacts fournis par les organismes d’accompagnement de l’installation. Ce volet a notamment permis de caractériser plus finement les NIMA que l’étude statistique ne l’avait permis.
La première partie propose une typologie des entreprises agricoles et étudie la répartition des installés hors cadre familial (HCF) dans chacun des types identifiés. La deuxième partie s’intéresse aux parcours d’entrée dans le métier d’agriculteurs NIMA, et discute de ce qui les distingue ou pas des autres.
Repérage statistique des installés hors cadre familial à l’échelle nationale
Malgré l’intérêt croissant porté aux NIMA3, il est à ce jour difficile de les quantifier. Le repérage statistique proposé ici s’appuie sur une typologie d’entreprises agricoles construite avec les données du RA2020, au sein de laquelle la répartition de toutes les installations récentes (moins de 6 ans, soit depuis 2014) a été étudiée (figure 1). Comme il n’existe pas de variables dans le RA2020 permettant d’identifier la filiation des exploitants-dirigeants, la population des NIMA a été approchée par excès, en considérant l’ensemble des installés hors cadre familial (HCF)4. Elle inclut donc également des agriculteurs issus du milieu agricole mais installés en dehors de l’entreprise familiale.
Typologie des entreprises agricoles et dynamiques d’installation
La typologie des entreprises agricoles identifie 12 types (figure 1) que nous pouvons rassembler en trois groupes :
Figure 1 - Répartition des entreprises agricoles des nouvellement installés (moins de 6 ans) et des installés hors cadre familial dans la typologie d’entreprises agricoles

Figure 1 Un graphique présente la répartition des exploitations et des installations récentes par type, ainsi que, pour chaque type, la part des installés « hors cadre familial » parmi les installés récents. Par exemple, le type T2 rassemble plus de 40 % du total des exploitations, mais seulement un tiers des installés récents, et la part des installés « hors cadre familial » dans le total des installés récents n’y est que de 19 %.
Source : auteurs, rapport final p. 32, d’après le Recensement agricole 2020
Les micro-entreprises à activité limitée dirigées par des chefs d’exploitation plutôt âgés et en fin de carrière (T0a, T0b) ou pluriactifs (T0c). Elles se distinguent non seulement par leur très faible taille économique (Production brute standard (PBS)5 moyenne < 3 000 €), mais aussi par le statut du chef d’exploitation (fréquemment retraité ou pluriactif). Ce dernier maintient un très faible niveau d’activité (Équivalent temps-plein (ETP) moyen < 0,2). Il travaille généralement seul sur de très petites surfaces emblavées en céréales (T0a), en externalisant une grande part des travaux (T0b). L’appui d’une main-d’œuvre familiale n’est que ponctuel et concerne surtout des structures plus diversifiées (T0c). 7 % des installés récents relèvent de ce groupe. Leur âge moyen au moment de l’installation est relativement élevé (48 ans pour le T0a, 45 ans pour les deux autres types) et ils sont en grande majorité sans formation agricole. Au sein de ce groupe, c’est pour le type T0c que le nombre d’installés récents est le plus important, proportionnellement à son effectif. Bien que l’on observe encore des installations dans ce groupe, celles-ci sont largement insuffisantes pour compenser les départs. Ainsi, ses effectifs ont diminué de 51 % entre 2010 et 2020, passant de 68 455 à 33 439. Ce groupe ne représente plus en 2020 que 7 % des exploitations françaises.
Les entreprises de taille petite (T1a, T1b) à moyenne (T2) dirigées par un chef d’exploitation souvent pluriactif et travaillant seul. Ce type se différencie du premier principalement par la dimension économique des entreprises (PBS moyenne de 50 000 € à 150 000 €). Pour le reste, les caractéristiques sont similaires au précédent : l’exploitant-dirigeant travaille généralement seul lorsque l’entreprise est spécialisée en céréales (T1a, T1b), et il fait appel à une main-d’œuvre salariée et à la sous-traitance lorsque l’entreprise est plus grande et en polyculture-élevage (T2). Au sein de ce groupe, la part des nouveaux installés est plus forte parmi les exploitations de type T1 (22 à 26 %) que parmi celles de type T2 (15 %). Enfin, ce groupe qui représente 60 % des exploitations en 2020, a lui aussi connu depuis 2010 une baisse significative de 24 % de ses effectifs (passant de 306 487 à 233 228), ce qui témoigne d’une dynamique d’installation insuffisante pour compenser les départs.
Les entreprises de taille moyenne à très grande, « complexes » par leur gouvernance et leur organisation (T3 à T8). Les entreprises qui constituent ce groupe se caractérisent non seulement par leur grande dimension économique (de 150 000 à plus d’1 million d’euros), mais aussi par un volume élevé de main-d’œuvre (plus de 3 ETP en moyenne pour T5 à T8) en majorité salariée (de 50 à 100 % pour T6 à T8), une architecture organisationnelle multi-sociétaire et une gouvernance complexe, avec pour certaines (T4, T6, T7, T8) des associés non exploitants et la présence de capitaux externes. On y observe plusieurs modèles productifs, répondant à une stratégie de diversification d’activités couplée à des démarches de certification environnementale (T3), d’association d’entreprises (T5), de multi-spécialisation avec diverses activités abritées chacune dans une société dédiée (T6), ou bien de concentration productive (T4, T7, T8). Notons que le type T8 présente toutes les caractéristiques d’une « firme »6 (capital non familial et main-d’œuvre salariée), tandis que les T6 et T7 s’en rapprochent. Au sein de ces différents types, la proportion de nouveaux installés est généralement plus importante que dans les autres types (22 % dans le T3 et même 39 % dans le T7 contre 15 % dans le T2 par exemple). Il est fort probable que cette dynamique d’installation ait contribué à l’augmentation de 12 % du nombre d’entreprises de ce groupe (passant de 110 891 à 124 388), qui rassemble aujourd’hui 32 % des entreprises agricoles.
Ce travail de typologisation met en évidence les dynamiques de renouvellement des structures agricoles à l’œuvre entre les deux derniers recensements. On assiste à un phénomène d’agrandissement couplé à une complexification des structures agricoles, qui se matérialise par une croissance des effectifs d’exploitations correspondant aux types T3 à T8, en partie soutenue par des installations récentes. À rebours, les structures plus classiques (T0, T1 et T2) tendent à reculer. L’étude de la part des installés hors cadre familial, dans chacun de ces types, permet de voir dans quelle mesure ceux-ci contribuent ou pas à ces dynamiques.
Des HCF présents dans tous les types d’entreprises agricoles, mais surtout dans certaines formes complexes
De manière générale, la part des installés récents hors cadre familial, dans chacun des types préalablement identifiés, varie peu et est comprise entre 30 et 40 %. Trois catégories font toutefois exception : les « très grandes associations d’élevage » (T5), type GAEC, qui se distinguent par une proportion d’installés HCF faible (25 %), et les « entreprises diversifiées multi-certifiées » (T3) ainsi que les exploitations « de firme » (T8), pour lesquelles, au contraire, la part d’installés hors cadre familial est importante (respectivement 50 et 70 %).
Il n’est pas surprenant d’observer un nombre relativement important d’installations récentes dans le cadre familial dans le type T5. La structure du GAEC est en effet bien connue pour sa capacité à améliorer l’organisation du travail, sécuriser un certain niveau de revenu et faciliter la transmission intra-familiale. À rebours, l’entrée d’un hors cadre familial dans ce type de structure est difficile.
La proportion importante d’installés hors cadre familial dans les types d’entreprises complexes, sur les plans organisationnel et de la structure capitalistique (T3 et T8), est plus inattendue. Par rapport à l’ensemble des installés HCF, ceux-ci sont parmi les plus jeunes (35 ans en moyenne), rarement pluriactifs (7 %) et ils disposent la plupart du temps d’une formation agricole (77 %). Ces formes d’installation ne vont pas d’elles-mêmes, compte tenu du coût d’entrée dans ce type d’entreprises. On peut émettre l’hypothèse qu’il s’agit d’installation en tant qu’associé-dirigeant (salarié ou non), ou en tant qu’investisseur (associé non dirigeant). Alors que la littérature économique mentionne une installation privilégiée des NIMA dans des fermes collectives ou sur de petites structures7, ce résultat remet en cause ces conclusions et laisse à penser que certains NIMA peuvent être porteurs de projets entrepreneuriaux différents. On ne peut pas totalement exclure non plus qu’une partie de ces installations HCF sur des structures complexes soient le fait de personnes issues en réalité du monde agricole.
Le cadrage statistique réalisé à partir des données du RA2020 suggère que les installations hors cadre familial participent aussi au renouvellement des structures d’exploitation. Elles semblent en particulier soutenir l’essor de certaines formes d’entreprises, de taille moyenne à grande, diversifiées et engagées dans des démarches de certification, ou encore les très grandes exploitations aux allures de firme.
Pluralité et dynamiques des triptyques « profil-projet-structure » : le cas du Languedoc
L’analyse qualitative des enquêtes réalisées dans le cadre du volet 2 de ce projet de recherche complète l’approche statistique présentée précédemment, en précisant le processus d’entrée dans le métier d’agriculteurs récemment installés. Ces enquêtes ont été menées dans l’est de la région Occitanie, où selon des données de la MSA 3 800 nouvellement installés ont été comptabilisés entre 2018 et 2023. Leur répartition dans les 12 types de la typologie RA2020 est similaire à celle observée au niveau national, avec des spécificités propres au Languedoc, à savoir une prédominance d’entreprises en viticulture et des entreprises de petite taille dans l’Hérault. 29 des 66 enquêtés sont issus du monde agricole, et 37 ne le sont pas.
Des NIMA8 pas si différents des autres installés récents
Il apparaît que la distinction NIMA/IMA ne permet pas aujourd’hui de qualifier de façon satisfaisante le triptyque « profil, projet, organisation » des nouveaux actifs. En effet, ces deux populations ne constituent pas deux ensembles parfaitement distincts. Certes, la comparaison des enquêtés issus et non issus du monde agricole confirme des différences déjà mises en évidence, dans la littérature9, entre ces deux groupes. Les personnes enquêtées non issues du milieu agricole sont plus fréquemment que les autres des femmes, sans accès familial à la terre, entrées dans de petites structures en individuel (élevage et maraîchage), et engagées dans des démarches de qualité avec commercialisation de leur production en circuits courts (tableau 1). Toutefois, d’autres caractéristiques et dimensions paraissent communes aux deux profils. Qu’ils soient issus ou non du milieu agricole, les nouveaux installés ont fréquemment des trajectoires de reconversion professionnelle10 et ont connu des périodes de salariat agricole antérieures à l’installation. Par ailleurs, 7 des 29 personnes enquêtées issues du monde agricole se sont installées en dehors du cadre familial, qui est le mode d’installation prépondérant des NIMA11. Et « non issu du monde agricole » ne signifie pas non plus aucun rapport avec ce monde : 8 des 37 installés sans ascendance agricole ont des liens avec cet univers professionnel, 7 d’entre eux ont bénéficié d’un accès à des terres appartenant à des membres de leur famille non agriculteurs, et 8 sont entrés dans des structures complexes relativement grandes.
Tableau 1 - Comparaison NIMA/IMA enquêtés en 2024 dans le Languedoc

Tableau 1 Un tableau présente les caractéristiques socio-démographiques, le projet d’entreprise et l’organisation productive pour les deux échantillons enquêtés : les non issus du milieu agricole (37 entretiens) et ceux qui en sont issus (29 entretiens).
Source : auteurs, rapport final p. 62
Ces constats invitent à relativiser l’idée selon laquelle les agriculteurs non issus du milieu agricole auraient des profils ou seraient porteurs de projets et de formes d’organisation se différenciant toujours de ceux du reste de la population agricole.
Des trajectoires d’installation complexes quelle que soit l’origine socio-démographique du porteur de projet
Il ressort des entretiens que pour les personnes non issues du milieu agricole, la proximité avec cet environnement, indépendamment de sa forme (liens sociaux même distants, formation et autres modes de sensibilisation, salariat, etc.), a une influence sur le choix et la manière de s’installer. Du côté des personnes d’ascendance agricole, malgré ce lien avec le secteur agricole, les trajectoires peuvent être sinueuses, comme en témoigne la part importante d’entre elles qui ont effectué une reconversion, notamment externe (11 sur 29). Au total, ce ne sont pas moins de 80 % des installés récents enquêtés qui sont des reconvertis en agriculture (86 % des NIMA et tout de même 69 % des IMA).
La filiation ne détermine pas non plus le type de projet d’entreprise. On peut trouver des NIMA qui s’installent sur des structures conséquentes avec un projet entrepreneurial peu différent de ceux classiquement portés par les autres. À l’inverse, on trouve des installés issus du monde agricole qui transforment radicalement l’entreprise familiale (diversification, transformation) ou qui créent des micro-exploitations (viticulture, châtaigneraie). La seule exception concerne les créations de petites structures en maraîchage diversifié et en plantes à parfum, aromatiques et médicinales (PPAM), qui semblent relever spécifiquement de NIMA n’ayant pas tissé de liens antérieurs avec le monde agricole.
Dans tous les cas, l’installation en agriculture résulte d’un parcours complexe, durant lequel la viabilité de l’entreprise, souvent fragile, se construit en jonglant avec les opportunités foncières et financières, les ressources humaines disponibles dans l’environnement proche (famille, voisins, salariés des Coopératives d’utilisation de matériel agricole (CUMA) et entreprises de travaux agricoles), les règles sociales et fiscales, ou encore les aides publiques. Les formes organisationnelles choisies par les installés, quelle que soit leur origine sociale, visent à répondre à plusieurs contraintes tout en recherchant une optimisation maximale. Les triptyques qui en découlent sont donc très divers.
Dans cette diversité, trois tendances relativement indépendantes des profils des installés se dégagent : i.) des installations-reprises s’inscrivant dans la continuité de l’exploitation cédée ou que rejoint l’installé en tant qu’associé ; ii.) des installations-reprises avec inclusion d’ateliers nouveaux (tourisme, loisirs, énergie) à côté ou à la place d’anciens ; et iii.) des installations-créations qui se font principalement dans les « marges » (micro-exploitations), pour des raisons d’accès au foncier mais aussi de choix de projets économiques. C’est notamment le cas des installations de NIMA sous le statut de cotisant solidaire, en maraîchage et PPAM, en viticulture ou en élevage (porcin), qui se positionnent sur des marchés de niche et se concentrent sur la maîtrise de la totalité de la chaîne de valeur, de la production à la commercialisation, afin d’optimiser un revenu agricole limité par une faible dotation en capital. La diversification souvent souhaitée des activités pose de réels défis, en matière de compétences et de charge de travail, d’autant plus qu’une majorité de NIMA sont pluriactifs. Comme ceux issus du monde agricole, les NIMA cherchent alors à s’associer avec d’autres, à s’automatiser, ou à avoir recours à une main-d’œuvre salariée, via une embauche directe ou en sous-traitant une partie des travaux agricoles. Certains NIMA, isolés socialement et géographiquement, peuvent aussi se retrouver en difficulté et quitter la profession. En témoigne le taux significatif de cessation d’activité, pour les nouvellement installés depuis 2018, de femmes jeunes, de personnes sous statut de cotisant solidaire, d’installée dans des exploitations de maraîchage et cultures spécialisées, ou de petits élevages. À titre d’illustration, 75 % des cotisantes solidaires ayant moins de 40 ans connaissent un arrêt précoce de leur activité agricole, moins de 5 ans après leur installation, selon les données de la MSA du Languedoc.
Conclusion
S’appuyant sur des données du recensement agricole 2020 et sur une enquête de terrain, la recherche présentée ici éclaire la diversité des structures d’exploitation et des projets d’entreprise portés par les installés hors cadre familial et non issus du milieu agricole. On pourrait penser que les contraintes fortes qui pèsent sur l’installation de ces nouveaux actifs tendraient à les cantonner à certains types de structures et de projets, peu demandeurs en ressources financières et humaines. Or, notre analyse statistique montre que les installés HCF s’orientent vers tous les types de structures, mais aussi et surtout vers celles qui peuvent être considérées comme « complexes » sur le plan organisationnel et qui exigent un capital de départ relativement important.
Les 66 entretiens viennent eux remettre en cause certaines idées reçues, en montrant par exemple qu’une part non négligeable de NIMA ont eu un accès familial à la terre, par un parent propriétaire foncier mais non agriculteur, tandis qu’un quart des IMA n’ont pas eu d’accès facilité par leur famille. Il apparaît aussi qu’environ un quart des NIMA ont repris ou créé des structures relativement grandes, et qu’une majorité d’IMA se sont installés suite à une reconversion professionnelle, notamment externe. En documentant, par-delà les profils socio-démographiques, la grande diversité des projets d’entreprise et la complexité des processus d’installation, ces résultats invitent à reconsidérer l’idée d’une dualité NIMA/IMA dans les profils types d’installés récents, qui seraient enfermés dans un chemin de dépendance quant à leurs trajectoire et projet d’installation.
Enfin, il semble que la nouveauté résiderait aujourd’hui davantage dans la diversité des stratégies de mise en œuvre des projets entrepreneuriaux d’installation que dans une évolution du profil social des installés récents. Il apparaît en effet que la recomposition des modèles productifs et de la main-d’œuvre qu’ils mobilisent (exploitants, salariés), marquée par l’essor d’entreprises entrepreneuriales, capitalistiquement moins familiales et à prédominante salariale, repose tout autant sur des chefs d’exploitation issus du milieu agricole que sur ceux qui n’en viennent pas. Plus que le profil seul de l’installé, c’est surtout la socialisation primaire avec le monde agricole, le développement d’une capacité entrepreneuriale et les ressources mises à disposition pour l’installation qui structurent les parcours. Compte tenu des défis d’avenir autour du renouvellement des actifs agricoles, cette recherche invite à mieux nommer et à mieux accompagner l’ensemble des candidats à l’entrée dans le métier d’agriculteur, dans toute leur diversité, y compris les salariés agricoles.
Cécile Gazo, Geneviève Nguyen, François Purseigle12
INP-AgroToulouse
Pauline Lécole
Institut Agro Montpellier
Axel Magnan
Institut de recherche économique et sociale
Notes de bas de page
1 - Gazo C., Lécole P., Magnan A., Nguyen G., Pauly O., Purseigle F., 2025, De « nouveaux » types d’actifs agricoles, pour quels projets entrepreneuriaux et quelles formes d’organisation productive ?, rapport pour le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire
2 - Legagneux B., Olivier-Salvagnac V., 2017, « Les exploitations agricoles françaises aux allures de firmes. Lecture statistique d’une nouvelle diversité », dans F. Purseigle, G. Nguyen et P. Blanc, Le nouveau capitalisme agricole. De la ferme à la firme. Presses de Sciences Po, chapitre 10, pp. 275-302.
3 - Batut M.-A., Dibet A., de Gaillard C., Marguet A., Mongenier L., 2025, « S’installer sans être issu du milieu agricole », La France agricole, n° 4100, 21 février, pp. 48-56.
4 - L’installation hors cadre familial s’entend comme l’installation sur une exploitation agricole indépendante de l’exploitation d’un parent (ou d’un parent du conjoint lié par un pacs ou un mariage) jusqu’au 3e degré, collatéraux inclus (au sens des articles 741 et suivants du code civil).
5 - La PBS est un proxy de la taille économique de l’entreprise. Elle repose sur un calcul de la valeur de l’ensemble des productions potentielles.
6 - Purseigle F., Nguyen G., Blanc P. 2017, op. cit.
7 - Laurant D., 2022, Accompagner les projets agricoles collectifs, thèse de doctorat, université de Montpellier ; Martin-Meyer L., 2019, « Néo-agriculteurs. Tenez ferme ! », Sésame, n° 6, novembre, pp. 46-49.
8 - On entend ici par « non issus du milieu agricole » des exploitants sans parenté directe avec le monde agricole (aucun des parents proches n’est ou n’a été chef d’exploitation agricole (parents, grands-parents, oncles et tantes)).
9 - On citera, parmi les études existantes, D’Allens G., Leclair L., 2016, Les néo-paysans, Seuil.
10 - Le terme de « reconversion externe » désigne des mobilités professionnelles avec changement de secteur d’activité. Les « bifurcations » constituent elles de véritables ruptures dans une carrière professionnelle, motivées notamment par des considérations non économiques ou financières (recherche de sens, nouvelle vie, etc.).
11 - On note aussi que, parmi les HCF (42), la grande majorité sont bien des NIMA (35), mais que l’on y trouve tout de même une part non négligeable de personnes issues du monde agricole (7), comme suggéré en partie 1.
12 - Les auteurs remercient Olivier Pauly (Inrae, UMR AGIR) pour sa participation à l’analyse statistique des données du RA2020.
Voir aussi
#ActifAgri : De l'emploi à l'activité agricole : déterminants, dynamiques et trajectoires
02 mars 2020Prospective

Qui s’installe en agriculture aujourd’hui ? - Analyse n°215
10 juin 2025Prospective
