Xavier Remongin/agriculture.gouv.fr

09 octobre 2025 Info +

Camille Poulet : la vie agricole après HEC

Vidéo de Camille Poulet, agricultrice et entrepreneuse :

  • Un jour, mon, père m'appelle, il me dit :
    « Voilà, le temps passe et je suis en train de réfléchir à la suite, et potentiellement à m'arrêter. Est-ce qu’un jour tu comptes revenir ? »
    J'ai pris ma décision : « Ne vends pas, c'est trop important, je reviens. »

    Je m'appelle Camille Poulet, je suis agricultrice sur Saint-Rémy-de-Provence. Je gère plusieurs structures de production, une qui me vient de mon papa et deux qui sont celles de mon mari Charly.
    Nous avons également une structure commerciale qui chapeaute le tout. Elle a pour objet de conditionner et commercialiser, puis expédier à nos clients, l'ensemble de nos productions qui sont produites sur les trois exploitations.

    Ça c'est bien ici, mon maraîcher provençal, il n'y a pas de souci. Par contre, pour moi, les palettes elles partent demain. Elles ne sont pas d’aujourd’hui.

    J'ai fait une classe préparatoire, puis une grande école, HEC. Par la suite, j’ai été embauchée pour une enseigne de grande distribution pour laquelle j'ai travaillé pendant quatre ans.

    L'objectif, c’est vraiment de contrôler tout le cahier des charges du client.

    Quand j'ai décidé de revenir sur l'exploitation, mon père m'a demandé de revenir mais avec mon propre projet, pas simplement être dans la continuité de ce que lui avait déjà développé, mais d'avoir quelque chose que j'amenais moi sur l’exploitation.
    Quand je suis arrivée sur l'exploitation, j'ai tout d'abord décidé de convertir une partie de l’exploitation à l’agriculture biologique.

    On sème des engrais verts. Ça nous permet de pouvoir amender notre sol en azote sans amener de produits chimiques.
    - Moi, ce qui me tracasse le plus, c’est la vigueur.
    C’est la vigueur oui.
    - Le prélèvement de terre du technicien, hop !
    - Et là, le marquage est très bon. En tout cas tes bourdons ils marquent, bien cette année.

    HEC, ça m'a apporté le côté gestion parce que c'est hyper important dans le sens où l’on est aujourd'hui une entreprise comme une autre, avec les mêmes contraintes et les mêmes obligations : de rentabilité, de gestion, de commerce.

    La semaine dernière, c'était une super semaine, puisqu’on était à zéro litige, et du coup, en fait, c’est lundi où on a rattrapé tous les départs les derniers départs de la semaine.
    - Zéro pour cent de litige !
    - Bravo !

    Aujourd'hui, en agriculture, on a des challenges à relever. On est dans un monde en pleine mutation, dans une société en pleine mutation et dans une filière en pleine mutation. Et donc on a besoin de se rapprocher d'un mode de fonctionnement qui est celui d'une entreprise.

    Tu as fait ce qu'il faut.
    - Par contre, je renouvelle la semaine prochaine ?
    Moi j’ai eu le client, il m'a dit : ils se sont trompés, en fait.
    Ils ne nous ont pas passé la commande.
    - C’est bon, parfait !
    - On est bon ?
    Super.

    Dans les nouveautés que j'ai voulu intégrer, il y avait aussi la notion de conditions de travail que je voulais améliorer pour les salariés.
    C'est passé donc par certains investissements en fait sur des outils un peu plus mécanisés, qui permettent à mes salariés de moins manipuler de poids tout au long de la journée. Et également sur des investissements un peu plus lourds, comme la chapelle dans laquelle on est, qui, là, représente un confort de travail notamment par le climat qui y règne. Tout ça, ça fait partie des réflexions que j'ai menées dès le départ.

Diplômée de l’École des hautes études commerciales (HEC) de Montréal, au Canada, et passée par la grande distribution, Camille Poulet a repris en 2014 la ferme paternelle, près de Saint-Rémy-de-Provence (Bouches-du-Rhône). Forte de ses compétences en business et en management, elle a réinventé l’entreprise familiale, tant sur le plan de la production que des débouchés commerciaux ou de la création de marque.

L’aventure agricole de Camille Poulet commence en 2013 par un coup de téléphone, ou plutôt deux. Lors du premier, son père, arboriculteur et maraîcher, lui annonce sa volonté de prendre du recul par rapport à son exploitation : « Je dois penser à la suite, je devrai peut-être vendre. Est-ce que tu veux prendre la relève ? » Camille, alors responsable de réseau dans la grande distribution, prend le temps de la réflexion. Six mois plus tard, elle le rappelle : « Tu ne vends rien : je reprends ! »

La jeune femme le reconnaît volontiers : elle ne rêvait pas d’agriculture pendant sa jeunesse. « Mon père travaillait beaucoup, ne prenait jamais de vacances. J’ai toujours perçu le labeur, l’aspect chronophage, se souvient-elle. J’avais une vision partielle. C’est plus tard que mon esprit s’est ouvert, que j’ai compris la beauté du métier et ce qu’on pouvait en faire ».

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Le point de départ : une transmission bienveillante

Dès la reprise, elle a les coudées franches. Son père lui transmet des terres, des connaissances techniques, mais surtout une ligne de conduite : « Ne refais pas simplement ce que j'ai fait. Reviens pour amener quelque chose de nouveau. » Cette transmission bienveillante permet à la jeune femme de laisser libre cours à ses envies, et de faire une agriculture qui lui ressemble : ambitieuse, entrepreneuriale et ouverte au changement : « Je vais vers ce qui m’enthousiasme, ce qui me fait vibrer. »

Aux concombres et salades qui composaient l’essentiel de la production paternelle, elle ajoute la fraise, le brocoli. Puis s’équipe, va jusqu’à rapatrier, depuis la Bretagne, la remorque avec bras articulé dont elle a besoin pour faciliter le ramassage des brocolis. Plus tard, elle s’associe avec son mari au sein d’une société pour conditionner et commercialiser les légumes de leurs deux exploitations auprès de la grande distribution, qui représente la grande majorité des ventes. Le duo développe une autre société à destination des magasins de producteurs et de la restauration collective.

11 millions d'euros de chiffre d'affaires pour la structure principale, Provence Producteurs

100 hectares de légumes de plein champ : courgette, poivron, butternut, salade, sucrine et brocoli

100 emplois à plein temps dans les quatre sociétés

Les équipes assurent le conditionnement et l'expédition des légumes. - Xavier Remongin/agriculture.gouv.fr

Les études commerciales, un atout pour la gestion financière

La structuration d’entreprise, la vision de long terme, le coup d’avance sur la réglementation, le marché, la concurrence : « Tout cela, assure-t-elle, c’est ce qu’on apprend dans les études commerciales. » Les années passées dans la grande distribution à suivre résultats financiers, prévisions, tableaux de bord, complètent ce bagage. C’est aussi ce qui lui a permis de garder la tête froide durant les premières années, les plus difficiles financièrement, et de rester adaptable, réactive, à l’écoute.

C’est cet état d’esprit qui l’a poussée en 2020 à installer, au-delà des serres classiques (les « tunnels »), de nouvelles serres à double paroi gonflable. Plus hautes, elles lui permettent, grâce à un meilleur contrôle de la température, d’optimiser la production de tomates et de concombres. Un investissement conséquent, autour de 500 000 € à l’hectare, qui exige une réflexion financière poussée et une vision claire de la rentabilité à venir.

Chaque semaine, l'équipe se réunit pour faire le point sur les derniers résultats financiers. - Xavier Remongin/agriculture.gouv.fr

« Je me présente toujours comme agricultrice »

Aujourd’hui en duo avec son mari sur l’essentiel de l’activité, à la tête de quatre structures consacrées à la production, le conditionnement, la commercialisation en France et à l’export, Camille Poulet a élargi le cadre du métier d’agriculteur tel qu’on l’entend communément. Ses entreprises génèrent une centaine d’emplois, depuis la récolte, la supervision des cultures, jusqu’aux tâches administratives et au contrôle de gestion. « Pour autant, tient-elle à préciser, je me présente toujours comme agricultrice : c’est ce que je sais faire, tout part de là ».

Elle s’amuse encore de la réaction « interloquée » de ses anciens camarades de promotion d’HEC lorsqu’elle s’est lancée dans cette aventure. « Il y a une grande méconnaissance de ce qu’on peut faire dans ce métier », conclut-elle, refusant d’opposer les modèles. « On a besoin de toutes les agricultures. Comme dans tous les secteurs d’activité, chacun doit pouvoir s’exprimer, aller vers ce qui lui ressemble. »

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