
La fermeture d'un abattoir public de proximité. Le cas de Privas
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Les notes d’Analyse présentent en quatre pages l’essentiel des réflexions sur un sujet d’actualité relevant des champs d’intervention du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. Selon les numéros, elles privilégient une approche prospective, stratégique ou évaluative.
Les abattoirs publics de proximité, lorsqu’ils sont menacés de fermeture, suscitent l’attention des pouvoirs publics et des professionnels de la viande, qui craignent pour la pérennité des filières d’élevage locales. Cette note analyse le cas de la fermeture de l’abattoir public multi-espèces de Privas, en Ardèche, en 2021. Le manque de rentabilité économique, fréquent pour ce type d’outil, a été aggravé par une diminution des apports et par une répartition de ces apports entre espèces (bovins, ovins, porcins) peu favorable. Suite à sa fermeture, les flux de bovins qui l’approvisionnaient se sont majoritairement reportés vers les abattoirs les plus proches. L’aval des filières a également dû adapter ses pratiques.
Introduction
Les abattoirs de boucherie sont un maillon essentiel de la filière alimentaire car ils font le lien entre la production et la commercialisation de viande. Ils réalisent aussi la première étape de transformation des animaux. Ces outils sont majoritairement situés en zones rurales, à proximité des régions d’élevage. En France, en 2023, 231 abattoirs de boucherie étaient agréés. Ils ne représentent qu’une petite partie des 1 486 établissements de transformation et de conservation de la viande de boucherie, mais emploient près de la moitié des effectifs du secteur avec 26 900 équivalents temps pleins (ETP)1.
De nombreuses études sur les abattoirs ont été réalisées par des organismes publics2 ou des bureaux d’études3. Elles concernent l’ensemble du parc et formulent des recommandations générales pour ce maillon de la filière, ou bien établissent des diagnostics économiques proposant des solutions de redressement, dans le cas particulier d’un abattoir en difficulté. La question de la pertinence du soutien public à de tels outils, afin de les maintenir dans certains territoires, fait débat, notamment lorsqu’un abattoir est menacé de fermeture pour des raisons sanitaires ou économiques. Dans ces situations, les éleveurs font souvent état de leur inquiétude pour trouver de nouveaux lieux d’abattage des animaux. Pour autant, en cas de fermeture, peu d’études sont réalisées sur la recomposition des flux d’animaux et sur les implications en chaîne qui s’ensuivent.
Pour documenter ces recompositions, cette note analyse les conséquences de la fermeture, en décembre 2021, de l’abattoir public de Privas, en Ardèche (région Auvergne-Rhône-Alpes). Cet abattoir est représentatif des abattoirs publics multi-espèces dits « de proximité ». De petite dimension et à la rentabilité généralement faible voire négative, le maintien de ces outils nécessite souvent un soutien financier de la part des collectivités locales. L’approche monographique, rendue nécessaire par le grand nombre de données à traiter, permet une analyse précise des flux d’animaux et de leur recomposition après la fermeture, à partir de la base de données nationale d’identification pour les bovins (BDNI) et des enquêtes auprès des abattoirs (Diffaga). La note se focalise sur les seuls bovins, pour lesquels des données sont disponibles, mais l’abattoir de Privas étant multi-espèces, quelques éléments concernant les autres animaux sont présentés.
La première partie présente les principales caractéristiques de cet abattoir. La deuxième identifie les causes de la diminution de son activité, en s’intéressant aux exploitations qui ont fait abattre au moins un bovin à Privas entre 2018 et 2022. Enfin, la dernière partie décrit les conséquences de la fermeture de l’abattoir et la recomposition des flux de bovins qu’elle a entraînées.
Privas : cas emblématique de fermeture d’un abattoir public de proximité
Les abattoirs de boucherie en France, un secteur en recomposition
En 2020, la France comptait 186 000 exploitations d’élevage (y compris polyculture élevage), dont 91 000 exploitations bovines4. Le nombre d’abattoirs diminue régulièrement : il y en avait 634 en 1980, dont 484 publics5, et 231 en 2023, dont 94 publics. Depuis 1980, la part des abattoirs publics dans l’ensemble des abattoirs est donc passée de 75 % environ à 40 %.
On entend communément par « abattoir public » un établissement dont les bâtiments sont détenus par une collectivité publique. Cette collectivité peut en assurer l’exploitation en régie ou bien la déléguer à un opérateur privé. En 2023, seuls une trentaine d’abattoirs étaient exploités par une collectivité publique.
Les marges brutes du maillon abattage-découpe sont très faibles en porc et bovin, de même que le résultat courant avant impôts. Ce dernier était en moyenne négatif en 20236. Les abattoirs ont donc peu de marges de manœuvre pour investir. Le taux d’amortissement des immobilisations corporelles de ce maillon est élevé, ce qui traduit un vieillissement des outils7. L’effet combiné de la faible rentabilité et de la nécessité d’investissements réguliers a conduit, depuis les années 1980, à une restructuration du secteur et à l’augmentation de la taille des outils, afin de générer des économies d’échelle. La diminution du nombre d’abattoirs découle également de l’élévation du niveau d’exigence sanitaire, encore accru à partir de 2004-2006 avec l’entrée en application du « Paquet hygiène », un ensemble de règlements européens. Le respect de ces standards sanitaires, de la réglementation sur la bientraitance animale, l’amélioration de la sécurité et de l’ergonomie des postes de travail, ont nécessité des investissements réguliers que certains abattoirs n’ont pas été en mesure de réaliser.
Le fait que les abattoirs publics soient de plus petite taille que les abattoirs privés les rend plus vulnérables et grève leur rentabilité. En 2023, les abattoirs publics traitaient en moyenne 3 000 tonnes par an par établissement, contre 22 000 tonnes par an environ pour les abattoirs privés (figure 1). Seuls 8 % des tonnages d’animaux abattus (9 % en nombre d’animaux) le sont dans des abattoirs publics. La part de marché de ces abattoirs publics est un peu plus élevée dans le cas des bovins (10 % des volumes et du nombre d’animaux).
Figure 1 – Estimation des volumes abattus en 2023 par les abattoirs de boucherie selon leur statut public/privé
Privés | Publics | |
---|---|---|
Tonnage moyen | 21 952 | 2 945 |
Tonnage médian* | 10 472 | 1 913 |
Tonnage maximum | 222 327 | 34 956 |
* En retirant ceux qui n’ont pas abattu toute l’année.
Source : Estimation d’après enquêtes auprès des abattoirs pour les ovins, caprins et porcins 2023, traitement CEP
Privas, un petit abattoir en perte de vitesse
En 2020, sur 95 abattoirs publics (France entière), 80 étaient multi-espèces (bovins, petits ruminants et porcs), à l’instar de l’abattoir de Privas. Ce dernier occupait le 70e rang en termes de poids abattu toutes espèces confondues.
La région Auvergne-Rhône-Alpes, dont fait partie Privas, comptait 40 unités d’abattage en 2022, traitant au total 193 000 tonnes de bovins par an, soit 14,2 % des abattages français en volume8. 6 de ces 40 abattoirs étaient privés, pour des tonnages supérieurs à 20 000 tonnes par an chacun. Entre 2018 et 2021, le tonnage de bovins abattus a légèrement augmenté dans la région, alors qu’il a globalement diminué au niveau national (figure 2).
Figure 2 – Évolution du tonnage de bovins abattus entre 2018 et 2021

Diagramme présentant l’évolution des tonnages de bovins abattus entre 2018 et 2021 par l’abattoir de Privas (-15,6 %), comparé à la région Auvergne-Rhône-Alpes (+1,7 %) et à la France entière (-2,6 %).
Source : BDNI, traitement CEP
En 2020, soit un an avant sa fermeture, l’abattoir de Privas a abattu 132 tonnes, pour 433 bovins, ce qui le classe parmi les plus petits abattoirs de la région (5e ou 6e plus petit selon les années toutes espèces d’animaux confondues, et 5e pour les volumes de bovins uniquement). À l’inverse de la tendance observée au niveau régional, les volumes de bovins traités à Privas ont fortement diminué entre 2018 et 2021 (- 16 % contre + 1,7 % en moyenne régionale, figure 2).
La diminution d’activité de Privas, s’agissant des abattages de bovins, s’observe également pour les autres espèces (figure 3).
Figure 3 – Évolution des tonnages abattus par espèce entre 2018 et 2021
Privas | Auvergne Rhône-Alpes |
France entière | |
---|---|---|---|
Porcins |
-41,8 % |
5,2 % |
1,0 % |
Ovins |
-69,9 % |
18,0 % |
0,5 % |
Bovins |
-15,6 % |
1,7 % |
-2,6 % |
Abattages totaux |
-31,4 % |
3,3 % |
-0,4 % |
Source : BDNI, traitement CEP
Les causes de la baisse d’activité de l’abattoir de Privas
Les difficultés rencontrées par l’abattoir de Privas s’expliquent par plusieurs facteurs qui se sont conjugués : des apporteurs plutôt âgés et à la tête de petites exploitations, des approvisionnements en baisse en raison de reports vers d’autres abattoirs, des difficultés liées au modèle économique de l’abattoir et à des obligations de mise aux normes.
Les apporteurs à l’abattoir de Privas : des chefs âgés de petites exploitations
En 2020, les exploitants faisant abattre à Privas étaient en moyenne plus âgés que ceux de la région Auvergne-Rhône-Alpes : 38 % d’entre eux avaient de 60 à 70 ans (19 % en moyenne régionale) et seulement 27 % étaient dans la tranche 30-45 ans (36 % au niveau régional)9. Par ailleurs, les exploitants spécialisés en bovin faisant abattre à Privas avaient en moyenne un cheptel plus réduit que la moyenne de la région, avec un nombre d’unités gros bétail (UGB) inférieur de 20 % à 40 %. La surface agricole utilisée (SAU) de ces exploitations était en moyenne équivalente à celle des exploitations de la région. Elle était un peu plus grande en bovin viande (94 ha pour la zone Privas contre 88 ha en moyenne régionale), mais plus faible en bovins lait et mixtes (figure 4).
Figure 4 – Caractéristiques des exploitations : comparaison de la moyenne régionale avec les apporteurs de l’abattoir de Privas

Diagramme comparant le nombre moyen d’UGB par exploitation et la surface moyenne de la SAU entre les apporteurs de Privas et la moyenne régionale.
Source : recensement agricole 2020, traitement CEP
Le profil des agriculteurs approvisionnant l’abattoir de Privas l’exposait donc davantage à un risque de réduction des volumes à moyen-terme. Au-delà de cette observation générale, il convient de savoir si la baisse des abattages observée entre 2018 et 2021 résulte de quelques gros apporteurs qui auraient changé de lieu d’abattage, ou d’une diminution généralisée des apports de la part de l’ensemble des clients de l’abattoir.
Une baisse généralisée des apports
En 2020, la Cour des comptes pointait « la forte dépendance des abattoirs publics envers quelques clients (moins de trois en moyenne) représentant plus de 70 % de leur activité et dont la pérennité des commandes n’est jamais assurée, ces derniers n’hésitant pas à transporter leurs animaux vers d’autres abattoirs en fonction du coût de la redevance demandée »10. Ce constat ne vaut pas pour l’abattoir de Privas : ses cinq plus gros clients ne représentaient que 40 % des tonnages traités (figure 5). Son approvisionnement était constitué par de nombreux apporteurs de petits volumes, et non par quelques gros fournisseurs.
Figure 5 – Évolution du nombre d’éleveurs ayant fait abattre des bovins à Privas, selon les années
2018 | 2019 | 2020 | 2021 | |
---|---|---|---|---|
Nombre d’exploitations différentes ayant fait abattre au moins 1 animal dans l’année |
48 | 54 | 67 | 46 |
Poids des 5 plus gros apporteurs en % du tonnage de bovins abattus |
37 % | 40 % | 36 % | 41 % |
Source : BDNI, traitement CEP
S’agissant de la pérennité et de la régularité des approvisionnements, l’analyse des données disponibles montre que les dix plus gros apporteurs, en 2018, ont tous fait abattre des animaux les années suivantes, exception faite d’un seul d’entre eux qui n’a pas fourni d’animaux en 2020 et 2021 suite à l’arrêt de son activité d’élevage. Les neuf autres ont réduit de 5 % le nombre d’animaux apportés à Privas entre 2018 et 2021, alors que le nombre total de bovins qu’ils ont fait abattre, tous abattoirs confondus, a augmenté de 3 % pendant les mêmes années. Les 28 éleveurs de la zone qui ont utilisé Privas tous les ans, au cours de la période, couvraient 78 % des apports de l’abattoir. Suivant la même tendance que celle observée pour les 10 plus gros fournisseurs, ils ont réduit leurs livraisons à Privas de 13 % sur la période, alors qu’ils ont augmenté leurs abattages de 5 % tous abattoirs confondus. Les apporteurs principaux ne se donc pas retirés de l’abattoir, mais ils ont sensiblement réduit le nombre de bovins qu’ils y abattaient.
Plus globalement, sur les 96 exploitations ayant fait abattre au moins un animal à Privas entre 2018 et 2021, trois seulement ont cessé leur activité agricole. En 2018, ces trois exploitations avaient fourni 26 bovins à Privas. À l’inverse, on dénombre 30 apporteurs nouveaux (pour 75 bovins abattus) en 2020 à Privas, qui n’y avaient pas fait abattre d’animaux en 2018.
L’analyse de la provenance des animaux montre ainsi que la baisse des volumes de Privas ne vient ni du retrait total de quelques gros fournisseurs, ni de la cessation d’activité d’exploitations dans la zone de chalandise, mais plutôt de la baisse du nombre de bovins livrés à Privas par une majorité d’exploitations, qui se reportent vers d’autres abattoirs. Plusieurs hypothèses, qui restent à confirmer, pourraient expliquer ces reports : qualité du service, contraintes liées aux plages d’ouverture réduites, etc.
Des apporteurs qui ne font abattre qu’une petite partie de leur production à Privas
Sur la période 2018-2021, la majorité des 96 éleveurs de la zone d’approvisionnement de l’abattoir de Privas n’y faisaient pas abattre la totalité de leurs bovins mais seulement 1 bovin sur 4 en moyenne entre 2018 et 2021, cette proportion se dégradant au fil des années. En 2018, les 48 éleveurs qui ont fait abattre au moins un bovin à Privas ont utilisé chacun en moyenne 3,3 abattoirs, soit 30 au total pour 814 bovins. Un peu plus de la moitié seulement de ces bovins ont été abattus à Privas. Par ailleurs, seuls 8 éleveurs ont utilisé exclusivement l’abattoir de Privas, mais pour n’y faire abattre que 48 bovins.
L’analyse des modes d’apport à l’abattoir montre que sur les 443 bovins abattus en 2018 à Privas, seuls 3 éleveurs sont passés par un marché et 31 par un commerçant en animaux vivants, soit 8 % des effectifs. La grande majorité des éleveurs apportaient donc directement leurs animaux à Privas. Ce constat est cohérent avec les temps de transport entre les exploitations et l’abattoir : 39 minutes en moyenne, pour un maximum de 1h18mn.
Privas était donc un abattoir auquel les éleveurs situés à proximité apportaient en majorité leurs animaux eux-mêmes. Des entretiens réalisés avec les acteurs locaux montrent que les bovins abattus alimentaient essentiellement les boucheries locales et la vente directe.
Un abattoir confronté à diverses difficultés
Alors qu’il est agréé pour 520 tonnes par an au titre des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), l’abattoir a traité en moyenne 223 tonnes par an, toutes espèces confondues, ce qui montre qu’il était sous-utilisé. Il ne fonctionnait que deux jours par semaine. À plusieurs reprises, la Direction départementale de la protection des populations (DDPP) de l’Ardèche avait mis en demeure l’exploitant de réaliser des investissements de mise aux normes. Une demande de mise en conformité nécessitant des travaux sur la structure des bâtiments a notamment été formulée. Entre 2018 et 2022, la commune avait ainsi dû financer environ 350 000 € de travaux sur cet outil. Enfin, l’abattoir se situait en centre-ville de Privas, générant des nuisances pour les habitants : bruits des camions, odeurs, pollution visuelle, risques inhérents à la présence d’une unité industrielle à proximité d’habitations. Afin de disposer d’un bâtiment plus adapté et de réduire les nuisances, la construction d’un abattoir intercommunal dans une zone d’activité avait été envisagée, avant d’être abandonnée. L’étude commandée par la Communauté d’agglomération Privas Centre Ardèche (Capca) avait conclu que l’investissement serait trop important pour être viable, au regard des volumes et en l’absence de collectif d’éleveurs prêts à s’engager pour en sécuriser les approvisionnements.
La structure des abattages par espèce était un autre facteur de fragilité pour Privas. La part des abattages d’ovins, moins rentable que celui des bovins, y était très importante : 37 % en 2018 en nombre de têtes, contre 13 % en moyenne nationale et 10 % en Auvergne-Rhône-Alpes. Par ailleurs, entre 2018 et 2021, la part des ovins s’est beaucoup réduite au profit de celle de porcs, dont l’abattage est coûteux (nécessité de chauffer l’eau du bac d’échaudage, etc.). Au-delà de la baisse des volumes traités, le mix-abattage de Privas et son évolution n’étaient donc pas favorables à sa rentabilité.
La fermeture de Privas : conséquences sur la filière
La fin d’activité de l’abattoir a obligé les utilisateurs à faire abattre leurs animaux dans d’autres établissements, sans que cela n’ait de conséquences à court terme sur le nombre d’animaux abattus ou sur le nombre d’ateliers d’élevage en activité.
Un report vers les abattoirs les plus proches
Suite à la fermeture de l’abattoir, trois recompositions des flux d’animaux ont pu être observées. Il y a d’abord eu un report des volumes vers l’abattoir le plus proche. Sur 110 tonnes de bovins abattus à Privas en 2021, le report s’est fait majoritairement vers trois abattoirs de la région Auvergne-Rhône-Alpes, pour 90 tonnes en 2022 : Aubenas (Ardèche), Villefranche d’Allier (Allier) et Bourg-en-Bresse (Ain). Le gain en tonnage a été sensible uniquement pour Aubenas, équipement public multi-espèces à l’instar de Privas.
Une deuxième conséquence a été le recours à de nouveaux abattoirs qui n’étaient pas utilisés par les éleveurs de la zone auparavant. Après la fermeture de Privas, pour les 98 exploitations étudiées, on constate l’utilisation nouvelle de sept abattoirs qui n’étaient pas utilisés sur les quatre années précédentes (figure 6). Pour six de ces nouveaux abattoirs, ce sont exclusivement des opérateurs commerciaux et non les éleveurs eux-mêmes qui ont apporté les bovins. Si ce nombre de nouvelles destinations d’abattage peut paraître élevé, il est cohérent avec celui des années précédentes : cet ensemble d’éleveurs utilisait également entre 6 et 7 nouveaux abattoirs chaque année.
Figure 6 – Liste des nouveaux abattoirs utilisés par les éleveurs de la zone en 2022
Commune de l’abattoir |
Département | Distance en km/Privas |
Temps de trajet entre l’abattoir et Privas |
---|---|---|---|
Perrigny |
Jura |
293 |
3h09 |
Charlieu |
Loire |
240 |
3h05 |
Châteaubriant |
Loire-Atlantique |
745 |
8h27 |
Villeneuve-sur-Lot |
Lot-et-Garonne |
430 |
6h56 |
Chérré-Au |
Sarthe |
607 |
7h41 |
Limoges |
Haute-Vienne |
439 |
5h48 |
Bessines-sur-Gartempe |
Haute-Vienne |
422 |
5h48 |
Source : BDNI, traitement SSP
Le troisième effet constaté a résidé dans un léger allongement des temps de transport. En 2021, le temps de transport à l’abattoir des animaux de la zone de Privas est en moyenne de 2h54. Il est supérieur à la moyenne nationale (1h59 en 2021) et à la moyenne de la région Auvergne-Rhône-Alpes (1h52 en 2022)11. Entre 2021 et 2022, le temps de transport moyen s’est allongé de 10 minutes pour les bovins des éleveurs de la zone de Privas, alors qu’il est resté stable au niveau national.
À court terme, il n’y a pas eu de baisse de l’activité d’élevage
En 2022, le nombre d’animaux abattus par les 96 exploitations qui lui avaient fourni des bovins entre 2018 et 2021 n’a pas baissé (figure 7). Toujours en 2022, une seule de ces exploitations a arrêté son activité d’élevage bovins (respectivement 2 en 2020 et 1 en 2021).
Figure 7 – Nombre total de bovins abattus (tous abattoirs confondus) par les 96 exploitations utilisant Privas
2018 | 2019 | 2020 | 2021 | 2022 |
---|---|---|---|---|
1 136 | 1 270 | 1 467 | 1 316 | 1 531 |
Source : BDNI, traitement SSP
La fermeture de l’abattoir de Privas ne semble donc pas avoir eu de conséquences, à court terme, sur les activités d’élevage de bovins des apporteurs. Toutefois, ce constat ne présage pas de conséquences à plus long terme, non visibles dans les données qui ont pu être traitées. En effet, face à l’allongement de la distance vers l’abattoir le plus proche ou face à des services leur convenant moins, des éleveurs peuvent avoir décidé de cesser leur atelier bovin, mais avoir néanmoins poursuivi leur activité quelques années le temps d’abattre l’ensemble de leur troupeau.
Conséquences sur l’aval de la filière
Au moment de l’annonce de l’arrêt du site, des éleveurs apportant eux-mêmes leurs animaux à l’abattoir puis vendant en direct avaient sollicité le Conseil régional pour obtenir des aides du Feader, afin de s’équiper en camions réfrigérés pour récupérer la viande de leurs bovins abattus à plus grande distance de leurs exploitations. Finalement, une seule demande a été reçue, ce qui n’exclut pas que d’autres éleveurs se soient équipés sans faire de demande d’aide.
Par ailleurs, outre l’abattage, l’établissement de Privas offrait des prestations de découpe et de maturation de viande, que ne proposaient pas les autres équipements alentours. Les filières aval de vente directe nécessitant de la découpe et les bouchers qui se fournissaient en viande maturée ont dû se réorganiser et trouver d’autres prestataires. De même, plusieurs bouchers du territoire s’approvisionnaient en carcasses ou demi-carcasses auprès de l’abattoir de Privas. Après sa fermeture, ils ont arrêté de découper eux-mêmes les carcasses et sont passés à l’achat de pièces de découpe provenant d’une entreprise ardéchoise spécialisée dans cette activité. Toutefois, les éléments documentaires plus précis manquent pour aller plus loin et apprécier les effets plus larges ou indirects de la fermeture de l’abattoir.
Conclusion
En mobilisant de manière originale les données de mouvements des bovins enregistrés dans la BDNI, cette note analyse les causes de la fermeture de l’abattoir public de Privas, fin décembre 2021, et la réorganisation des flux qui a suivi. L’étude de ces dynamiques montre que la diminution des volumes abattus à Privas ne reflète pas la tendance régionale, stable sur la période, et s’inscrit même à rebours de l’augmentation des volumes abattus par l’ensemble des exploitations qui ont recours à cet abattoir. Le recul du nombre d’animaux confiés à cet abattoir n’est pas dû au retrait de quelques gros fournisseurs mais plutôt à un moindre nombre d’animaux apportés par de nombreux éleveurs. La fermeture de l’abattoir résulte donc d’un délitement progressif des volumes. Ce désengagement s’est d’ailleurs confirmé par l’absence de collectif d’éleveurs prêt à s’investir dans un nouveau projet d’abattoir. Après la fermeture de Privas, les éleveurs se sont reportés vers d’autres lieux d’abattage et les boucheries qui s’y approvisionnaient se sont tournées vers des prestataires situés à proximité. Ceci a permis, à court terme, de maintenir les ateliers bovins dans les exploitations.
De telles analyses de flux permettent de décrire les dynamiques d’approvisionnement passées ou présentes d’un abattoir. Elles sont en revanche limitées pour anticiper de futures recompositions de ces flux. Plusieurs facteurs autres que la proximité géographique influencent le choix d’un abattoir par les éleveurs, comme le coût de la redevance, la réputation, mais aussi les prestations proposées (présence ou non d’un atelier de découpe, etc.). Une part de ces flux dépend aussi des opérateurs commerciaux, qui obéissent à des logiques propres, qu’il serait intéressant d’analyser pour compléter l’étude.
Bien qu’il soit difficile de tirer des conclusions générales à partir d’un cas particulier, la fermeture de l’établissement de Privas illustre, plus largement, la fragilité des petits abattoirs de proximité. Ces derniers doivent amortir un outil dont les mises aux normes sont constantes et ils supportent des charges de main-d’œuvre importantes. Le cas de Privas suggère également que la fermeture de ce type d’outils ne met pas nécessairement en péril les activités d’élevage, les abattages se reportant vers d’autres établissements. En revanche, les abattoirs de proximité proposent des prestations plus adaptées aux besoins des éleveurs en vente directe (comme la découpe ou la maturation de la viande à Privas), dont l’activité peut être remise en cause par la fermeture. Cette clientèle est cependant souvent insuffisante pour rentabiliser l’outil.
Julie Blanchot
Centre d’études et de prospective
Notes de bas de page
1 - Sur un total de 45 697 ETP, source : Insee, Fichier localisé des rémunérations et de l'emploi salarié (Florès).
2 - Cour des comptes, 2020, Rapport public annuel 2020, tome 1. Ravaux X., 2011a, Filière abattoir : synthèse des études et données économiques et sanitaires disponibles fin 2010, CGAAER, ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. Ravaux X., 2011b, Leviers d’action pour la modernisation et la restructuration du secteur des abattoirs, CGAAER, ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. Bouvier C., Peter J.-P., Fouillade P., 2010, Mission abattoirs. Évaluation prospective de l’état financier et sanitaire des abattoirs en France.
3 - Blézat Consulting, 2011, Organisation de l’inspection sanitaire et évaluation de la situation économique des abattoirs, rapport final, volet économique.
4 - Agreste, 2023, « Bovin viande, bovins lait, bovins mixtes », Graph’agri, ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire.
5 - Cour des comptes, 2020, « Les abattoirs publics : des charges pour les contribuables locaux rarement justifiées », Rapport annuel, pages 297-337.
6 - Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, 2024, Rapport au Parlement.
7 - Crédit agricole, 2023, L’observatoire financier des entreprises agroalimentaires du Crédit agricole, n° 29 janvier et n° 31 mai.
8 - Agreste, 2024, Les abattoirs de boucherie en 2022, évolution 2017-2022, coll. Focus de conjoncture Auvergne-Rhône-Alpes, n° 3.
9 - Recensement agricole 2020, traitement CEP.
10 - Cour des comptes, 2020, op. cit, page 307.
11 - Roué M., 2023, Un bovin sur deux abattu à moins d’une heure trente de son exploitation, Coll. Primeur, n° 10, ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire.