30 janvier 2012 Info +

Notes et études socio-économiques n° 35

Ce 35e numéro de Notes et Études Socio-Économiques envisage différents aspects du concept de durabilité appliqué au secteur et aux enjeux agricoles. Si les questions ne sont pas nouvelles, le processus du Grenelle de l’environnement et ses suites ont pu, d’une part, relancer ces réflexions entre les diverses parties prenantes et, d’autre part, donner à ce concept parfois un peu éthéré des applications concrètes à travers les différentes mesures opérationnelles qui ont été décidées puis déclinées depuis fin 2007.
Les quatre premiers articles de cette édition ainsi que le débat abordent tous, sous des angles différents, tant les défis qui se posent à l’agriculture au regard de sa durabilité que les leviers et outils destinés à les relever. À travers la présentation conjointe de ces différentes contributions, nulle prétention d’embrasser l’intégralité d’un si vaste sujet. Ces textes pointent seulement quelques enjeux et problématiques d’actualité (agriculture biologique, utilisation des produits phytosanitaires, etc.), sans souci d’exhaustivité.

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Sommaire :

L’utilisation des pesticides en France : état des lieux et perspectives de réduction
Jean-Pierre Butault, Nathalie Delame, Florence Jacquet, Guillaume Zardet

Cet article dresse un état des lieux sur l’utilisation des produits phytosanitaires en France et évalue les possibilités de réduire leur emploi en mobilisant différents états de l’agriculture française définis par des niveaux de rupture allant jusqu’à l’agriculture biologique. Cet article vise à valoriser les travaux entrepris dans le cadre issu d’un contrat – ECOPHYTO R&D – passé entre l’Inra d’une part et les ministères de l’agriculture et de l’écologie d’autre part.
La situation initiale est définie à partir des résultats du Réseau d’Information Comptable Agricole (Rica) et des enquêtes pratiques culturales de 2006. L’évaluation des possibilités de réduction d’usage est générée à partir de travaux effectués dans des groupes d’experts et d’un modèle en programmation mathématique.
Des réductions de l’emploi de pesticides seraient possibles sans baisse de production en remplaçant la plupart des techniques intensives par une « agriculture raisonnée ». L’adoption d’itinéraires à bas intrants de pesticides, par culture, permettrait de réduire l’utilisation de pesticides d’un tiers, avec des pertes de production limitées (6 %en grandes cultures). Aux prix de 2006, les marges pour ces itinéraires, compte tenu de l’économie réalisée sur les charges, sont les mêmes que celles du groupe dit « intensifs ». En termes de marge, les prix de 2007 redonnent par contre un avantage aux intensifs.
L’objectif de réduire de 50 %l’emploi des pesticides, du plan ECOPHYTO 2018, acté lors du Grenelle de l’environnement, correspond à la situation où toute l’agriculture française passerait en agriculture intégrée, nécessitant des efforts conséquents.
En grandes cultures, un modèle de programmation mathématique est utilisé pour associer à chaque niveau de réduction de l’utilisation de pesticides une combinaison optimale de techniques. Les effets d’une taxation et de subvention à l’agriculture biologique sont également envisagés.

Le Conseil Scientifique de l’Agriculture Biologique identifie 8 priorités de recherche-développement
Jean-Marc Meynard, Céline Cresson

Après un point rapide sur le développement récent de l’Agriculture Biologique (AB) en France, cet article dresse un état des lieux de la R&D en AB, puis propose les priorités de recherche établies par le Conseil Scientifique de l’Agriculture Biologique (CSAB), institué le 12 novembre 2008 par le ministère en charge de l’Agriculture. Le CSAB appelle ainsi à un développement des recherches concernant l’accompagnement de l’apprentissage à l’agriculture biologique, les effets sur la santé de régimes alimentaires incluant des produits biologiques, les effets des politiques publiques sur le développement de l’AB ou les conséquences, sur la sécurité alimentaire, de différents scénarios de développement de l’AB. Il plaide pour un effort d’innovation non seulement sur le plan technique, où celui-ci est largement engagé, mais aussi sur les plans génétique (variétés et races adaptées à l’AB), organisationnel (organisation des filières ou de la complémentarité des systèmes au niveau des territoires) ou réglementaire (politiques d’incitation à la conversion, soutien dans la durée, politiques d’incitation à l’innovation, etc.

Le Grenelle de l’environnement et la certification environnementale des exploitations agricoles : un exemple de conception participative
Alexandre Meybeck, Vincent gitz, Nathanaël Pingault et Loïc Schio

Les consommateurs et les entreprises s’approprient de plus en plus le sujet de l’évaluation des performances environnementales des systèmes productifs, et la production alimentaire est un des secteurs les plus engagés. Dans le cadre du Grenelle de l’environnement, la « certification environnementale des exploitations agricoles » a fait l’objet d’importants travaux. Un tel dispositif devait en effet permettre d’évaluer les pratiques des agriculteurs, de promouvoir des systèmes agricoles plus durables, d’attester que l’agriculteur s’inscrit dans une démarche de progrès, de créer un lien entre production et consommation durables.
L’élaboration de ce dispositif est emblématique du processus du « Grenelle de l’environnement ». Son succès repose sur l’implication de toutes les parties prenantes : agriculteurs, industries agroalimentaires, pouvoirs publics et associations. Pour répondre à la fois aux besoins des agriculteurs et à ceux des autres parties prenantes, certaines caractéristiques du management environnemental (auto-diagnostic, progressivité) et d’autres relatives aux démarches de certification (échelle de référence absolue) ont imprégné l’élaboration du dispositif.
Le dispositif de certification retenu est organisé en trois niveaux. Le premier matérialise l’entrée dans la démarche. Il atteste du respect des règles de la conditionnalité des aides directes de la PAC et de la réalisation d’un auto-diagnostic de l’exploitation. Le deuxième niveau est basé sur le respect d’un référentiel de bonnes pratiques. Le troisième niveau, qualifié de « haute valeur environnementale », atteste de l’atteinte de valeurs seuils pour un ensemble d’indicateurs de performance environnementale.
La construction de ces indicateurs s’est avérée particulièrement délicate. Elle résulte d’une exigence d’applicabilité (à toutes les exploitations) et de légitimité. Enfin, le niveau à atteindre devait à la fois correspondre à l’image que les partenaires se faisaient de la haute valeur environnementale et pouvoir constituer l’objectif d’une démarche de progrès. Un groupe de travail spécifique fut donc mis en place comprenant des représentants de toutes les parties prenantes et d’instituts techniques. Les propositions de ce groupe ont été testées dans un échantillon d’une centaine de fermes.
L’ensemble des textes nécessaires à la mise en œuvre du dispositif est maintenant publié. L’enjeu est désormais de conforter l’adhésion des acteurs sur le terrain et celle des agriculteurs au premier chef.

Vers un affichage environnemental sur les produits alimentaires : contexte, enjeux et méthodes
Antonin Vergez

Rendre la consommation des ménages plus durable est un des leviers d’action essentiels pour amorcer la « croissante verte ». En France, le Grenelle de l’environnement comporte une mesure dont l’objectif est de fournir aux consommateurs une information sur les caractéristiques environnementales des produits de grande consommation, dont les produits alimentaires. Cet affichage environnemental pourrait inciter l’ensemble des acteurs des filières alimentaires (producteurs agricoles inclus) à adopter des modes de production plus durables. L’objet de cet article est de présenter les initiatives actuellement développées dans le monde, les enjeux méthodologiques et l’état d’avancement du dispositif français, unique, puisqu’il 1) s’appuie sur un pilier législatif, 2) vise un affichage « cycle de vie » et multi-critères (incluant mais dépassant la seule empreinte carbone, avec par exemple une empreinte « eau ») et 3) qu’à l’avenir, il pourrait être généralisé en France. Nous concluons sur la double nécessité d’une harmonisation des dispositifs à l’échelle européenne (dans un premier temps) et d’une réflexion sur la co-existence en France des systèmes d’informations aux consommateurs.

Essor et mutation de la production porcine dans le bassin nord-européen : émergence d’un modèle d’élevage transfrontalier inédit
Christine Roguet, Michel Rieu

L’Allemagne, les Pays-Bas et le Danemark deviennent un bassin de production unique avec spécialisation géographique des activités et des flux transfrontaliers importants d’animaux.
Premier marché de consommation de porc de l’UE, l’Allemagne a une position géographique qui facilite les échanges. Sa politique de modération salariale a rendu son industrie très compétitive et lui a permis de s’imposer à l’export. Plus rentable, l’engraissement s’est développé au détriment du naissage. En 2010, l’Allemagne a importé plus de 9 millions de porcelets et 5 millions de porcs charcutiers, venant principalement du Danemark et des Pays-Bas.
L’export en vif traduit moins un choix stratégique qu’une perte de compétitivité de l’abattage-découpe au Danemark et une forte pression environnementale aux Pays-Bas. Cette situation conduit à un prix du porc bas et à des surcoûts en engraissement.
Ces dix dernières années, 7 élevages de truies sur 10 ont disparu au Danemark, 6 sur 10 aux Pays-Bas. La taille moyenne augmente très rapidement sous l’effet d’une restructuration accélérée qui dote ces pays d’outils de production compétitifs, avec des bâtiments modernes, rationnels et aux normes, et les meilleures performances techniques mondiales. Mais cette mutation de la production porcine nord-européenne est porteuse de risques économiques (endettement des fermes), sociaux (hégémonie du modèle d’élevage) et sanitaires (flux d’animaux vivants). À l’avenir, la production ne devrait pas augmenter sensiblement au Danemark et aux Pays-Bas, limitée par l’environnement. Leur spécialisation en naissage devrait se poursuivre pour alimenter l’Allemagne durablement déficitaire en porcelets. L’échéance 2013 de la mise aux normes des élevages de truies pourrait y conduire à la disparition de nombreux petits naisseurs du sud. Dans le nord-ouest « saturé » par le développement de l’engraissement, l’opposition sociétale et les difficultés d’accès au foncier limitent les perspectives de croissance.

Débat : Défis et leviers pour une agriculture durable
Bernard Hubert, Didier Lorioux, Nathanaël Pingault. Débat animé par Pierre Claquin et Clément Villien.

La notion de durabilité, considérée à travers le prisme de l’agriculture, était au cœur de ce débat organisé par le Centre d’études et de prospective le 22 juillet 2011. Dans un contexte de mise en œuvre des engagements du Grenelle de l’environnement, mais aussi de crises répétées touchant l’agriculture et qui, bien souvent, amènent à focaliser sur le temps court, il nous a semblé pertinent de questionner une nouvelle fois cette notion de « durabilité », en cherchant à savoir ce qu’elle apporte ou dénote dans la sphère agricole. Associant un représentant du ministère de l’Agriculture, un chercheur et un représentant professionnel agricole, nous avons successivement abordé les questions des concepts et de leur pertinence, des défis qu’ils soulèvent et des leviers permettant d’accroître la durabilité de notre agriculture.