Trois agricultrices parlent de leur métier  à l'occasion d'une table ronde organisée lors du Salon international de l'agriculture le 3 mars 2023.
Table ronde organisée au Salon international de l'agriculture le 3 mars 2023 sur le thème "Qu’est-ce qu’être une femme cheffe d’entreprise agricole aujourd’hui ?". - agriculture.gouv.fr

07 mars 2023 Info +

L’agriculture au féminin, vers davantage de considération et de reconnaissance

À l'occasion du 8 mars, journée internationale des droits des femmes, rencontre avec trois agricultrices, des femmes qui ont choisi un métier porteur de sens et source d’épanouissement. Trois parcours, trois visions du métier et de l’entrepreneuriat en agriculture. Portraits.

Qu’est-ce qu’être une femme cheffe d’entreprise agricole aujourd’hui ? Pourquoi ce choix ? Quelles clés de la réussite et quelles envies ? Lors de la table-ronde organisée au Salon international de l'agriculture le 3 mars 2023 par Naïda Drif-Lamia, Haute fonctionnaire à l’Égalité et à la Diversité au ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, et animée par Gabrielle Dufour, du Think tank Agridées, les trois invitées se sont exprimées en toute sincérité sur leurs parcours, leurs réussites, leurs difficultés, leurs engagements et leurs souhaits.

Albane Le Gall, agricultrice dans le Finistère

Albane Le Gall, agricultrice dans le Finistère.
Albane Le Gall

Albane Le Gall a 26 ans, elle est agricultrice dans le Finistère, installée depuis deux ans avec son mari dans l’exploitation transmise par ses parents. 110 vaches laitières et culture fourragère sur 200 hectares. S’il était pour elle évident, comme fille d’agriculteurs, de reprendre l’exploitation, sa famille aurait aimé qu’elle exerce un métier moins difficile.

« En fait, mes parents avaient peur pour moi, et il faut reconnaître que la traite de nos 110 vaches et l’entretien des 200 hectares nécessitent un gros travail. Mais avec mon mari, nous avons tout changé – l’organisation, les bâtiments –, on a agrandi, amélioré, et je crois que nous sommes plus efficaces.

Il est important pour nous d’avoir des week-ends. Je dirais que par rapport à la génération de mes parents, le travail est peut-être moins physique, mais la charge mentale est plus élevée. Je voulais être cheffe d’entreprise, être reconnue ainsi, pouvoir décider. Avec mon mari, nous sommes à parts égales dans un GAEC (Groupement agricole d'exploitation en commun). Et les aspects de gestion, de vente, d’anticipation du futur sont particulièrement importants, de même que la question du bien-être animal, essentielle pour moi.»

Albane Le Gall

Géraldine Marichal, éleveuse de poules pondeuses en Seine-et-Marne

Géraldine Marichal, éleveuse de poules pondeuses.
Géraldine Marichal

Géraldine Marichal est installée avec son époux en Seine-et-Marne, ils élèvent depuis deux ans des poules pondeuses en plein air et de qualité Label rouge.

« Je ne suis pas issue du monde agricole, mais je suis mariée à un agriculteur. J’ai travaillé onze ans dans la banque, et c’est à l’arrivée de notre troisième enfant que j’ai réfléchi sur ce que je souhaitais vraiment, en termes de sens et d’avenir. Mon mari m’a soutenue dans ce choix, et les rencontres que j’ai eues avec d’autres agriculteurs ont également été très importantes.

Aujourd’hui, je souhaite parvenir à un équilibre professionnel et personnel, à un équilibre aussi entre le bien-être animal, l’économique et le technique. Traverser l’épidémie de grippe aviaire a été difficile, mais n’a pas remis mon choix en question. Je sais qu’il faut de grandes compétences pour ce métier, il faut être bon ! Et l’agriculture, c’est aussi le climat, la société, l’administration... nous faisons partie d’un vaste système ! Je voudrais aussi ajouter que pour avoir envie de s’installer, nous avons besoin de visibilité dans nos filières. Les demandes sociétales changent très vite et le consommateur ne suit pas toujours. Quelles types de productions devons nous choisir ? » »

Géraldine Marichal

Géraldine Marichal

Juliette de Lombardon, maraîchère dans l'Oise

Juliette de Lombardon, maraîchère en agriculture biologique dans l’Oise.
Juliette de Lombardon

Juliette de Lombardon est installée en maraîchage bio dans l’Oise, en périphérie de Senlis, depuis quatre ans. Elle non plus ne vient pas d’un milieu d’agriculteurs. Parisienne, travaillant dans l'industrie du luxe depuis quinze ans, l’arrivée de la quarantaine l’a amenée à se questionner sur le sens donné à son métier.

« J’ai eu besoin de tourner une page, face à une sensation de ras-le-bol. J’ai voulu mettre mon temps et mon énergie au service de quelque chose qui a du sens pour moi. J’avais besoin d’être en contact avec la nature, et besoin d’action. Mon entourage n’était pas convaincu, mais aujourd’hui, je suis toujours là, et je suis une des seules maraîchères de la région.

Mon entreprise se situe en zone périurbaine, 5 000 m² et 1 000 m² de serres. Je pratique le maraîchage sur du sol vivant, avec un nombre de vers de terre exponentiel, et de façon à perturber les sols le moins possible. Je commercialise en AMAP (Association pour le maintien d'une agriculture paysanne) et sur les petits marchés de juin à septembre. Je ne cache pas que l’installation a été complexe, avec la difficulté d’accéder au foncier, avec le montage d’un dossier très lourd... J’ai failli abandonner !

Ce que je trouve difficile, c’est la solitude, la pénibilité physique. Je prévois l’embauche d’une saisonnière pour l’année prochaine, et je suis devenue ferme d’accueil, avec "Entrepreneur à l’essai pour deux saisons", pour les personnes qui ont envie de faire ce métier. Je constate, qu’aujourd’hui encore, le monde agricole est très masculin : il est difficile d’être pris au sérieux, les chambres d’agriculture sont des lieux de pouvoir, il faut faire sa place, ce n’est pas évident.»

Juliette de Lombardon

Pour toutes les trois, un constat partagé : si leur métier allie engagement, sens, passion et partage, la question de l’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle reste un sujet délicat que chacune expérimente différemment.
Et les stéréotypes sont encore là, entre les technico-commerciaux qui demandent « à voir le patron », l’idée que les femmes ne sont pas sur les tracteurs ou la difficulté parfois d’être prise au sérieux.

Pour autant, être cheffe d’entreprise agricole demeure leur choix, qu’elles ne regrettent pas. Impliquées dans différentes instances collectives qui leur permettent à la fois de multiplier les échanges et d’installer une légitimité, elles poursuivent leur route de la même façon qu’elles l’ont choisie : avec passion et détermination.