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La « forêt mosaïque » ou le pari de la diversité
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À 50 kilomètres au sud-ouest de Paris, le massif forestier de Rambouillet s’étend sur près de 22 000 hectares, dont 14 000 hectares de forêt domaniale. L’ONF y met en œuvre le concept de « forêt mosaïque », avec un idée simple : une forêt diverse, avec des essences d’arbres et des milieux variés, sera plus résiliente face aux aléas climatiques.
Chacun regarde la forêt à sa façon. Les ramasseurs de champignons ne quittent pas le sol du regard. Les cyclistes visent droit devant eux. Les promeneurs jettent des coups d’œil distraits au fil de ce qui se présente, papillon, rayon de soleil, branche morte. Le forestier, lui, marche en forêt les yeux en l’air. C’est la cime des arbres qui l’intéresse d’abord, c’est elle qui lui permet de connaître leur état de santé. Celle que pointe Thomas Bran du doigt ne nous avait pas sauté aux yeux... et pourtant. « Ce chêne a perdu environ 60 % de ses branches, il lui reste peu de feuilles sur la cime. Il est en train de dépérir. »
Jusque-là, en comparaison d’autres massifs forestiers de France, Rambouillet était plutôt épargné par le changement climatique. Mais les sécheresses répétées de ces dernières années commencent à avoir des conséquences visibles sur la santé des arbres, en raison du manque d’eau. « En 2022, il n’a pas plu d’avril à octobre, rappelle Thomas Bran. En 2023, il n’a pas plu de tout l’hiver, et les nappes ne se sont pas rechargées : on a abordé le printemps sans eau dans les sols. » Ce bouleversement du climat fragilise les arbres, dont certains sèchent sur pied ou ne redémarrent pas le printemps suivant.
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Maintenir de la diversité à tous les niveaux
Le concept de « forêt-mosaïque » développé par l’ONF est l’une des réponses à cet épineux problème. En maintenant de la diversité à tous les niveaux (essences, milieux, modes de gestion), on favorise sa résistance aux différents aléas, comme la hausse des températures, le manque d’eau ou encore le développement des maladies.
Concrètement, cette mosaïque, c’est une addition de parcelles qui répondent aux grandes fonctions de la forêt : production de bois, accueil du public, protection de la biodiversité. Thomas Bran nous guide tout d’abord vers une lande sans arbres, couverte de bruyère, que l’ONF désigne comme une réserve biologique : « Ici, l’objectif est la sauvegarde d’espèces végétales protégées, comme le piment royal, ou animales, comme l’engoulevent, un oiseau nocturne qui niche au sol ». Ce milieu ouvert sert aussi de terrain de chasse pour les chauves-souris, et plus généralement de zone de repos et de transit pour une multitude d’espèces.
D’autres parties de la forêt sont même laissées entièrement à la nature : dans ces 200 hectares de réserve biologique « intégrale », l’ONF n’intervient plus. « On laisse ici la nature et la biodiversité s’exprimer librement, décrit Thomas Bran. Pour nous, c’est un laboratoire à ciel ouvert, où l’on peut suivre l’évolution du milieu sur le temps long. » Plus loin, nous sommes de retour au milieu des grands arbres, chênes, hêtres, charmes ou bouleaux. Une zone de production de bois en gestion « irrégulière » : l’Office y entretient un couvert permanent avec des arbres de tous âges. Les arbres adultes y sont abattus de manière progressive, ce qui permet d’éviter les coupes définitives et de maintenir l’aspect visuel de la forêt.

Des modèles climatiques pour prévoir l'avenir
Le défi, en période de changement climatique, est d’assurer la régénération, le maintien de l’ensemble de cette forêt pour qu’elle continue de répondre à nos besoins collectifs. Si nécessaire, les équipes de l’ONF mettent en œuvre des méthodes de migration assistée : « Quand le chêne sessile est en difficulté à cause de la sécheresse, on peut passer à d’autres chênes méridionaux, chêne pubescent, chêne tauzin », précise Thomas Bran. Pour choisir les essences, l’ONF s’appuie sur des modèles prédictifs (voir encadré ci-contre) qui prennent en compte le sol, l’orientation, la réserve en eau, la température et le climat projeté dans le futur.
La diversification de la forêt, comme à Rambouillet, est une assurance-vie pour l’avenir. Futaie1 régulière, irrégulière, milieux ouverts, diversité d’espèces végétales, rendent le milieu plus fort et plus résilient face aux aléas climatiques. « En cas d’incendie, on va perdre de la biodiversité à un endroit précis mais on l’aura toujours ailleurs dans le massif », complète Thomas Bran.
Au cœur de la philosophie des équipes de l’ONF, il y a le respect du travail des générations passées. « Quand on marque un arbre pour l’abattage, on le fait avec énormément de sérieux et de gravité : on ne le fait jamais à la légère. On travaille pour le futur, en s’appuyant sur les générations de forestiers qui sont passés avant nous. »
Un panel d'outils pour anticiper l'avenir
Comment évaluer la sensibilité des essences d'arbres à l'évolution du climat, et envisager la plantation de nouvelles essences ? Les organismes de recherche, en lien avec les forestiers publics et privés, ont développé des outils d'aide à la décision comme BioClimSol, Zoom 50, ClimEssences ou encore les catalogues de station, pour aider les forestiers à choisir les essences adaptées à chaque contexte. Ce travail de diagnostic climatique est même devenu un prérequis pour l'attribution des aides au renouvellement forestier des peuplements en situation de vulnérabilité climatique.
1 La futaie est un bois ou une forêt provenant de semis ou de plantations et destiné à produire des arbres de grande dimension, au tronc élevé et droit.