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Patrick Dugué / Cirad

11 décembre 2017 Info +

Julie Brayer Mankor, ou l'importance de la diplomatie agricole en Afrique de l'Ouest

Conseillère aux affaires agricoles pour l'Afrique de l'Ouest de 2014 à 2018, Julie Brayer Mankor a, grâce au vaste périmètre dont elle s'est occupé, une vision d'ensemble très exigeante qui lui permet d'aborder avec pertinence et lucidité les problématiques agricoles au cœur des préoccupations économiques des Africains. Interview.

Quelle est votre mission ?

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© Cheick Saidou / Min.Agri.Fr

L’Afrique de l’Ouest réunit la Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), soit une quinzaine de pays, allant du Sénégal au Nigeria. J'ai une mission de veille et de diplomatie agricole qui permet de développer un réseau avec les autorités, les filières et les organisations de producteurs. Nous collaborons avec l’Adecia, FVI (France vétérinaire international), l’Adepta, Business France et Bpifrance pour renforcer la mobilisation de notre expertise publique et parapublique agricole et le positionnement de nos entreprises sur ces marchés. Nous venons de lancer un Club Agro en Côte d’Ivoire pour faciliter les liens et collaborations entre les entreprises, ainsi qu’avec les experts sectoriels du Cirad, de l’IRD, de l’Agence française de développement (AFD) et des ONG françaises. Nous portons également la parole de la France sur les grands sujets tels que l’agro-écologie ou le 4 pour 1000 - des sols pour la sécurité alimentaire et le climat, une initiative appréciée en Afrique de l'Ouest.

Quelles sont les entreprises françaises présentes en Afrique de l'Ouest ?

Irrigation, ingénierie, génétique ou équipement agricole, dans bien des secteurs, les entreprises françaises ont des contacts réguliers avec les pays ouest-africains, en particulier le Sénégal ou la Côte d’Ivoire. L'agroalimentaire représente aussi un potentiel important. Les entreprises françaises, agricoles et agroalimentaires, réalisent plus d’1 milliard d'euros à l'export vers l'Afrique de l’Ouest, ce qui est loin d’être négligeable. Mais il est nécessaire d'investir sur notre positionnement ici pour ne pas perdre de parts de marché.

L'expertise des entreprises françaises est-elle recherchée ?

L'exemple français est regardé avec intérêt dans l’organisation des filières, la répartition de la chaîne de valeurs et la démarche interprofessionnelle. La Cooperl - Groupe coopératif de la production porcine - est en train d’investir dans la filière d’abattage porcin en Côte d’Ivoire, ce qui permettra de tirer par l’aval le développement de la filière et entraînera une montée en puissance des exploitations.
Sur l’innovation et l’appui aux petites et moyennes entreprises, les intérêts croisés d'entreprises françaises et locales ont permis au Bénin par exemple, la collaboration d'une entreprise locale d'extraction de jus d’ananas bio avec « Les jus de Marmande », filiale du groupe coopératif Terres du Sud et l’équipementier Biaugeaud. Aujourd'hui, cette entreprise béninoise a dépassé ainsi le stade artisanal, et les organisations professionnelles béninoises sont à son capital. Le marché du Bio (fruits, jus, cosmétique végétales…) et du sans gluten (couscous de manioc ou le fonio) semblent très porteurs pour les produits ouest-africains dont la production pourrait se développer, et pour nos collaborations en la matière.

Comment protéger le modèle de la petite exploitation familiale ?

La Côte d’Ivoire est le premier producteur mondial de cacao où la production dépend essentiellement de petites exploitations. Des opérateurs français sont présents dans le secteur, comme Cemoi qui a investi dans la première transformation et sur le secteur aval de la production. Elle contractualise avec des coopératives de producteurs et a pris des engagements en termes de traçabilité, notamment pour un « cacao ami des forêts », engagements appuyés aussi par la France au travers de ses outils de coopération.
Dans le secteur des fruits tropicaux, de grands opérateurs français et ivoiriens contractualisent ou vont contractualiser une partie de leur production, plus ou moins grande selon les productions, avec des producteurs familiaux. Ils peuvent ainsi les aider techniquement sur la production, et surtout pour la collecte et la partie logistique d’export. Au Sénégal, cette contractualisation se développe aussi dans le secteur du riz à décortiquer et à usiner.
En outre, pour les investisseurs, l’Agence française de développement a développé un guide pratique des projets à emprise foncière afin de respecter les directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers adoptées au niveau mondial. Sur un financement du Fasep (Direction générale du Trésor), une étude listant les actions et étapes pratiques juridiques et sociales à mener, a été réalisée en Côte d’Ivoire pour accompagner les entreprises vers des investissements responsables et respectueux des engagements français.

Quelle peut être votre action dans la lutte contre le changement climatique et contre la dégradation des ressources naturelles ?

L’enjeu reste l’amélioration des rendements de manière durable. L’intensification écologique des systèmes de production via des pratiques agro-écologiques permettra de garantir la sécurité alimentaire et des revenus des producteurs en croissance et diversifiés, avec un niveau de production plus élevé et une réduction des coûts (engrais, produits de traitements…). Nous serons amenés à travailler de plus en plus les questions de fertilité, de lutte contre la dégradation des terres, d’utilisation de la biomasse pour l’énergie. Déjà, des entreprises se lancent dans la bio-économie ou pour répondre à la demande d’engrais bio. Notre rôle est de suivre et de mettre les entreprises et dynamiques en lien.
Dans les zones tropicales, le développement agricole ne peut plus se faire au détriment de la forêt, la déforestation risquant elle-même de faire baisser les pluies et la fertilité. Dans le nord du Togo, en zone de savane, le ministère de l'Agriculture porte un projet de l’ONG AVSF qui accompagne une dynamique de préservation, de gestion durable et de restauration des sols dégradés par le changement climatique. Il essaie notamment de mesurer les impacts des pratiques agro-écologiques et le développement des systèmes agroforestiers, en particulier sur le carbone des sols, tout en garantissant les revenus des producteurs. Au Burkina Faso et en zone sahélienne, via des projets financés par l’AFD et le FFEM, on lutte activement contre la dégradation des sols en favorisant, en retrouvant des pratiques traditionnelles pour fixer les sols. L’accès à l’eau et l'irrigation sont également des enjeux majeurs.