Troupeau de brebis mourérous en estive au col de la Colombière
Xavier Remongin/agriculture.gouv.fr

25 janvier 2024 Info +

L'implication du secteur agricole dans la compensation écologique - Analyse n°198

Les notes d’Analyse présentent en quatre pages l’essentiel des réflexions sur un sujet d’actualité relevant des champs d’intervention du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. Selon les numéros, elles privilégient une approche prospective, stratégique ou évaluative.

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Fournisseurs de services écosystémiques, les agriculteurs sont parfois sollicités pour accueillir, sur leurs terres, des mesures de compensation écologique. Ces dispositifs prennent une place croissante dans la lutte contre l’artificialisation des sols et dans la promotion d’un aménagement des territoires durable. Une recherche menée dans six régions de France montre cependant qu’ils ne contribuent pas de façon significative à la transition agro-écologique des exploitations.

Introduction

En France, les projets d’aménagement tels que les infrastructures de transport, l’installation d’éoliennes, l’exploitation de carrières et les programmes immobiliers, prennent environ 30000 hectares par an sur les espaces naturels, agricoles et forestiers 1. Mais, depuis plus d’une vingtaine d’années, la lutte contre ces différentes formes d’artificialisation des sols s’affirme sur l’agenda politique. Complétant les lois relatives à l’urbanisme, de nouvelles dispositions cherchent à réguler ces travaux et à promouvoir un aménagement durable des territoires2. Le droit de l’évaluation environnementale impose désormais aux porteurs de projets de démontrer que les impacts en seront réduits. Appliqué en France depuis le Grenelle de l’environnement (2007) et renforcé par la loi en 20163, il s’applique aux projets, plans et programmes d’urbanisme. Il est assorti d’une obligation de résultats, notamment «l’absence de perte nette de biodiversité».

La «séquence éviter-réduire-compenser» (ERC) a été forgée initialement par l’Environmental Protection Agency, aux États-Unis, en 1975, pour simplifier la mise en conformité d’entreprises privées face aux nouvelles réglementations des pollutions aériennes et aquatiques4. Elle a depuis été largement appropriée par les parties prenantes des politiques environnementales, dans de nombreux pays5. Elle définit les conditions de mise en œuvre de ces projets d’aménagement. Les acteurs doivent en priorité éviter au maximum les impacts négatifs et faire la démonstration de leurs efforts. Sinon, il leur faut réduire les dégradations suscitées par leurs projets d’aménagement. Enfin, si cela n’est pas possible, ils doivent compenser les effets de ces projets par la sécurisation et la restauration d’espaces naturels similaires à proximité.

En pratique, cette procédure est principalement tournée vers les espèces protégées, les zones humides et les forêts. Par exemple, la «séquence ERC» peut s’appliquer à la construction d’une nouvelle autoroute. Celle-ci devra suivre le tracé de moindre impact, pour éviter les zones naturelles importantes. Si cela n’est pas possible, des passages à faune seront alors construits pour réduire les effets sur la connectivité écologique. Enfin, des mesures de restauration ou d’entretien, mises en œuvre sur des sites distincts mais à proximité des espaces aménagés, devront engendrer un gain écologique pérenne pour compenser les impacts résiduels6.

Cette note s’intéresse seulement au troisième volet, celui de la compensation, car l’accès au foncier y occupe une place significative et critique. Les compensations sont majoritairement réalisées sur des milieux semi-naturels et, moins d’une fois sur cinq, sur des terres agricoles, exploitées ou en déprise7. Les agriculteurs peuvent bénéficier, dans ce cas, d’une rémunération ou d’un accès à des terres en échange de la mise en œuvre de mesures environnementales. Leur implication est donc d’emblée limitée mais elle renseigne néanmoins sur les conditions de leur participation à des programmes d’action publique environnementale et, partant, sur la portée de ceux-ci pour la transition agro-écologique des exploitations.

Ces pages présentent les résultats d’une recherche interdisciplinaire (encadré 1), et plus particulièrement son volet sociologique. La première partie examine l’offre de services fonciers et environnementaux en matière de compensation. La suivante décrit les différents types de mesures mises en œuvre sur des parcelles agricoles. Enfin, la troisième partie identifie plusieurs modèles de compensation et s’interroge sur leur portée pour la transition agro-écologique des exploitations.

Encadré 1 - Le programme CompAg (Compensation écologique et agriculture : quelles mesures pour favoriser l’agro-écologie ?)8

Conduit de 2018 à 2021 et financé par l’Agence nationale de la recherche, ce travail était coordonné par INRAE avec l’implication du Cerema, du CNRS et de l’université Côte d’Azur. La Fédération des conservatoires d’espaces naturels, l’entreprise Agrosolutions et le réseau Terre de liens participaient aussi au projet.

Un premier axe de recherche a défini la « nature ordinaire », en contrepoint des espèces et espaces « remarquables » et protégés. Une revue de littérature a permis d’identifier les services écosystémiques rendus par les espaces agricoles dans les exploitations de type conventionnel. Ensuite, l’attractivité des mesures de compensation pour les agriculteurs (acceptabilité économique, consentement à participer) a été étudiée, via une démarche d’économie comportementale. Le troisième volet a examiné les modalités actuelles de mise en œuvre de compensations écologiques en milieu agricole (étude juridique des contrats, analyse sociologique dans six régions). Enfin, le dernier axe portait sur des hypothèses de renforcement de la compensation écologique, tenant compte de l’efficacité incertaine des mesures visant une dynamique écologique à l’échelle paysagère.

1) Une offre de services fonciers et environnementaux pour la compensation

Pour saisir les modalités de participation du secteur agricole à la compensation écologique, une enquête a été menée dans six régions (figure 1). Elles ont été choisies en fonction de leur implication dans la compensation, de leur dynamique d’artificialisation, de la diversité des enjeux de biodiversité et des types d’agriculture (grandes cultures ou polyculture élevage). 95 entretiens ont été réalisés avec les principaux acteurs à compétences foncières, écologiques et agricoles : Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER), chambres d’agriculture, Conservatoires des espaces naturels, services de l’État (notamment Directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement - DREAL et Directions départementales des territoires - DDT). En parallèle, dans chaque région, trois à cinq projets donnant lieu à des mesures compensatoires portées par des agriculteurs ont été étudiés (24 au total), mis à part en Île-de-France où un seul des deux projets identifiés a pu être étudié.

Figure 1 : Les six régions étudiées

Une carte de France indique les six régions dans lesquelles l’enquête a été menée, pour saisir les modalités de participation du secteur agricole à la compensation écologique : Hauts-de-France, Normandie, Ile-de-France, Bourgogne-Franche-Comté, Auvergne-Rhône-Alpes, Occitanie.

Source : Barral S., Guillet F., 2023, « Preserving peri-urban land through biodiversity offsets. Between market transactions and planning regulations », Land Use Policy, vol.127, 106545.

Le plus souvent, les aménageurs cherchent à sous-traiter tout ou partie de la procédure, notamment la mise en œuvre et le suivi des mesures compensatoires. Ainsi, ils contractualisent l’application de la séquence ERC et la rédaction de l’étude d’impact à des bureaux d’études spécialisés. Lorsque les besoins en compensation impliquent d’identifier et de sécuriser des parcelles à proximité du projet, l’aménageur peut aussi faire appel à des organismes locaux. Ainsi, l’application du droit repose sur l’existence d’un marché de services fonciers et environnementaux, proposés par des organisations intermédiaires issues du secteur de la protection de la nature (Conservatoires d’espaces naturels, etc.), du secteur tertiaire (branche Biodiversité de la Caisse des dépôts et consignations, par exemple), ou encore du secteur agricole (SAFER, chambres d’agriculture)9.

Ces dernières organisations se sont progressivement éloignées de leur posture défensive du début des années 2000. Elles dénonçaient alors une «double peine» au regard de la consommation du foncier agricole, liée au projet lui-même mais aussi au portage des mesures compensatoires sur des terres productives. Compte tenu des intérêts en jeu et des opportunités économiques, les SAFER et chambres d’agriculture ont progressivement développé leur propre offre de services, centrée sur la veille foncière, l’identification d’agriculteurs gestionnaires de mesures compensatoires, la rédaction de cahiers des charges, la contractualisation, le suivi. Si elles sont particulièrement bien situées pour faciliter l’identification de parcelles, il arrive aussi qu’elles orientent les aménageurs vers des milieux autres qu’agricoles. C’est le cas en Île-de-France où les réticences des agriculteurs invitent à explorer d’autres possibilités, notamment dans des zones forestières.

Cette offre de services est plus ou moins institutionnalisée. Dans des régions pionnières telles que l’Occitanie et les Hauts-de-France, les services de l’État ont formalisé des guides techniques, des chartes d’engagement et appuyé la constitution de centres d’information. Ces initiatives sont l’occasion, pour les SAFER et les chambres d’agriculture, de prendre position sur la compensation écologique et de participer à la construction de références et de normes d’application locales. De plus en plus, les représentants des agriculteurs mettent en avant leur préférence pour une mobilisation de foncier non agricole (non productif ou en friche), dans les zones à forte productivité comme dans celles plus en déprise. Dans d’autres régions (Île-de-France, Bourgogne-Franche-Comté), de telles initiatives sont limitées et la mise en œuvre de la compensation se fait davantage au cas par cas.

2) Les mesures compensatoires sur des espaces agricoles

Les mesures compensatoires réalisées sur des parcelles agricoles sont peu variées. L’enquête réalisée en identifie quatre grands types : fauche tardive (sept projets), pâturage extensif (quinze projets), conversion d’une culture en prairie (cinq projets), plantation de haies ou de bandes enherbées (cinq projets). La figure 2 en donne trois illustrations. Plusieurs types peuvent être associés au sein d’un même projet d’aménagement.

La fauche tardive est généralement proposée en compensation de la destruction de l’habitat d’oiseaux de plaine nichant dans des prairies agricoles. Elle consiste à décaler la date de première fauche après la période de nidification. La qualité du foin s’en trouve diminuée du fait de la présence d’herbes plus ligneuses. Toutefois, la baisse de productivité est plus faible que dans le cas d’une remise en prairie de terres labourées. Il est donc plus facile, pour les maîtres d’ouvrage, d’inciter des agriculteurs à contractualiser pour ce type de mesures. Par exemple, dans le cadre des compensations mises en place pour les travaux de l’autoroute 406, en Val de Saône, la chambre d’agriculture, gestionnaire des mesures, a passé une convention avec dix agriculteurs devant respecter un cahier des charges de fauche tardive de leurs prairies. Ils valorisent des prairies qui peuvent être loin du siège de l’exploitation et perçoivent une indemnisation de 600 €/ha. Le gain écologique, ici évalué par le nombre de couples d’oiseaux de plaine comptés sur les parcelles, est modéré. La fauche tardive réalise ainsi un premier compromis, acceptable pour l’ensemble des acteurs impliqués, entre production agricole et protection de la nature.

Pour le pâturage extensif (figure 2), cas le plus fréquemment rencontré, les mesures de compensation encadrent la charge en animaux par hectare, éventuellement le parcours des troupeaux, ainsi que les doses d’azote autorisées. Cela permet l’entretien de milieux ouverts et peut conduire à une extensification de la production, dans le cas de parcelles déjà exploitées. Dans celui de parcelles auparavant en déprise, les pratiques pastorales permettent d’ouvrir des milieux qui étaient en voie de fermeture, associant ainsi production agricole et gain écologique.

Figure 2 : Pâturage extensif en garrigues, Hérault

Pâturage extensif en garrigues, Hérault
Fanny Guillet

Source: auteures

La remise en prairie de parcelles cultivées consiste à replanter une prairie, permanente ou semi-permanente, sur une terre initialement dédiée aux grandes cultures et donc labourée. Cette mesure conduit au gain environnemental le plus important par la recolonisation de communautés d’espèces, notamment végétales. Le passage d’une production de céréales à celle de foin entraîne aussi la plus grande perte de productivité.

Enfin, la plantation de haies constitue un habitat pour diverses espèces, notamment d’oiseaux et de chiroptères. Il s’agit de planter des espèces pérennes, généralement en bordure de parcelles. L’espace occupé est soustrait à la surface productive, d’où une réduction de la production agricole. Ces mesures comportent des bénéfices agronomiques à moyen terme: réduction de l’érosion, protection contre le vent, participation à la lutte intégrée10.

La tension qui peut exister entre le gain écologique et l’activité agricole est importante pour comprendre le degré plus ou moins fort d’intérêt des agriculteurs à participer aux actions de compensation. Dans la plupart des cas, le changement de pratiques entraîne une diminution de la productivité, ce qui peut rebuter les exploitants, mais aussi être mis en avant pour justifier la rémunération. Le compromis ou la convergence entre écologie et agriculture est au cœur des négociations entre les parties prenantes, ce qui se traduit par des situations régionales contrastées.

3) Des configurations régionales contrastées

Au-delà des changements de pratiques de production, l’étude met en évidence des niveaux d’institutionnalisation varia­bles. Elle révèle aussi des différences importantes, selon les projets et les régions, concernant les modalités de rémunération et les durées de compensation. Deux facteurs sont au cœur des négociations entre les aménageurs et les organisations agissant comme intermédiaires : le foncier et le profil agricole régional (orientations productives, dynamique d’artificialisation, etc.). Ils se conjuguent pour créer deux modèles, pareillement imparfaits, de compensation.

Le rôle du foncier et du profil agricole régional dans la négociation des mesures

La maîtrise foncière est déterminante. Dans les négociations, elle permet à celui qui la détient de faire valoir ses intérêts. Quand l’agriculteur est propriétaire des terres sur lesquelles les mesures compensatoires sont envisagées, il perçoit une indemnité en échange du respect d’un cahier des charges agro-écologique, généralement inspiré de celui de Mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) de la Politique agricole commune (PAC). Cette propriété permet aussi de négocier le montant de la rémunération et la durée des mesures (cinq à trente ans). À ceci s’ajoute la prise en compte de l’utilisation des terres dans les années précédant l’instauration des mesures de compensation. Pour les parcelles en grandes cultures, en particulier, l’agriculteur peut négocier une limitation de l’emprise spatiale des mesures. Ainsi, plutôt que la remise en prairie, on relève une tendance à favoriser la plantation d’infrastructures vertes, comme observé pour des projets de compensation d’installation d’éoliennes en Champagne-Ardenne. Dans les cas de fauches tardives, les agriculteurs peuvent aussi négocier certaines conditions, telles que la première date de fauche.

Quand les parcelles appartiennent à l’aménageur ou à la collectivité territoriale, qui met du foncier à disposition en soutien au projet, l’agriculteur en bénéficie à titre gracieux ou reçoit une indemnité contre travaux agro-écologiques. Dans ce cas, le dispositif attire des éleveurs en recherche de surfaces ou, plus généralement, des exploitants saisissant l’opportunité d’un complément de revenus. La position de l’agriculteur dans le processus de fixation des conditions de gestion et de rémunération est alors moins favorable. Par exemple, un aménageur public peut imposer l’arrêt de la culture de parcelles en bail, au profit d’une roselière. L’utilisation précédente des surfaces a alors peu d’influence sur les conditions de mise en œuvre de la compensation écologique.

Les types de mesures et les conditions foncières sous-jacentes aux négociations révèlent des spécificités territoriales, liées notamment à la structure du marché foncier et au rôle des SAFER et des chambres d’agriculture dans la défense des intérêts sectoriels. Trois régions se démarquent par leurs profils contrastés.

Les Hauts-de-France sont une zone de grandes cultures, sur terres à haute valeur agronomique, où la pression foncière est forte. Du fait de prix des terres élevés et de réseaux professionnels agricoles opposés à l’acquisition foncière, les aménageurs ne peuvent contractualiser qu’avec de rares agriculteurs. Pour les y inciter, ils doivent aligner le montant des indemnités sur les références régionales (notamment les prix des locations de terre), ce qui conduit à des indemnisations largement supérieures aux montants de MAEC équivalentes, pour des contrats limités à trente ans.

À l’inverse, l’Occitanie dispose d’une réserve d’espaces semi-naturels propices à l’élevage extensif, privilégiés pour l’accueil de mesures compensatoires. Les prix du foncier sont bas et des terres sont disponibles pour l’acquisition, notamment dans les zones qui connaissent une déprise agricole et une fermeture des paysages. De ce fait, la compensation écologique y est plus aisée, avec la participation active de la chambre d’agriculture du Gard et de la SAFER régionale. Cependant, une pression d’aménagement croissante conduit aujourd’hui à une situation plus tendue et à des réticences de la part des acteurs agricoles.

Enfin, l’Île-de-France se distingue par la quasi-absence de mesures compensatoires portées par le secteur agricole, globalement rétif vis-à-vis de ce genre de dispositifs.

Deux modèles imparfaits de compensation

Les négociations foncières régionales peuvent aussi être étudiées à travers le prisme du temps et de l’espace. En effet, la contribution du secteur agricole à la compensation écologique, à la conservation de la biodiversité et à la transition agro-écologique, dépend de la pérennité des changements de pratiques, mais aussi de leur importance spatiale au sein de l’exploitation et dans le paysage.

Les cas étudiés permettent de dégager deux modèles de compensation (figure3), selon l’intérêt économique pour l’agriculteur (accès à la terre à faible coût ou indemnisation importante) et l’intérêt écologique associé. L’un se retrouve plutôt dans la moitié sud de la France, le second dans la moitié nord.

Figure 3 : Deux modèles de mise en œuvre de la compensation écologique par le secteur agricole

Types d'exploitation Montages juridiques et fonciers
Compromis pérenne à faible efficacité écologique

Élevage extensif (8 cas)
Élevage intensif (1 cas)

Acquisition-réinstallation sur bail rural environnemental (4 cas)
Mise à disposition par la collectivité locale à titre gratuit ou bail rural environnemental (3 cas)
Mise à disposition par la collectivité locale, convention avec cette collectivité (2 cas)

Compensation robuste mais temporaire

Polyculture-élevage (4 cas)
Grandes cultures (3 cas)

Convention (agriculteur propriétaire ou locataire) (5 cas)
Obligation réelle environnementale (2 cas)

Source : auteures

Le premier modèle est celui du compromis pérenne mais de faible efficacité écologique. Il correspond globalement à la mise à disposition de foncier, au profit d’un éleveur qui y fait de l’élevage extensif, souvent déjà en gestion agro-écologique ou ouvert aux pratiques relevant des MAEC. Le changement de pratiques est alors anecdotique et la plus-value écologique, faible (effet d’aubaine). Cependant, les montages contractuels engagent souvent le propriétaire des parcelles et l’agriculteur sur le long terme, selon deux modalités. D’une part, la mise en place d’une Obligation réelle environnementale (ORE) peut permettre, dans certains cas, une sécurisation foncière de plus de trente ans. D’autre part, la parcelle peut être rétrocédée sous la forme d’un bail emphytéotique de 99 années à un organisme gestionnaire de protection de la nature (fréquemment le Conservatoire des espaces naturels).

Le second modèle est celui de la compensation robuste, mais à durée limitée. Il concerne le plus souvent la mise en œuvre de mesures compensatoires sur des parcelles exploitées. Le changement de pratiques est donc conséquent, il génère d’importants gains écologiques, surtout quand sont remises en prairie des terres cultivées. En revanche, les conventions sont généralement de plus courte durée (cinq à trente ans). La compensation peut encourager une évolution vers des pratiques agro-écologiques, mais leur faible convergence avec le modèle de l’exploitation les rend précaires, souvent cantonnées à des parcelles marginales et finalement de faible portée.

De façon générale, la participation du secteur agricole à la compensation écologique suit une logique d’opportunité. Les acteurs du secteur ont des préférences hiérarchisées qui les amènent à privilégier la réalisation de cette compensation sur du foncier non productif, puis sur des espaces en friche, des prairies, et enfin sur des terres labourées, à la fois les plus onéreuses et les plus protégées par la profession agricole. La compensation écologique se développe donc préférentiellement sur les espaces agricoles marginaux. Elle peut aussi être portée par des exploitants proches de la retraite, cherchant à alléger leur charge de travail et donc plus enclins à rendre extensif leur système de production. Enfin, la hiérarchie des types de terres joue aussi à l’échelle de l’exploitation, l’agriculteur engageant en priorité ses parcelles loin du siège ou en friche. Sur l’ensemble des situations étudiées, seuls deux cas ont profité de la rémunération associée pour entamer un réel changement systémique. L’engagement dans la compensation se présente très rarement comme un renouvellement du système global de l’exploitation, ce qui remet en question l’hypothèse selon laquelle ce type de dispositifs est favorable à la transition agro-écologique.

Conclusion

Dans le cadre des dispositifs de compensation écologique, la réalisation d’une plus-value environnementale sur des parcelles agricoles reste faible. Réciproquement, la compensation ne peut pas être vue comme un levier de transition agro-écologique efficace. Les milieux agricoles ne sont pas les plus spontanément recherchés pour compenser les impacts d’un projet. Par ailleurs, ces dispositifs peinent à répondre simultanément aux enjeux économiques et écologiques, et donc à intéresser les agriculteurs.

L’action publique environnementale, centrée sur la parcelle comme unité de négociation pour les mesures compensatoires, prend mal en compte certains « effets de bord ». Par exemple, le retournement d’une prairie peut venir contrebalancer la perte de rendement découlant d’une fauche tardive. Il semble donc souhaitable de mieux articuler les objectifs de la politique publique de compensation avec les logiques agronomique et économique de l’agriculteur, fournisseur de services écosystémiques.

Stéphanie Barral
INRAE
Fanny Guillet
CNRS


1 Cerema Hauts-de-France, 2020, L’artificialisation et ses déterminants d’après les fichiers fonciers. Période 2009-2017 : https://artificialisation.developpement-durable.gouv.fr/determinants-artificialisation-2009-2017.

2 Les lois SRU (2000), Grenelle II (2010) et ALUR (2014) visent à limiter la périurbanisation, notamment grâce aux documents d’urbanisme. La loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche (2010) fixe un objectif de réduction de moitié, à l’horizon 2020, du rythme d’artificialisation des terres agricoles. Enfin, la politique climatique vise une baisse de l’artificialisation pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.

3 Articles L163-1 à L163-5 du Code de l’environnement.

4 Bonneuil C., 2015, « Tell me where you come from, I will tell you who you are: A genealogy of biodiversity offsetting mechanisms in historical context », Biological Conservation, 192, December, pp. 485-491.

5 Wende W. et al., 2018, Biodiversity offsets: European perspectives on no net loss of biodiversity and ecosystem services, Springer.

6 Commissariat général au développement durable, 2012, Doctrine relative à la séquence éviter, réduire et compenser les impacts sur le milieu naturel et 2013, Lignes directrices nationales sur la séquence éviter, réduire et compenser les impacts sur les milieux naturels.

7 Weissgerber M. et al., 2019, « Biodiversity offsetting. Certainty of the net loss but uncertainty of the net gain », Biological Conservation, 237, pp. 200-208.

8 Le rapport complet et les fiches thématiques sont disponibles en ligne : https://www.inrae.fr/actualites/compensation-ecologique-comment-proposer-mesures-efficaces-favoriser-lagroecologie.

9 Voir à ce sujet Barral S., Guillet F., 2023, « Preserving peri-urban land through biodiversity offsets: Between market transactions and planning regulations », Land Use Policy, 127, 106545 ; Barral S., Guillet F., 2022, « Temps de la nature, temps de la procédure. Conflit de temporalités dans le droit de l’environnement », Droit et société, 111, 2, pp. 305‑318.

10 Baudry J., 2019, « Les bocages entre sciences et actions publiques », Sciences Eaux & Territoires, 30.