22 avril 2016 Info +

« La gourmandise » par l'historien Florent Quellier à l'assemblée générale du CGAAER de mars

L’appétit est un crime - © Guðmundur Erró

Le second exposé de l’assemblée générale consacrée à l’alimentation a été prononcé par Florent Quellier, maître de conférences à l’université de Tours, sur le thème de la gourmandise. En français, le mot renvoie à trois acceptions, glouton, gourmet, gastronome, correspondant à trois périodes historiques différentes.

Le premier sens de gourmandise renvoie à la gloutonnerie, péché de gueule (gula) entravant l’élévation de l’âme vers Dieu. Mais, à l’ascèse et aux privations du corps préconisées par les premiers pères de l’Église, le Pape Grégoire le Grand va préférer, à la fin du VIIème siècle, substituer la condamnation des seuls dérèglements ; ses prescriptions nutritionnelles (qui préfigurent celles du PNA) privilégient la mesure en tout. La gourmandise est toujours un péché capital, mais se retrouve classée en avant-dernière position dans l’ordre de gravité décroissante.

Aux XVIIème et XVIIIème siècles, à la faveur d’une évolution du régime alimentaire, on diversifie le vocabulaire : si la gourmandise (excès rabelaisien) reste un péché, le soin mis à s’alimenter n’est pas répréhensible. On choisit les produits ; on commente et compare les recettes ; le terme de gourmet s’impose dans les cours européennes. Si un lien demeure entre gourmandise et luxure, l'art culinaire est devenu un moyen de procurer au « friand » un plaisir licite et partagé.

D’un instinct de bas ventre, la gourmandise est progressivement devenue une compétence de dégustateur et, passant de l’estomac au palais, s’est rapprochée du cerveau : c’est au début du XIXème siècle qu’apparaissent les termes de gastronomie et de gastronome. Ce dernier mot, dérivé du grec gastro, estomac, perd sa connotation religieuse, voire érotique, au profit d’une portée plus scientifique; il désigne désormais l’art de bien manger, au sens gustatif du terme, le gastronome étant l’amateur – averti – de bonne chère.

L’image de la gourmandise a ainsi tellement évolué que, de péché répréhensible, elle a acquis un statut d’expertise appréciée. On ne compte plus les semaines ou les mois de la Gourmandise organisés en France, encouragement public à la célébration des produits et des recettes. La table est plus que jamais un élément de lien social. Le repas gastronomique des Français est identifié par l’UNESCO comme une pratique sociale à préserver et encourager.

C’est bien à présent l’absence de gourmandise qui paraît être devenue un vilain défaut.