09 juillet 2013 Info +

La compétitivité agricole du Brésil : le cas des filières d’élevage

Fabien Champion (IDELE), Philippe Chotteau (IDELE, chef du département économie), Boris Duflot (IFIP), Pascale Magdelaine (ITAVI, chef du service économie), Hervé Marouby (IFIP), Michel Rieu (IFIP, chef du pôle économie), Cécile Riffard (ITAVI).

Résumé

Le Brésil est en 2011 le second exportateur mondial de viandes [1] et fournit respectivement 70 % et 40 % des importations européennes de volailles et de bœuf [2]. Par ailleurs, le Brésil n’exporte pas de viande porcine vers l’Europe mais reste un acteur de premier plan sur le marché mondial du porc. Sa compétitivité se base sur trois piliers : le coût limité des facteurs de production et des intrants, une industrie puissante et concentrée soutenue par les pouvoirs publics, et des réglementations sanitaires « à la carte ». Si certains écarts de compétitivité avec l’Union européenne s’érodent, ils ne sont pas en voie de résorption à moyen terme. Les exportations brésiliennes de viandes devraient ainsi continuer à progresser, toutefois freinées par un marché intérieur en développement. Vers l’Union européenne, marché le plus rémunérateur pour les viandes, elles dépendent exclusivement de l’évolution des barrières tarifaires et non-tarifaires.

Mots clés

Brésil, compétitivité, élevage, viande bovine, volaille, porc

Le texte ci-après ne représente pas nécessairement les positions officielles du ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt. Il n’engage que ses auteurs.

Introduction

En 2011, le Brésil a affermi sa position de premier, deuxième et quatrième exportateur mondial de volailles, de viande bovine et de porc (données USDA). L’émergence du géant brésilien au cours des années 2000 a profondément modifié les rapports de force sur les marchés mondiaux et européens des viandes. En effet, face à l’augmentation généralisée de la demande des pays émergents, le positionnement du Brésil est désormais un élément-clef des nouveaux équilibres en vigueur au niveau mondial. La présence du Brésil sur les marchés européens, déjà prépondérante en 2011 [70 %et 40 %des importations européennes de volailles et de viande bovine provenaient du Brésil (données Eurostat)], pourrait également évoluer à la faveur de l’accord de libre-échange Union européenne - Mercosur actuellement en négociation.

Dans ce contexte, afin de discuter des perspectives quant au positionnement du Brésil en matière d’exportations de viandes, en particulier à destination de l’Union européenne, cet article propose une analyse des facteurs de compétitivité des filières d’élevage brésiliennes, la compétitivité correspondant à la capacité de maintenir voire augmenter ses parts de marché. L’article se base pour cela sur une définition [3] aussi large que possible de la compétitivité, englobant à la fois la « compétitivité-prix », c’est-à-dire la capacité à proposer, ou à faire face, à des prix relativement bas du fait du niveau de coûts de production (avantages conférés par les facteurs pédoclimatiques et la localisation de l’activité, efficacité technique et organisationnelle des filières, influence du contexte économique global et des soutiens publics) et la « compétitivité hors-prix », liée à la qualité des produits, à leur différentiation, effets d’innovation, pouvoir de marché des industriels et leur capacité d’adaptation aux demandes qualitatives et quantitatives du marché, etc.

Après avoir dressé un panorama des trois filières viandes brésiliennes, cet article présente leurs forces et faiblesses, en évoquant d’abord les facteurs de compétitivité qui relèvent des coûts et des conditions de marché impactant les opérateurs individuels, puis les facteurs de compétitivité découlant du mode d’organisation des filières, largement pilotées par les géants de l’abattage/découpe. Cet article esquisse enfin les perspectives de production et d’exportation pour les trois filières viandes brésiliennes. L’évolution récente et à venir des principaux facteurs à l’origine des évolutions des exportations est examinée, et les impacts prévisibles d’une éventuelle renégociation des conditions régissant les importations européennes de viandes brésiliennes, dans un cadre bilatéral, sont abordés.

Cet article se base sur les résultats d’une étude réalisée en 2011 et 2012, qui s’est déroulée en deux phases :

Image retirée. une première phase d’analyse bibliographique, statistique et réglementaire au premier semestre 2011. Ce travail s’appuie notamment sur l’analyse de diverses bases de données brésiliennes et européennes, mais aussi des résultats issus des travaux des réseaux internationaux d’analyse de coûts de production Interpig et agribenchmark dont nos instituts techniques sont membres.

Image retirée. une seconde phase de missions de terrain effectuées au Brésil. La première d’entre elles s’est déroulée en octobre 2011 dans le Sud et le Sud-est du pays. La seconde a eu lieu en janvier 2012 dans le Nord (bassin amazonien) et le Centre-ouest.

1. État des lieux des trois filières viandes brésiliennes : des coûts de production en amont relativement bas

a. Filière volailles

Le Brésil est en 2011 le troisième producteur de viandes de volailles (derrière les États-Unis et la Chine) et le premier exportateur mondial devant les États-Unis en volume mais plus encore en valeur (données USDA).

Berceau historique de l’aviculture industrielle, le Sud continue d’assurer, en 2010, 63 %de la production brésilienne de poulet et 74 %des exportations (données UBABEF). Les exploitations familiales de polyculture-élevage de petite taille (10 à 30 ha de SAU) [4] y sont largement prédominantes.

Dans le Centre-ouest (14 %de la production et 15 %des exportations), le développement de la production avicole date de la fin des années 1990. Les structures agricoles sont beaucoup plus importantes (de 600 ha à plusieurs dizaines de milliers d’ha de SAU). Les ateliers avicoles, plus récents, bénéficient d’équipements plus modernes (bâtiments de grande taille, climatisés) et autorisent des densités d’élevage plus importantes (jusqu’à 17 poulets/m2 contre 14 dans le Sud) et l’obtention de résultats techniques plus homogènes. Leur taille plus importante et leur localisation à proximité du complexe industriel (usines d’aliment, couvoirs, abattoirs) permet une gestion optimisée des contrats par l’intégrateur. Les éleveurs intégrés sont ici des investisseurs qui réalisent un placement financier et emploient de la main-d’œuvre salariée pour gérer l’élevage avicole (cf partie 2a).

Les élevages du Centre-ouest, qui tirent également parti de la disponibilité et du faible coût de l’aliment, bénéficient traditionnellement de coûts de production plus faibles. Cependant, en 2011, les données communiquées par l’Embrapa [5] révèlent un coût du vif sortie élevage 10 %plus élevé dans le Goiás (Centre-ouest) que dans le Santa Catarina (Sud), en raison du renchérissement de la main-d’œuvre, du transport, du poussin et des charges fixes. Et ce, bien que l’écart du prix des matières premières entre Sud et Centre-ouest se soit creusé au cours des dernières années. Selon les estimations de Peter Van Horne du LEI [6] disponibles pour l’année 2009, le coût de production moyen dans le Santa Catarina (poulet vif sortie élevage) serait inférieur de 31 %en 2009 au coût français. Un différentiel principalement alimenté par les frais alimentaires, le coût du poussin et la rémunération de la main-d’œuvre éleveur.

La croissance de la production brésilienne de volaille s’est d’abord appuyée sur un marché intérieur en fort développement puis sur la mise en œuvre de stratégies de développement des marchés d’exportation, fondées sur une compétitivité par les coûts et une forte diversification des couples produits-marchés. Cependant, la croissance du marché intérieur reste soutenue. Sur la décennie 2000-2010, la production brésilienne de poulet a cru en moyenne de 7 %par an, la consommation intérieure de 5 %et les exportations de 15 %(données UBABEF, Union des Industriels Brésiliens de la volaille, assimilable à une interprofession). Un ralentissement des abattages est cependant sensible sur les dernières années.

b. Filière porcine

Le Brésil est en 2011 le 4e producteur et exportateur mondial de viande de porc (données USDA). La production porcine brésilienne est assurée par de très nombreux petits élevages dits « de subsistance » et par environ 30 000 élevages dits « industriels » (reproducteurs hybrides sélectionnés, conduite en bandes, alimentation complète adaptée aux stades physiologiques, prophylaxie, etc.). Les premiers ont une vocation d’autoconsommation ou de vente sur le marché local tandis que les seconds assurent l’approvisionnement des marchés régionaux, du marché national et a fortiori des exportations. Les élevages industriels concentrent 65 %du cheptel de truies et produisent 90 %des porcs du pays (données Embrapa et ABIPECS [7]).

La production porcine brésilienne a connu depuis la fin des années 1990 un développement conséquent. Entre 1997 et 2011, elle est passée de 1,54 à 3,36 millions de tonnes (données ABIPECS), soit un taux de croissance annuel de 5,7 % . Durant cette période, le développement de la production porcine s’est principalement opéré au sud du pays. Dans cette région (62 %de la production en 2011), l’agrandissement et la spécialisation des élevages ont permis des gains de productivité importants, assurant le renforcement de la compétitivité malgré des contraintes environnementales croissantes. Les ateliers naisseurs regroupent ainsi en moyenne 150 à 500 truies (180 en France), et les engraisseurs produisent 600 à 2 000 porcs par an (980 en France).

Le développement de la production porcine a également été considérable dans le Centre-Ouest. À partir de la fin des années 1990, les grandes entreprises de la filière ont en effet été attirées dans la région par le faible prix des matières premières agricoles et les capacités financières de nombreux producteurs de maïs et de soja désireux de diversifier leur activité. Entre 2002 et 2011, la production porcine du Centre-Ouest a augmenté à un rythme de plus de 10 %par an et représente 14 %des abattages nationaux en 2011. Toutefois, son éloignement et ses infrastructures de transport peu performantes limitent ses capacités d’expansion. Les structures de production du Centre-Ouest sont beaucoup plus grandes que dans le Sud : les ateliers naisseurs y regroupent généralement 1 000 à 4 000 truies et les engraisseurs plus de 2 000 porcs.

En moyenne sur la période 2006-2010, les coûts de production du porc ne dépassaient pas 0,93 €/kg de carcasse dans le Mato Grosso, contre 1,02 €/kg de carcasse dans le Santa Catarina ; cette différence s’expliquant principalement par l’écart de coûts des aliments (données Interpig [8] et Conab/Embrapa [9]). En France, le coût de production moyen atteignait 1,36 €/kg de carcasse sur la période (données Interpig). Le différentiel entre France et Santa Catarina est principalement lié au coût de la main-d’œuvre, des bâtiments et de la gestion environnementale et sanitaire des élevages.

La hausse de la production porcine brésilienne a été principalement absorbée par la consommation intérieure, qui a progressé de 4,8 %par an entre 1997 et 2011 (données ABIPECS). Les exportations de viande de porc ont fortement augmenté entre 2000 et 2005, principalement en direction du marché russe, mais ont stagné ensuite autour de 550 000 tonnes-équivalent-carcasse, soit 17 %de la production de 2011. Les exportations vers la Russie ou d’autres régions largement déficitaires se heurtent en effet à des obstacles sanitaires récurrents qui empêchent le Brésil de saisir des opportunités de marché (fièvre aphteuse ; utilisation de promoteurs de croissance comme la ractopamine). Si certains débouchés comme l’UE restent fermés au porc brésilien, d’autres marchés particulièrement prisés au niveau mondial, tels que les États-Unis, la Chine et bientôt le Japon, lui ouvrent progressivement leurs frontières.

c. Filière viande bovine

Devenu 1er exportateur mondial de viande bovine au milieu de la décennie 2000, le Brésil est retombé au deuxième rang derrière l’Australie en 2011 (Institut de l’élevage, 2011). Jusqu’en 2004, le cheptel bovin brésilien était dans une phase de capitalisation, et la production de viande bovine progressait à un rythme de 3 %par an. De 2004 à 2007, la hausse de la production s’est accélérée (+ 8 %par an) du fait de la décapitalisation déclenchée par des sécheresses à répétition et par des rapports de prix défavorables aux éleveurs. Depuis lors, l’érosion du cheptel reproducteur a réduit les disponibilités, d’autant plus que l’amélioration des conditions climatiques et la revalorisation des prix ont encouragé les éleveurs à recapitaliser et donc à limiter les sorties de femelles. En 2011, la production brésilienne de viande bovine n’a pas dépassé 8,5 millions de tonnes-équivalent-carcasse (tec), un niveau inférieur de 15 %aux records de 2006 et 2007 (données Conab).

La hausse de la production jusqu’en 2007 a principalement nourri la progression et la diversification des exportations. Depuis lors, les exportations ont chuté de plus de 40 %en raison du manque de disponibilités et d’une demande intérieure dynamisée. Les prix intérieurs brésiliens ont en outre été multipliés par 3,5 en dollars de 2006 à 2011 (données CEPEA [10]), face au déséquilibre offre/demande à l’échelle mondiale comme nationale et à la revalorisation du réal, causant ainsi la perte de nombreux débouchés qui avaient été séduits par le faible coût des découpes de zébu. En 2011, les exportations brésiliennes de viande bovine n’ont pas dépassé 1,4 million de tec, soit 15 %de la production (données MDIC [11]).

Forme d’activité primaire issue de la colonisation des espaces, l’élevage bovin est présent partout à travers le pays. Il a connu un développement plus récent au Nord (depuis la fin des années 1970), stimulé à la fois par l’avancée du front pionnier en Amazonie et la conversion des pâturages en cultures annuelles dans les autres parties du pays. Les systèmes brésiliens de viande bovine sont basés sur un usage extensif de l’herbe, sans fauche ni amendement des sols ou même complémentation des rations. Dans ces conditions, ces systèmes d’élevage naisseurs et engraisseurs ont subi des coûts de production inférieurs de moitié aux coûts français sur la période 2007-2010 (données agribenchmark), en raison de leurs installations rudimentaires, du faible apport alimentaire exogène et d’un foncier peu onéreux. L’émergence des feedlots, qui représentent moins de 10 %des apports de la filière exportatrice, reste limitée par la meilleure rentabilité du modèle extensif.

10 [12]

2. Principaux facteurs de compétitivité des élevages et des industries

Les coûts de production relativement bas des élevages bovins, porcins ou de volailles précédemment décrits (partie 1) sont en premier lieu issus de bon nombre d’atouts liés au climat ou hérités de l’histoire qui ont permis la constitution de grandes structures (économies d’échelle), dotées de bâtiments rudimentaires s’affranchissant de nombreux coûts, tant fixes que variables (chauffage, paille, récolte de fourrages, etc.). Outre ces avantages structurels, le faible coût de l’alimentation animale, du foncier, de la main-d’œuvre ainsi que le jeu des taux de change (ces deux derniers facteurs étant déterminants tant pour les exploitations que pour les opérateurs d’aval des filières) ont également participé à asseoir la compétitivité des filières d’élevage brésiliennes sur la scène internationale.

a. L’organisation territoriale à la base de la compétitivité brésilienne

Le Brésil dispose d’importants atouts pour l’agriculture et l’élevage, notamment une Surface Agricole Utile (SAU) de 220 millions d’hectares (hors bois et forêts), et un climat très favorable avec des durées d’ensoleillement élevées et des pluies abondantes. Conséquence de l’histoire de la colonisation du territoire et du manque d’infrastructures, 73 %de la SAU étaient encore recouvertes de pâturages en 2006 (données IBGE [13] issues du dernier recensement agricole), et 27 %de cultures annuelles et pérennes. L’élevage bovin, grâce à son faible besoin en intrants et à des produits facilement transportables en vif, fut en effet un des principaux fers de lance de la conquête des espaces.

Si les déboisements ont été, jusqu’à récemment, à l’origine de la progression de la surface agricole brésilienne, le contrôle de la déforestation et la protection des espaces se sont largement amplifiés depuis le début des années 2000. La société civile, la grande distribution puis le gouvernement ont en effet contribué à multiplier les pressions exercées sur le secteur primaire à ce sujet (Greenpeace International, 2009). Les contrôles relatifs à la déforestation se sont même renforcés depuis 2009 dans plusieurs États, freinant la progression du front pionnier en Amazonie (Imazon, 2011). Outre le ralentissement de la déforestation, c’est aussi l’abandon des sols dégradés et l’urbanisation particulièrement vive dans le Sud et le Sud-Est qui sont à l’origine de la stagnation des surfaces agricoles recensées de 1995 à 2006. Si la réforme du Code Forestier s’oriente vers des niveaux d’exigences apparemment moins contraignants aujourd’hui que ce qui avait été initialement prévu par le pouvoir exécutif, ce serait aussi pour mettre la législation plus en phase avec la réalité des exploitations agricoles et plus applicable sur le terrain. La coexistence d’une législation inadaptée et d’élevages pratiquant la déforestation en toute impunité semble aujourd’hui en passe de se terminer, même si la mise en œuvre des mesures législatives prendra de nombreuses années.

L’expansion des cultures annuelles et pérennes concentrée au Sud, au Sud-Est et dans les zones les mieux desservies du Centre-Ouest [14] participe en outre au confinement des espaces herbagers dans les zones les moins accessibles : alors qu’elle reculait dans les autres régions, la surface en pâturages dans la région Nord (qui recouvre une grande partie de la zone amazonienne) est passée de 24,4 à 26,5 millions d’hectares de 1995 à 2006 (données IBGE).

Toutefois, le désenclavement de régions à fort potentiel, notamment dans le Centre-Ouest [15] et le Nord, est un des principaux leviers de la production à bas coût de viandes blanches dans ces zones. À l’heure actuelle, le développement de la production de matières premières agricoles dans ces zones reste en effet limité par les coûts de transport dissuasifs des intrants et des grains. Le gigantesque Programme d’Accélération de la Croissance (PAC) du gouvernement, dont le second volet s’achèvera en 2014, contribue à l’amélioration des infrastructures. Mais, face aux immenses besoins en voies fluviales, routières et ferroviaires, l’impact des investissements sur le désenclavement de ces régions ne sera significatif que sur le long terme. Alors que l’amélioration des conditions logistiques pourrait amplifier l’implantation des filières viandes blanches dans l’intérieur du pays, elle devrait encore accentuer le recul des pâturages. En effet, le développement des infrastructures favorise l’utilisation des surfaces par les cultures de matières premières agricoles, au détriment de l’élevage bovin.

Enfin, en l’absence de tout système de régulation et face à la fermeture progressive du front pionnier, les cours du foncier se sont envolés depuis 10 ans (FNP, 2011). De 2002 à 2009, les prix des terres arables dites « de bonne qualité » ont en moyenne doublé dans le Centre-Ouest et ont progressé encore plus vite dans les États côtiers. Dans les zones les moins enclavées du Centre-Ouest, le prix du foncier a grimpé jusqu’à 10 000 €/ha en 2011. Un record déjà dépassé dans certaines régions du Sud-Est et du Sud. Avec l’amélioration des infrastructures et la fin de la déforestation, le marché foncier devrait rester tendu à l’avenir.

b. L’alimentation animale reste largement moins chère au Brésil

Le secteur de l’élevage bénéficie de ressources en matières premières agricoles extrêmement abondantes : le Brésil est en effet le troisième producteur de maïs et le second producteur de soja au monde (données USDA). Les prix du maïs et du tourteau de soja au sud du Brésil affichent des niveaux inférieurs à ceux constatés en France, surtout lors des fortes poussées des prix mondiaux, comme en 2007-2008 : le différentiel a alors atteint 63 euros/tonne pour le maïs (156 €/t et 219 €/t respectivement au Rio Grande do Sul et en Bretagne) et 83 euros/tonne pour le tourteau de soja (232 €/t et 315 €/t respectivement, données ACSURS et La Dépêche). La nouvelle flambée des cours mondiaux des céréales et du soja depuis l’été 2012 se traduit par le maintien d’un écart sensible, avec un prix moyen du maïs de 204 €/t au Brésil et 261 €/t en France au deuxième semestre 2012 (moyenne juillet-novembre). À certaines périodes, les prix européens et sud-brésiliens peuvent toutefois se rapprocher.

En revanche, le Centre-Ouest reste en toutes circonstances favorisé par un accès privilégié à l’aliment du bétail, avec des écarts de prix considérables entre cette zone et le Sud : en moyenne de juillet à novembre 2012, le prix du maïs y était limité à 121 €/t, soit 83 €/t en deçà du niveau observé au Sud où la récolte de maïs a été réduite par une sécheresse. Les filières viandes blanches du Centre-Ouest, zone excédentaire en grains et en plein essor, bénéficient ainsi d’aliments beaucoup moins chers qu’au Sud. L’incorporation de grains dans les rations des bovins engraissés reste toutefois peu rentable.

c. Renchérissement accéléré de la main-d’œuvre

En revanche, la croissance économique et l’amélioration des niveaux de vie renchérissent progressivement le coût du travail. Certes, les employeurs brésiliens dépensent au moins quatre fois moins que les employeurs français pour un ouvrier agricole et six à huit fois moins pour un employé d’abattoir (avec néanmoins une productivité du travail moindre au Brésil) [16], mais ce différentiel tend à se resserrer avec la revalorisation constante du salaire minimum et la réduction du taux de chômage.

d. Des soutiens publics aux exploitations agricoles peu coûteux, efficaces et en croissance

Outre les avantages liés à la faiblesse du coût de l’alimentation animale, les élevages brésiliens bénéficient d’une politique publique soutenant leurs investissements. En l’absence d’aide directe et pour faire face aux taux d’intérêt dissuasifs sur le marché bancaire, la principale forme de soutien public aux exploitations agricoles brésiliennes est le crédit à taux d’intérêt bonifié. Les taux d’intérêt réels (corrigés de l’inflation) effectivement payés sont en moyenne nuls pour les moyennes et grandes exploitations depuis 2007, et négatifs pour les plus petites structures. En 2011, le total des crédits ouverts bénéficiant de taux bonifiés atteignait 39 milliards d’euros, grâce à la mobilisation d’une partie des dépôts à vue et de l’épargne dont sont dépositaires les banques publiques, mais aussi grâce à des fonds spécifiques de la banque nationale d’investissement, la BNDES [17], et aux fonds dits « constitutionnels » [18] des régions Nord, Centre-Ouest et Nord-Est (données Banco do Brasil). En monnaie constante, l’enveloppe du programme de crédit aux exploitations agricoles a été multipliée par plus de trois de 1999 à 2011, et est vouée à maintenir sa progression. La part du total allouée aux activités d’élevage est en outre passée de 22 %à 31 %sur la période. Les structures de moyenne et grande taille sont largement favorisées par ce dispositif, les exploitations relevant de l’agriculture familiale ne recevant que 15 %des montants prêtés, alors qu’elles représentent 85 %des exploitations brésiliennes et près de 40 %de la valeur de la production agricole.

Ce système de soutien est par ailleurs très peu coûteux : on estime en effet que la dépense nette [19] des pouvoirs publics relative à ce programme n’a pas dépassé 320 millions d’euros en 2010. Une somme à laquelle il convient toutefois d’ajouter un montant au moins équivalent lié à l’annulation par le gouvernement des crédits majoritairement contractés par les éleveurs il y a plus de vingt ans, au cours d’une période de forte instabilité économique (OMC, 2010).

Le niveau de soutien global (protection aux frontières et bonifications d’intérêt inclus) aux exploitations avicoles, porcines et bovins-viande brésiliennes, estimé à partir de la méthode ESP [20] de l’OCDE [21], reste nettement inférieur aux niveaux européens, surtout pour le secteur bovins-viande.

Les industries des viandes bénéficient d’un régime similaire de prêts à taux bonifiés, piloté par la BNDES.

e. Des réglementations sanitaires « à la carte », qui tendent cependant à évoluer

Au-delà des éléments liés à la compétitivité prix précédemment évoqués, la réglementation sanitaire est un enjeu majeur de la compétitivité hors prix des filières animales brésiliennes. En effet, le gigantisme du Brésil et le climat tropical qui prédomine dans la majorité des régions favorisent la persistance des maladies qui limitent l’accès des viandes brésiliennes à plusieurs marchés rémunérateurs mais exigeants, tels que la Russie, le Japon, la Corée du Sud et les États-Unis pour les viandes bovines et porcines non transformées. Mais les efforts des pouvoirs publics en la matière (régulation du transit des animaux par lots, campagnes de vaccination, multiplication des centres vétérinaires de proximité, etc.) ont incité l’OIE [22] à reconnaître la majeure partie du territoire brésilien (et surtout les principales zones d’élevage) comme indemne de fièvre aphteuse avec vaccination (MAPA, 2008). Pour les éleveurs, la vaccination obligatoire est une contrainte toute relative grâce au bas prix des traitements (absence d’intervention d’un vétérinaire dans la majorité des cas). Le Santa Catarina, grâce à un gouvernement d’État particulièrement volontariste (restrictions drastiques sur les mouvements d’animaux, contrôles nombreux, etc.) et, il est vrai, certains avantages climatiques, est même reconnu indemne de fièvre aphteuse sans vaccination (ainsi que de peste porcine).

À l’exception du contrôle des maladies, particulièrement stratégique pour l’ouverture des marchés à l’export, les filières brésiliennes se reposent le plus souvent sur des cahiers des charges privés ou spécifiques à certaines destinations. Par exemple, les cahiers des charges des importateurs européens en volailles proscrivent souvent l’utilisation de farines animales et d’antibiotiques comme facteurs de croissance, alors qu’elle est autorisée en élevage de monogastriques au Brésil [23]. De même, la législation fédérale concernant le bien-être animal en exploitation et au cours du transport est quasi-inexistante, et seules les filières certifiées (pour l’export de volailles vers l’UE par exemple) doivent répondre à des critères spécifiques. De la même manière, le dispositif de traçabilité individuelle des bovins (SISBOV) fonctionne sur une base volontaire uniquement pour les animaux destinés à l’export vers l’Union européenne et le Chili. Enfin, le système de contrôle des abattoirs fonctionne à plusieurs vitesses, avec un service de contrôle spécifique aux abattoirs désireux de vendre leur production sur les marchés les plus rémunérateurs (export, zones urbaines côtières), un service de contrôle moins exigeant pour les outils de portée régionale, et une production qui échappe à tout contrôle pour les marchés locaux les moins rémunérateurs.

Le maintien de plusieurs circuits aux contraintes sanitaires différentes permet ainsi aux filières brésiliennes de respecter les impératifs des importateurs les plus exigeants, comme l’UE pour la volaille et la viande bovine, mais aussi de limiter leurs coûts pour abonder des marchés beaucoup moins regardants, tels que les franges les moins favorisées de la population brésilienne, le Moyen-Orient, Hong Kong, l’Angola ou encore le Venezuela.

Cependant, les limites de ce système peuvent être illustrées au regard des problèmes liés à l’alimentation animale. La législation brésilienne sur le sujet est en effet plus flexible que la réglementation européenne : par exemple, les farines animales représentent près de 6 %des matières premières pour la fabrication d’aliments composés pour porcs et volailles de chair au Brésil (Sindiraçãoes, 2006). En outre, il n’existe aucun contrôle officiel de cannibalisme. Les éleveurs brésiliens peuvent par ailleurs recourir à des antimicrobiens comme activateurs de croissance, dont l’utilisation à cette fin est interdite en UE. L’exemple de la ractopamine pour la filière porcine du Santa Catarina montre cependant qu’il est très complexe de stimuler la création d’une filière au sein de laquelle il est assuré que des produits précis n’ont jamais été administrés aux animaux. Pour cette raison, l’UE n’a pas encore agréé d’abattoir porcin dans cet État, pourtant reconnu indemne de fièvre aphteuse et de peste porcine sans pratique de vaccination.

Enfin, les niveaux d’administration des médicaments sont peu contrôlés, comme l’ont montré les résidus d’ivermectine (vermifuge) retrouvés dans de nombreux lots de viande bovine cuite expédiés vers l’UE, les États-Unis et la Russie. Ces scandales ont considérablement réduit les exportations brésiliennes pour ce type de produit.

À l’image de la prise de conscience publique relative aux problèmes de déforestation, les pressions exercées par les importateurs et les consommateurs brésiliens ont depuis lors incité les pouvoirs publics à durcir la législation portant sur l’alimentation et la médecine animales : la tenue de registres de médicaments dans les exploitations pourrait devenir obligatoire, de même que la vente sur ordonnance des antiparasitaires, hormones et antimicrobiens.

f. Les variations du taux de change, un élément fondamental de compétitivité à l’exportation

La dépréciation du réal du début de la décennie a largement contribué à l’essor des viandes brésiliennes sur le marché mondial. Toutefois, la lutte contre l’inflation étant un objectif politique majeur au Brésil, la monnaie s’est progressivement réappréciée depuis 2003. En outre, le développement prochain des exportations brésiliennes de pétrole, suite à la découverte d’importants gisements au large de la côte Atlantique (bassins de Campos et de Santos), devrait contribuer à l’appréciation du réal, et ainsi à une perte générale de compétitivité du Brésil sur le marché mondial.

3. Des filières aux modes d’organisation hétérogènes, mais toujours plus concentrées

a. Variété des modes d’organisation des filières

En production avicole, les formes de coordination verticale ont poussé tous les éleveurs à passer des contrats de production, soit avec des firmes privées ou avec des coopératives.

Si le principe et le contenu des contrats sont peu différents entre les régions Sud et Centre-Ouest (fourniture par l’entreprise intégratrice d’intrants aux éleveurs : poussins, aliment, etc., l’éleveur restant propriétaire de ses bâtiments), la performance économique du système d’intégration est cependant plus faible dans le Sud, en raison de coûts de transaction plus élevés (plus grand nombre d’éleveurs, taille et technicité plus hétérogènes). Ainsi, une union coopérative du Sud travaillant avec 1 800 éleveurs sous contrat abattait 2,5 millions de poulets par semaine en 2006. Dans le Centre-Ouest, un abattoir de Brasil Foods, pour une production hebdomadaire équivalente, ne contractualisait en 2012 qu’avec 110 éleveurs.

À l’inverse, en production bovine, il existe très peu d’engagements écrits, et l’essentiel des transactions sont de type « spot », ou à terme sur une période dépassant rarement trois mois, sans engagement de durée dans la relation commerciale entre vendeur et acheteur. Ce modèle a été conservé lors de l’émergence de grands groupes pourtant très organisés, grâce à la coexistence des filières bovines aux exigences hétérogènes. En effet, tous les abattoirs des grands groupes sont agréés par le Service d’inspection fédéral. Ils peuvent donc commercialiser leurs produits sur tout le territoire brésilien et à l’export. Forts de ces modes de valorisation, ils rémunèrent mieux les animaux que les abattoirs livrant le marché local. Ainsi, ils savent attirer les grandes structures d’élevage (de 100 à plusieurs milliers d’hectares) capables de répondre à leurs exigences logistiques (approvisionnement en lots afin de diminuer les coûts de transaction), qualitatives et environnementales. Parallèlement à cette filière exportatrice qui draine environ 60 %de la production, on distingue deux filières qui absorbent des animaux plus hétérogènes, issus d’élevages de taille inférieure : d’une part, une filière soumise à des contrôles sanitaires moins exigeants (15 %de la production), qui est contrainte à commercialiser ses produits sur le marché local, et d’autre part une filière officieuse exempte de tout contrôle (25 %de la production [24]), qui rencontre cependant des difficultés pour la commercialisation des marchandises.

Enfin, il existe également deux types de filière en production porcine. D’une part, 40 %de la production nationale (estimations d’après données ABIPECS et EMBRAPA) seraient réalisés par des élevages dits « indépendants », souvent naisseurs-engraisseurs. Ceux-ci vendent leur production sur le marché spot à des abatteurs locaux. La viande issue de ce circuit est en grande partie vendue fraîche et non transformée, pour un accès limité au marché de la consommation locale ou régionale. Cette filière est particulièrement implantée dans le Sud-Est du pays, à proximité des principaux centres urbains. La conjoncture défavorable en 2012 devrait affecter en premier lieu ces éleveurs « indépendants », soumis plus fortement à la volatilité des prix que les éleveurs sous contrat, et dont le nombre ne cesse de diminuer depuis quelques années.

D’autre part, un second type de filière porcine est organisé et intégralement contrôlé par des industriels privés ou coopératifs (fourniture d’intrants aux éleveurs, abattage des animaux, fabrication de produits alimentaires élaborés). Ces produits, à plus forte valeur ajoutée que dans le premier type de filière, trouvent des débouchés nationaux et internationaux. Les entreprises sécurisent leur approvisionnement par des contrats avec les éleveurs. En 2010, 87 %des élevages du Sud et 69 %des élevages du Centre-Ouest produisaient sous contrat (contrats coopératifs ou contrats d’intégration). Cette proportion tend à croître en raison du dynamisme des entreprises de la filière et de la relative fragilité du modèle indépendant, plus exposé à la volatilité des marchés. Les contrats de commercialisation sont majoritaires chez les élevages naisseurs du Sud et du Centre-Ouest, alors que les élevages engraisseurs du Sud et du Centre-Ouest du Brésil opèrent en grande majorité sous contrat de production, d’une manière analogue aux aviculteurs (Miele & Waquil, 2007 et enquêtes sur place).

b. Une forte concentration en aval garante de la compétitivité et de la résilience du secteur export

À l’échelle internationale, les groupes brésiliens JBS, Brasil Foods et Marfrig occupent respectivement la première, la cinquième et la huitième place parmi les industriels du secteur des viandes [25] (FranceAgriMer, 2011). Largement promues et soutenues par le gouvernement, l’internationalisation et la diversification des activités des géants brésiliens leur permettent de minimiser l’impact des crises (incidents sanitaires, manque de disponibilités…) sur leur activité, en s’approvisionnant dans différents bassins de production et en proposant une offre multi-protéines. Les géants brésiliens de la viande bovine ont ainsi pu faire face à la baisse des disponibilités en bovins finis depuis 2009, alors qu’autour d’eux une partie importante du maillon de l’abattage-découpe s’est effondrée. Ce phénomène a de plus largement contribué à une nouvelle phase de concentration dans le secteur, en raison de la mise en vente d’outils souvent flambant neufs, appartenant à des entreprises aujourd’hui en faillite.

En outre, seules les viandes issues d’outils agréés par les services d’inspection fédérale peuvent transiter d’un État à un autre. Ces unités industrielles appartiennent généralement à de grands groupes, qui ont besoin de ce coûteux agrément [26] pour couvrir l’ensemble du marché intérieur et exporter. Pour chacune des viandes, les trois principaux opérateurs maîtrisent ainsi entre 40 et 55 %de la production brésilienne et plus de 70 %des exportations. Des taux qui ne cessent de croître, comme en 2012 avec la reprise en location gérance des outils de Doux Frangosul (volailles et porc) au Brésil par JBS qui a cependant refusé d’endosser la dette du groupe français, et le possible rachat d’Independencia (viande bovine) par JBS. De tels degrés de concentration économique confèrent à ces industriels un important pouvoir de marché, à l’export mais aussi dans les zones urbaines que la plupart des opérateurs de faible portée ne peuvent fournir, faute d’agrément sanitaire adéquat.

Cette concentration a d’importantes conséquences sur les filières des zones les plus enclavées du pays. Dans le secteur viande bovine, JBS et Marfrig se trouvent ainsi en situation de quasi-monopsone dans le Nord et certaines parties du Centre-Ouest, la seule alternative pour les éleveurs étant constituée de quelques débouchés de portée locale, où la valorisation des viandes reste très faible. En production de volailles, Brasil Foods et Marfrig se trouvent également souvent en situation de monopsone dans le Centre-Ouest, alors que la situation est beaucoup plus concurrentielle dans le Sud, où les éleveurs ont plusieurs partenaires intégrateurs possibles. Le CADE (organe de gestion de la concurrence dépendant du ministère de la justice) a ouvert en mai 2012 une enquête sur les récentes acquisitions d’abattoirs bovins par Marfrig et JBS, soupçonnés d’acheter ces outils uniquement dans le but de les fermer, et ainsi d’asseoir leur domination sur le secteur.

L’existence de grands groupes permet également de rationaliser les flux de viande sur le territoire, notamment en vue de leur exportation. Les abatteurs détiennent en outre une partie importante des outils de transformation, où affluent certains morceaux d’animaux abattus à travers le pays. Ainsi, une des plus grandes usines de transformation de viande bovine du pays, basée à Lins dans l’intérieur de l’État de São Paulo et détenue par JBS, s’approvisionne en morceaux désossés bas-de-gamme issus d’abattoirs du groupe situés dans tout le Brésil (JBS, 2011). La majorité de la production de cette usine est destinée au marché international, principalement aux États-Unis et à l’Union européenne.

La capacité d’abattage des outils brésiliens est un autre facteur de compétitivité. À titre d’exemple, l’abattoir de volailles de Brasil Foods à Rio Verde dans le Goiás (qui n’est probablement pas le plus gros outil brésilien) a abattu 2,7 millions de poulets/semaine en 2012, alors qu’en France seulement cinq outils abattent plus de 600 000 poulets/semaine et le plus important site d’abattage dédié à l’export pays tiers ne dépasse pas une capacité de 2,3 millions de poulets/semaine.

Dans le secteur bovin, la capacité des outils des trois premiers groupes s’échelonne entre 500 et 1 500 animaux/8 heures, soit jusqu’à 120 000 tec par an. À titre de comparaison, la capacité moyenne des abattoirs spécialisés gros bovins en France ne dépasse pas 30 000 tec/an.

Toutefois, les principaux abattoirs brésiliens de la filière porcine restent de taille comparable avec les plus grands outils français (soit environ 7 000 porcs par jour).

c. Les soutiens publics, moteurs de la concentration de l’industrie [27]

Le gouvernement, via sa banque publique d’investissement, s’attache à soutenir les industries des viandes, et a été accusé au Brésil de favoriser la très grande concentration du secteur des abattoirs via le programme de soutien à la prise de participation de la BNDES (BNDES-Par) et l’approbation des acquisitions par le CADE.

De 2008 à 2011, la BNDES a en effet versé plus de 11 milliards de réais (4,5 milliards d’euros) aux seuls Marfrig et JBS [28] sous forme de crédits et d’achat d’obligations, soit plus du quart des déboursements destinés aux industries alimentaires au cours de la période (données BNDES Transparente). Parmi ces dépenses, les très avantageuses opérations de capital ont été privilégiées :

Image retirée. en 2009, la BNDES a déboursé auprès de JBS l’équivalent de 2 milliards de réais sous forme d’obligations à conversion obligatoire au titre du soutien à l’ouverture du capital de JBS USA prévue en 2010. JBS n’ayant pas rempli ses engagements, l’entreprise a dû s’acquitter d’une amende de près de 500 millions de réais auprès de la BNDES, mais les obligations ont tout de même été converties en actions.

Image retirée. la BNDES a acheté les mêmes produits financiers auprès de Marfrig, à hauteur de 2,5 milliards de réais en 2010, au titre du soutien à l’acquisition de la société étasunienne Keystone LLC. Ces obligations n’ont pas encore été converties en actions.

Image retirée. Brasil Foods, qui a procédé à une augmentation de capital de 5 millions de réais après la fusion entre Perdigão et Sadia, a vendu 450 000 réais d’actions à la BNDES.

L’État brésilien, via la BNDES, détient désormais 30 %du capital de JBS et environ 14 %de Marfrig, mais aussi des parts du capital de plus petites structures, comme celui d’Independencia, aujourd’hui en liquidation judiciaire. Le fonds de pension de la banque publique Banco do Brasil détient en outre 14 %du capital de Brasil Foods.

Ces soutiens aux opérations de fusion-acquisition au Brésil mais surtout à l’international ont très largement favorisé l’émergence de géants mondiaux de la viande. En outre, la politique de crédits menée par la BNDES accélère la restructuration de l’aval du secteur viande au Brésil-même, d’une part en octroyant d’importants montants aux projets des grandes entreprises, et d’autre part en incitant les moyennes entreprises au surinvestissement (Beefpoint, 2011). Ainsi, les très avantageux programmes de crédit aux industries sont cités parmi les responsables des multiples faillites dans le secteur de l’abattage/découpe de bovins de 2008 à 2011. Par ailleurs, si les géants des viandes ont résisté à cette crise, l’endettement généré par leurs multiples opérations de croissance externe a largement entamé leur structure financière.

À ces politiques ciblées dont bénéficient en priorité les principales entreprises du secteur, il convient d’ajouter des exemptions de taxe massives sur les produits destinés à être exportés (De Negri et al., 2010).

d. Des stratégies focalisées sur la recherche de valeur ajoutée

La stratégie des opérateurs brésiliens bascule progressivement d’une production de masse destinée à alimenter les marchés intérieur et international vers la recherche croissante de valeur ajoutée. Si ce phénomène est plus progressif sur le marché national, les hauts taux de découpe et d’élaboration à l’export constituent déjà une des principales forces de l’industrie brésilienne. La diversification des produits passe en outre par une adaptation qualitative aux demandes exprimées par différents marchés, et n’aurait pas été possible sans un contrôle drastique exercé par les exportateurs sur leurs approvisionnements, et donc sans les formes actuelles d’organisation des filières (forte interaction amont/aval dans les secteurs viandes blanches, possibilité de sélection des approvisionnements dans le secteur viande bovine).

Dans le secteur avicole, les expéditions de poulets entiers ne représentaient plus que 38 %des exportations brésiliennes en 2011 (données UBABEF). Les exportations de découpes de poulet et de produits transformés se sont fortement développées sur la décennie (+ 16 %par an en moyenne). Il s’agit essentiellement de découpes « nobles » à forte valeur ajoutée (filets de poulet vers l’Europe, cuisses désossées pour le Japon). Cette stratégie d’adaptation de l’offre brésilienne à des demandes spécifiques de leurs clients permet au Brésil d’être non seulement le 1er exportateur mondial en volume juste devant les États-Unis, mais surtout le leader mondial incontesté en valeur. À l’inverse, l’UE exporte principalement des poulets entiers et des découpes constituées de sous-produits de faible valeur.

En viande porcine, la nature des exports a également évolué vers des produits plus élaborés, répondant mieux à la demande des transformateurs de viande en particulier. Ainsi, de 2005 à 2011, la part des carcasses dans le volume des exportations est passée de 23 %à 6 % , tandis que celle des pièces a légèrement progressé, de 57 %à 65 %(données ABIPECS). Les abats ont également fortement augmenté, de 3 %à 10 % . Sur le marché national, les produits de charcuterie-salaison représentent l’essentiel de la consommation, mais ils apparaissent de faible qualité aux yeux d’observateurs français. Les abattoirs souhaitent développer la part de la viande fraîche, actuellement très limitée.

En viande bovine, ce phénomène est amplifié par l’interdit pesant sur la plupart des exportations de viandes avec os et d’animaux vifs (fièvre aphteuse) : en 2011, alors que la part du désossé dans les exportations [29] ne dépassait pas 23 %en UE, elle atteignait 93 %au Brésil (données Eurostat et MDIC). La contrainte du désossage systématique des viandes bovines est aujourd’hui devenue une force : en multipliant leurs destinations à l’export et en s’appuyant sur un large réseau d’approvisionnement, les opérateurs disposent désormais de débouchés parfaitement complémentaires, permettant d’optimiser leur gestion de l’équilibre carcasse et d’accroître la valeur ajoutée de leur activité.

4. Perspectives : les exportations brésiliennes vouées à croître

a. Un marché intérieur dynamique et de plus en plus qualitatif

Outre la forte croissance de la consommation de viande à l’échelle mondiale, l’accroissement de la production est et sera également stimulé par la hausse de la demande nationale. Sur la période 2000-2010, le PIB [30] par habitant a en effet grimpé de 45 % , permettant à des couches entières de la population de sortir de la pauvreté.

Cette situation est illustrée par les travaux de la Fondation Getulio Vargas, qui distingue 4 types de groupes en fonction des revenus : les classes supérieures (A et B), les classes moyennes (C), les classes moyennes-inférieures (D), et les populations défavorisées (E). Elles sont calculées selon des catégories de revenus qui sont révisées chaque année en fonction de divers facteurs (salaire minimum fédéral, inflation, ...). L’évolution des classes sociales s’est subitement accélérée au cours de la seconde moitié de la décennie 2000 : alors que moins de 50 %des Brésiliens faisaient partie des classes moyennes et supérieures en 2004, ce chiffre s’est hissé à 61 %en 2009, pourtant en pleine crise économique (cf. figure 4) ! Dans le même temps, plus de 10 millions de personnes sont sorties de la pauvreté (classe E).

Et dans un pays où une bonne partie des revenus supplémentaires des classes les plus défavorisées est traditionnellement consacrée à l’achat de protéines animales, la consommation de viandes a progressé de 30 %en 10 ans, tandis que la population n’a augmenté que de 15 % . Cependant, le tarissement des disponibilités en viande bovine à partir de 2006 a fortement limité la consommation nationale, qui n’a progressé que de 5 %de 2001 à 2011, moins vite que la population. À l’inverse, les filières viandes blanches ont été soutenues par une production dynamique et la consommation brésilienne de volaille a bondi de 70 %en dix ans, tandis que la consommation de viande porcine augmentait de 12 % .

La part dans les achats des ménages des produits peu onéreux et/ou de faible valeur ajoutée reste globalement forte pour les trois viandes. Par exemple, la consommation brésilienne de viandes bovines non transformées issues du quartier avant, qui regroupe les morceaux de moindre qualité, est largement supérieure aux standards français. De même, en 2011, le marché intérieur brésilien du poulet était encore constitué à plus de 50 %de carcasses entières (congelées à 90 % ), tandis que la part du poulet entier (très souvent frais) dans les achats des ménages français ne dépassait pas 32 % . Enfin, en porc, la consommation comprend essentiellement des produits de charcuterie-salaison. La demande de viande porcine fraîche pourrait se développer, à condition de changer son image.

Selon l’enquête de l’IBGE portant sur les achats des ménages (2008), la consommation de viandes bovines et porcines, en valeur, est fortement corrélée aux revenus. À l’inverse, la demande en volailles ne semble pas être impactée (cf. figure 5).

L’appétit des Brésiliens en viandes conserve des marges de progression. Elles semblent plus minces en volailles qu’en viandes bovine et porcine, que l’amélioration des revenus devrait favoriser. Le retour à des niveaux élevés de disponibilités est un autre facteur favorable à la satisfaction du marché intérieur de la viande bovine. Dans les trois filières, la demande devrait en outre se rapprocher du modèle de consommation européen : augmentation de la demande en pièces nobles des arrières de bovins, progression du niveau d’élaboration en volailles et porc (découpes et produits transformés cuits).

b. Les exportations des filières viandes blanches maintiennent leur orientation haussière

Le potentiel de production de volailles et de viande porcine demeure important compte tenu d’atouts indéniables avec des coûts de production de 25 %à 30 %inférieurs aux coûts assumés par les éleveurs français [faibles coûts des facteurs de production (maïs, soja, main-d’œuvre), capacité à innover, bonne technicité], une structuration des filières autour d’acteurs majeurs au plan mondial et des soutiens de la filière par les pouvoirs publics. En moyenne sur les cinq dernières années, les coûts de production dans les exploitations porcines et avicoles du Sud du Brésil sont ainsi 25 à 30 %inférieurs aux coûts assumés par les éleveurs français.

Cependant, la compétitivité de ces filières – tout comme pour la filière bovin viande – au niveau international pourrait être limitée par la poursuite de l’appréciation du real brésilien et par le renchérissement des coûts de main-d’œuvre. On constate aussi une convergence des coûts de l’alimentation entre le Brésil et l’Europe, le sud du pays étant par ailleurs plus exposé à la volatilité des cours mondiaux que le Centre-Ouest. Enfin, l’entrée en vigueur de nouvelles réglementations environnementales ou sanitaires devrait à moyen terme générer de nouvelles contraintes et de nouveaux coûts. En production porcine, certaines zones du sud du pays ont atteint la limite de densité supportable par le milieu. Les contrôles environnementaux se sont durcis (émergence de la problématique du traitement des déjections) et une augmentation de la production n’y est plus possible.

Aujourd’hui les avantages comparatifs du Centre-Ouest apparaissent moins décisifs qu’il y a quelques années. Les outils d’abattage de cette région arrivent à saturation et les industriels, manquant de visibilité, diffèrent leurs décisions d’un éventuel accroissement de leur capacité de production. En effet, certains handicaps demeurent, parmi lesquels le manque de main-d’œuvre qualifiée et la pénurie en infrastructures de transport. Cependant, à l’avenir, ce dernier frein pourrait être levé si des investissements publics importants étaient réalisés dans ce domaine. La culture de canne à sucre est également évoquée comme une concurrente susceptible de capter les investissements aux dépens des filières viandes blanches.

Conséquences sur les exportations de volailles

Du fait de l’ensemble de ces facteurs, nous anticipons une poursuite du ralentissement de l’accroissement de la demande tant à l’export que sur le marché intérieur brésilien et tablons sur une croissance moyenne (en volume) à 5 ans de 4 %par an à l’export et de 2 %pour la consommation intérieure.

Bien que la croissance de la demande mondiale reste soutenue, des incertitudes pèsent quant à l’évolution des barrières tarifaires et non tarifaires : les États-Unis conduiraient actuellement une analyse de risques sur d’éventuels achats de volailles brésiliennes, la possibilité d’un accord croisé prévoyant des contingents d’export de cuisses de poulets américains et de filets brésiliens étant évoquée. Le retour des produits crus de volailles thaïlandais sur le marché international au lendemain de l’épisode de grippe A en Asie du Sud-Est pourrait par ailleurs gêner les exportateurs brésiliens, notamment sur les marchés européen et japonais. En outre, la fermeture progressive du marché russe paraît inéluctable. Enfin, il semble surtout que la stratégie des exportateurs brésiliens soit de plus en plus axée sur la recherche de valeur ajoutée, plutôt que sur une croissance des volumes. Dans ce contexte, le marché européen demeure très attractif pour l’industrie de la volaille brésilienne, même si la diversification des débouchés est également une stratégie affichée. La conclusion d’un accord UE-Mercosur susceptible d’augmenter les volumes importés à droits réduits par l’Union européenne reste un enjeu important pour le secteur volailles au Brésil.

En outre, sur le marché intérieur, le niveau de consommation individuelle déjà très élevé (plus de 44 kg/personne) nous rend également prudents quant aux perspectives de croissance, d’autant que l’augmentation du niveau de vie devrait favoriser la consommation de viande bovine.

Au final la production brésilienne de poulet augmenterait de 3 %en moyenne sur la période 2011-2016 pour atteindre près de 15 millions de tonnes (MT) en 2016 (cf. figure 10).

Conséquences sur les exportations de viande porcine

En comparaison avec la filière volaille, le développement des exportations de porc depuis les années 1990 n’a été que très modeste, très en deçà des prévisions des opérateurs brésiliens. Les questions de compétitivité-prix sont secondaires car ce sont avant tout des raisons sanitaires qui ont fait obstacle aux exportations brésiliennes. L’accès aux marchés rémunérateurs européen et sud-coréen est resté jusqu’à présent bloqué en raison de la prévalence de fièvre aphteuse au Brésil.

L’évolution du Brésil quant aux problématiques sanitaires sera déterminante à l’avenir : le Santa Catarina fait valoir son statut sanitaire libre de fièvre aphteuse sans vaccination et de peste porcine afin d’ouvrir de nouveaux marchés, comme en témoignent les accords sanitaires signés avec les États-Unis et la Chine, et l’ouverture du marché japonais prévu pour 2013. L’envoi de viandes reste cependant conditionné aux habilitations des abattoirs par les autorités sanitaires des pays importateurs, qui sont octroyées au compte-goutte. La Russie a instauré quant à elle un embargo étendu sur les viandes porcines brésiliennes en juin 2011 (un seul abattoir était autorisé à l’exportation jusqu’à début 2012). En novembre 2012, le ministère brésilien de l’agriculture a annoncé la suspension de l’embargo pour les viandes originaires du Mato Grosso, Paraná et Rio Grande do Sul. Mais la reprise des exportations de ces trois États est encore conditionnée à un agrément spécifique des établissements et la garantie de l’absence d’hormones de croissance (ractopamine) dans les viandes.

L’absence de filière porcine certifiée sans ractopamine empêche toujours toute exportation vers l’UE. En août 2012, la Commission européenne a en effet fait savoir qu’elle continuera d’interdire les importations de viande (porcines et bovines) susceptibles de contenir des résidus de ractopamine. Et ce malgré la décision de la Commission du Codex alimentarius visant à créer une Limite Maximale de Résidus (LMR) pour ce produit dans les viandes et ainsi à rendre caduques les interdictions d’administration et d’importation de viandes susceptibles de contenir des résidus de ractopamine en deçà de la LMR.

Outre les barrières non tarifaires, vers l’Argentine, troisième partenaire du Brésil, les exportations ont été pénalisées par des barrières commerciales à l’exportation (restrictions administratives) en janvier puis à nouveau en octobre 2012. Les ventes porcines au pays voisin ont baissé de 44 %sur la période janvier-octobre 2012 par rapport à l’année précédente.

Cependant, la question des disponibilités à l’exportation reste posée. D’une part, les possibilités d’expansion de la production sont freinées, au Sud par la montée des contraintes environnementales (même si certaines parties de la zone ne sont pas encore touchées), et dans le Centre-Ouest par l’éloignement. La faible rentabilité de l’activité pourrait en outre limiter la production à moyen terme.

En effet, en 2011, tirés par la demande asiatique, les expéditions et les prix à la production chez les principaux exportateurs mondiaux de viande porcine (UE, Amérique du Nord) ont connu une hausse significative. Au Brésil, a contrario, les exportations et les prix ont stagné en raison des contraintes sanitaires à l’export (embargo vers la Russie), situation qui a empiré au premier semestre 2012 (restrictions sur la Russie et l’Argentine). Face à la montée des coûts de production (en particulier suite à l’envolée des prix du soja et du maïs à la mi-2012), et au niveau insuffisant du prix du porc, de nombreux producteurs ont accusé en 2011 et 2012 des pertes importantes. En réponse à cette situation, le gouvernement brésilien a annoncé en juillet 2012 des aides exceptionnelles au secteur porcin (refinancement des prêts, subventions pour l’achat de maïs…), qui devraient limiter l’impact de la crise sur les niveaux de production à l’échelle nationale, mais pas sur la réorganisation de la filière.

Compte tenu de ces éléments, en 2017, la production ne dépasserait pas 3,8 millions de tonnes, soit un taux de croissance annuel de seulement 2 %(cf. figure 11).

c. Vers un rebond modéré des exportations de viande bovine

Les systèmes de production allaitants restent quant à eux majoritairement extensifs et requièrent peu d’investissement et de travail ; avec des coûts de production dans ces élevages inférieurs de moitié environ aux coûts français.

Dans ces conditions, la multiplication par près de deux du prix à la production de 2007 à 2011 (données CEPEA/ESALQ) relève d’un déséquilibre offre/demande plutôt que de la hausse des coûts de production. Tirés par l’augmentation du coût de la main-d’œuvre, du foncier et des équipements, ceux-ci ont progressé dans des proportions beaucoup plus limitées (+ 40 à 50 %en euros de 2007 à 2010). Ainsi, lors du rebond de l’offre prévu pour 2013-2014, en fonction de la tension qui prévaudra sur le marché international, les prix brésiliens pourraient redescendre bien en dessous des niveaux record de 2011 (6,75 réal/kg carcasse à São Paulo, l’équivalent de 2,90 €) sans toutefois retomber aux très bas niveaux de la période 2000 à mi-2007 (3,4 réal/kg carcasse, soit 1,25 €/kg).

Par ailleurs, la concentration économique et industrielle du secteur s’accélère depuis 2008, les opérateurs moyens ayant été déstabilisés par le manque de disponibilités en animaux et le surinvestissement, alors que les géants du secteur se sont redéployés sur tout le territoire. Tout comme pour les autres filières, le jeu des taux de change pourrait néanmoins limiter la compétitivité du bœuf brésilien sur les marchés internationaux.

La recapitalisation atteindra son plein effet dès 2014 : selon nos estimations, la production atteindrait alors 9,6 millions de tec, soit 12 %de plus qu’en 2011. À plus long terme, le renforcement des contrôles environnementaux et la concurrence exercée par les cultures favoriseront le déclin des surfaces herbagères. L’intensification de l’exploitation des pâturages prônée par les professionnels de la filière reste par ailleurs limitée par les difficultés structurelles d’accès au crédit dans les régions enclavées, le manque de conseil technique, le coût des mesures visant à protéger la forêt amazonienne et le coût d’opportunité du capital investi, qui serait beaucoup mieux rémunéré par les spéculations végétales. Le développement des infrastructures contribuerait en outre à accroître la pression foncière. Ainsi, en 2017, la production brésilienne de viande bovine ne dépasserait pas 10 millions de tec, soit seulement 3,5 %de plus qu’en 2014 (cf. figure 12). Il est toutefois important de noter que la filière brésilienne reste très sensible aux incidents climatiques, qui pourraient à nouveau déclencher une liquidation du cheptel et une hausse spectaculaire (mais ponctuelle) de la production.

La progression des exportations de viande bovine sera d’autant plus limitée que la consommation brésilienne répond à la redistribution des revenus qui s’est accélérée depuis quelques années. À l’horizon 2017, les exportations atteindraient 1,7 million de tec, un niveau toujours inférieur de 23 %à celui de 2007. La demande intérieure s’oriente en outre vers les muscles nobles de l’arrière, laissant une plus grande part des morceaux issus du quartier avant aux marchés export, et notamment au Moyen-Orient, à l’Afrique du Nord, à la Russie et à l’Asie du Sud-Est.

d. Perspectives d’exportation vers l’Union européenne et conséquences d’un éventuel accord de libre-échange UE-MERCOSUR

La majorité des importations européennes de viandes se fait dans le cadre de contingents à droits de douane réduits. Si les contingents alloués à la viande porcine (toutes origines confondues) sont loin d’être intégralement remplis en raison de la problématique liée à l’utilisation de ractopamine (cf. supra), ils sont à l’inverse quasiment tous saturés dans les secteurs avicole et bovin. Dans les conditions de prix de l’été 2012 et avec le niveau actuel des droits de douane, les exportations brésiliennes de viandes vers l’Union européenne ne sont compétitives que dans le cadre de ces contingents à droits réduits (cas de la volaille et du porc) ou du moins fortement limitées par les droits de douane applicables hors quota (cas de la viande bovine).

Relancées depuis mai 2010, les négociations bilatérales entre l’Union européenne et le Mercosur pourraient déboucher sur un Accord de Libre-Échange (ALE) à fort impact pour les filières viandes. Si dans le cadre de ces négociations bilatérales, il n’est pas question jusqu’alors d’une baisse des droits de douane générale pour les secteurs bovin, porcin et avicole, à l’inverse de ce qui est négocié à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les propositions des deux parties suggèrent la création de nouveaux contingents européens à droits de douane réduits voire nuls au bénéfice des pays membres du Mercosur.

Dans le secteur porcin, un éventuel accord de libre-échange ne devrait pas avoir de conséquences à court terme. En effet, les exportations vers l’Union européenne sont principalement entravées par le problème des résidus de ractopamine dans les viandes : l’UE exige toujours la création d’une filière porcine sans ractopamine, ce qui requiert des procédures de contrôle lourdes, et les surcoûts impliqués posent la question de la rentabilité potentielle de la filière sans cet additif. Mais la décision récente du Codex alimentarius (cf. partie 4b) pourrait, à plus long terme, donner aux pouvoirs publics brésiliens les outils pour contester la décision européenne à l’OMC. Dans le secteur viande bovine, l’utilisation de cet additif et du zilpatérol est autorisée dans les feedlots depuis 2012. Le gouvernement brésilien affirme cependant que ces produits ne seront mis en circulation qu’après approbation, par les autorités brésiliennes et européennes, d’un plan de ségrégation entre une filière certifiée sans additif et une filière conventionnelle. Si cette promesse n’était pas respectée, les autorités européennes pourraient se réserver le pouvoir de proscrire les importations de bœuf brésilien… tout en prenant le risque d’un éventuel contentieux à l’OMC.

S’il respecte ses engagements sur le plan sanitaire, le Brésil, qui a fourni plus de 70 %des volumes de volailles et 40 %des volumes de viande bovine importées par l’UE en 2011 (données Eurostat), serait le principal bénéficiaire du volet « viandes » d’un éventuel accord UE-Mercosur, d’autant plus que les perspectives d’augmentation de la production brésilienne à court terme écartent l’éventualité d’un déficit d’offre. En outre, l’objectif de diversification des destinations affiché par les opérateurs brésiliens ne semble pas être un frein au développement de leurs exportations vers l’UE. En effet, les prix pratiqués en Europe sont parmi les plus élevés au monde, et les contingents européens à droits réduits sont les débouchés les plus rémunérateurs pour les viandes nobles (filets de poulet désossés, découpes d’arrières de bovins...).

Dans le secteur avicole, la saturation actuelle des contingents expliquerait ainsi au moins en partie la stabilité (voire le repli récent) des exportations brésiliennes vers l’Europe. Celles-ci devraient rester très majoritairement encadrées par ces contingents.

En viande bovine [31] le renforcement des contraintes sanitaires imposées par l’UE (accréditation des exploitations, renforcement du système de traçabilité) avait fait lourdement chuter les exportations brésiliennes vers l’Europe. Très peu d’éleveurs ont accepté de se plier à ces nouvelles mises aux normes jugées très coûteuses, d’autant que l’envoi de viandes vers l’UE à droits pleins est peu rémunérateur. Cependant, la baisse attendue des prix brésiliens suite au renforcement de l’offre pourrait rétablir la rentabilité de la mise aux normes imposée par l’UE. Et ainsi rétablir, au moins temporairement, des courants d’exportation à droits pleins vers l’UE sauf si les exigences particulières en termes d’alimentation animale (ractopamine) viennent faire obstacle à l’entrée de marchandises en Europe. Les contingents européens à droits de douane réduits offrent néanmoins une bien meilleure valorisation pour ce type de pièces. Ainsi, ce serait surtout un éventuel élargissement de ces contingents tarifaires qui serait susceptible d’entraîner un retour durable de flux massifs de bœuf brésilien sur le marché européen. Le développement de la connexion entre marché brésilien et européen de la viande bovine déclencherait en outre un accroissement de la dépendance des prix européens aux aléas climatiques en Amérique du Sud.

Conclusion

La croissance des exportations brésiliennes continuera au cours des prochaines années, bien qu’à un rythme inférieur à celui de la décennie 2000. En effet, en dépit de l’augmentation prévisible des coûts de production (main-d’œuvre, alimentation animale, effets liés au taux de change), les secteurs brésiliens des viandes conservent d’importantes marges de « compétitivité-prix » par rapport à leurs homologues européens. Enfin, grâce à la poursuite de la concentration en aval et à des modes d’organisation performants, la « compétitivité hors-prix » des filières brésiliennes devrait continuer à leur assurer une place de choix sur les marchés mondiaux.

Les barrières tarifaires et non-tarifaires érigées par les importateurs constituent cependant un frein important à la croissance des filières brésiliennes, dont l’évolution sera déterminante du positionnement du Brésil en matière d’exportations. Plus précisément, alors que le secteur porcin reste soumis à un embargo sanitaire, les exportations de volailles et de viande bovine vers l’Union européenne sont actuellement limitées par un régime tarifaire strict. Celui-ci diminue l’attractivité du marché européen, qui figure pourtant parmi les plus rémunérateurs au monde. La conclusion d’un accord UE-Mercosur déclencherait ainsi une hausse des exportations brésiliennes de viandes vers l’Union européenne.

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[1] Données USDA, 2012.

[2] Données Eurostat, 2012..

[3] Voir Analyse CEP n° 42, avril 2012, La compétitivité des filières agroalimentaires : une notion relative aux déterminants multiples.

[4] Surface agricole utile.).

[5] Embrapa : Empresa Brasileira de Pesquisa Agrícola (Institut Brésilien de Recherche Agricole), institut public de recherche agricole, qui peut être comparé à l’INRA pour la France.

[6] Bureau d’étude adossé à l’Université de Wageningen (Pays-Bas).

[7]Associação Brasileira da Indústria Produtora e Exportadora de Carne Suína (Association brésilienne de l’industrie productrice et exportatrice de viande porcine).

[8]InterPIG est un groupe international d’experts de l’économie de la production porcine. InterPIG calcule et publie depuis 2002 les coûts de production moyens annuels du porc dans une quinzaine de pays européens et américains.

[9] CONAB : Companhia Nacional de Abastecimento (Compagnie Nationale d’Approvisionnement), est un établissement public dépendant du ministère de l’Agriculture brésilien. La CONAB est un instrument de régulation des marchés agricoles au Brésil, notamment par la formation de stocks publics. À ce titre la CONAB établit des statistiques de prix agricoles sur l’ensemble du territoire et calcule avec l’appui de l’Embrapa les coûts de production de nombreux produits agricoles.

[10]Centro de Estudos Avançados em Economia Aplicada, Centre d’études avancées en économie appliquée, qui dépend de l’ESALQ, la première université brésilienne d’agriculture basée à Piracicaba (État de São Paulo).

[11]Ministério do Desenvolvimento, Indústria e Comércio Exterior (Ministère brésilien du développement, de l’industrie et du commerce extérieur), en charge de la publication des données relatives au commerce extérieur.

[12] Production agréée par les services d’inspection fédérale, de l’État ou des municipalités. Ces données offrent une répartition géographique convenable des productions animales destinées à être commercialisées..

[13] Instituto Brasileiro de Geografia e Estatística (Institut brésilien de la Géographie et de la Statistique).

[14] État du Goiás, Est du Mato Grosso do Sul, zones précises du Mato Grosso à proximité directe des routes.

[15] Majorité de l’État du Mato Grosso notamment.

[16] Estimation 2008 à partir des salaires moyens recensés par l’INSEE en France et l’IBGE au Brésil, en y ajoutant les cotisations sociales calculées à partir des données de l’OCDE et de la législation française et brésilienne.

[17] Banco Nacional de Desenvolvimento Econômico e Social (Banque nationale de développement économique et social).

[18] Fonds spécifiques alloués par l’État central aux régions les moins favorisées en vue d’accélérer leur développement économique..

[19] Après remboursement des prêts. Il s’agit donc du coût lié au rabaissement des intérêts (dépenses du gouvernement en bonification d’intérêts). Cette estimation a été réalisée par les services économiques IDELE/IFIP/ITAVI à partir des données mises à disposition par Banco do Brasil, en comparant les taux d’intérêt des prêts accordés et le taux interbancaire SELIC auquel la banque emprunte. Bien entendu, seuls les mécanismes d’aide impliquant un réel déboursement d’argent par la Banque ont été comptés (hors mobilisation de l’épargne rurale, par exemple).

[20] Estimation du soutien à la production.

[21] Organisation de coopération et de développement économiques.

[22] Office International des Épizooties.

[23]Source : liste des additifs autorisés dans l’alimentation animale, disponible sur le site du MAPA : http://www.agricultura.gov.br/animal/alimentacao/aditivos/aditivos-autorizados

[24] Estimation élaborée après le recueil d’avis d’experts et de données convergents.

[25] En tonnages traités. En chiffre d’affaires, JBS, Brasil Foods et Marfrig se hissent respectivement au premier, quatrième et septième rang. Le premier opérateur français de ce classement, Bigard, occupe la onzième place.

[26]L’agrément par le Service d’Inspection Fédérale soumet les abattoirs à des contraintes supplémentaires en termes de process et d’hygiène.

[27] Les données présentées dans ce paragraphe sont issues des bases de données mises à disposition par Banco do Brasil et la BNDES.

[28] Y compris Bertin absorbé par JBS en 2009.

[29]Part des viandes désossées fraîches, réfrigérées, congelées et transformées dans les exportations brésiliennes de viande bovine et bovins vivants hors reproducteurs. NB : Au Brésil, le compensé n’existe pas.

[30] Produit intérieur brut.

[31]l’heure actuelle, seuls deux types de contingents européens à droits réduits sont accessibles aux viandes bovines brésiliennes. Pour les viandes fraîches, il s’agit du quota Hilton réservé au Brésil, d’une capacité de 10 000 tonnes, dont les conditions d’entrée ont été durcies par la Commission européenne en 2008. Face aux contraintes liées à la traçabilité et à l’alimentation des animaux depuis leur sevrage, seulement 25 %du quota ont été remplis en 2011-12. On estime qu’en 2012 moins de 10 %des viandes bovines fraîches exportées par le Brésil vers l’UE ont bénéficié de droits de douane réduits. Pour les viandes congelées, le Brésil a accès aux contingents GATT d’une capacité totale de 103 000 tonnes (hors sous-contingent réservé aux viandes destinées à la confection de préparations contenant d’autres produits, axé sur des découpes peu onéreuses que le Brésil réserve à d’autres marchés en croissance). Ces contingents sont totalement saturés, car soumis à la concurrence des autres exportateurs mondiaux.,