29 mars 2016 Publication

Les épandages de matières fertilisantes d’origine résiduaire

  • Bertrand Gaillot

Le CGAAER et le CGEDD ont été chargés d'une mission de prospective sur les modalités d’encadrement et de suivi réglementaire des épandages agricoles de matières organiques

© changeonsdagriculture.fr

Rapport de mission interministérielle de prospective n°14074 CGAAER - CGEDD

Mots clés : amendement, contaminant, épandage, fertilisation, Mafor (matières fertilisantes d’origine résiduaire), nitrates, phosphore, pollution

Enjeux

Les enjeux relatifs à la question des épandages sur les terres agricoles de matières fertilisantes d'origine résiduaire (Mafor) sont de plusieurs ordres.

En matière juridique, l’accumulation de textes réglementaires européens et nationaux concernant les épandages agricoles de matières organiques résiduaires conduit inévitablement à des incohérences, rend le droit applicable peu lisible et en limite l’efficacité.

Aux plans environnemental et sanitaire, les matières organiques résiduaires épandues sur les terres agricoles présentent des risques de pollution de l’eau, de l’air et des sols, du fait des contaminants biologiques (agents pathogènes) et chimiques (métaux lourds, composés traces organiques rémanents) qu’elles contiennent.

D'un point de vue agronomique, une fertilisation équilibrée et un amendement optimal des sols nécessitent une connaissance précise de la composition des matières épandues et de leur vitesse de transformation biochimique, celle-ci variant en fonction de nombreux paramètres (humidité, température, nature du sol, homogénéité de la matière brute épandue…).

Des enjeux d'ordre logistique, économique et d’aménagement des territoires sont également à l’œuvre. La quantité de matières à recycler sur les terres agricoles s'élève en France à plus de 40 millions de tonnes de matière sèche. Elles doivent être traitées puis stockées avant d'être épandues. L'épandage n’est pas réalisable en toute saison mais s’effectue en fonction de l'état de la végétation, de la présence d’animaux sur les pâtures ou de la portance des sols... De plus, les volumes produits sont loin d’être identiques d’une région à l’autre, de même que les surfaces de terres cultivées disponibles. S’agissant d’une économie circulaire, il importe que les circuits soient les plus courts possibles.

Enfin, sur le plan technique, la maîtrise des risques sanitaires et environnementaux, ainsi que celle du risque de non acceptabilité sociale (nuisance olfactive), passent par des étapes de traitement parfois complexes (déshydratation, méthanisation, compostage, hygiénisation, dénitrification...) ; de plus leur coût doit rester raisonnable.

Méthodologie

La mission, conduite conjointement par le CGEDD et le CGAAER, a rencontré plus de 160 interlocuteurs représentant les administrations centrales et les services déconcentrés de l’État concernés, les agences de l'eau, les organismes de recherche, le secteur agricole, les producteurs de matières fertilisantes d’origine résiduaire, les associations environnementales, ainsi que des experts.

Ces rencontres ont eu lieu à Paris et à l'occasion de déplacements dans les régions Auvergne, Bretagne, Nord Pas-de-Calais, Pays de la Loire et Picardie.

Le rapport résulte des constatations et des propositions recueillies lors de ces entretiens, de l’analyse de documents, en particulier une expertise scientifique collective sur la valorisation des matières fertilisantes d’origine résiduaire publiée en novembre 2014, ainsi que de rapports antérieurs relatifs aux épandages des déchets organiques provenant des installations classées pour la protection de l’environnement d’une part, et aux stations d’épuration, d’autre part.

Résumé

La mission a d'abord noté l'imprécision des connaissances sur les Mafor produites et sur leur valorisation par épandage, ainsi que l’hétérogénéité de la répartition de la production de Mafor entre les territoires, en particulier des effluents d’élevage. Elle souligne l’importance de bien connaître les caractéristiques des Mafor et des traitements subis, pour apprécier leur potentiel agronomique. Elle souligne également la nécessité de respecter des bonnes pratiques tout au long du processus de valorisation des Mafor jusqu’à leur épandage, afin de réduire les risques sanitaires et environnementaux. Elle indique que si les coûts liés à la valorisation par épandage sont très variables, ils restent globalement moins élevés pour les producteurs de déchets et sous-produits.

Ensuite, la mission a analysé le cadre réglementaire complexe et hétérogène des épandages selon le type de matières, à articuler avec d’autres réglementations notamment en matière de fertilisation. La réglementation des épandages dépend du statut juridique de la Mafor selon qu’elle est considérée comme un déchet, un sous-produit ou un produit. Elle dépend également du régime juridique applicable à l’installation qui la produit, régime qui peut dépendre de la législation sur les installations classées ou de la législation sur l’eau. Les services administratifs chargés de l’instruction et du contrôle des opérations liées à l’épandage sont alors différents. S’y ajoutent des exigences liées au milieu récepteur ou à certains composants de la Mafor, à l'instar du programme d’actions nitrates.

Les principales prescriptions à respecter tout au long du processus de valorisation agricole des Mafor ont été analysées : élaboration et modification des plans d’épandage, planification et suivi des épandages, encadrement des apports en fertilisants et en contaminants, réalisation des opérations d’épandage (distances d’exclusion, périodes d’interdiction, délais d’enfouissement).

Les entretiens avec les différents acteurs de la valorisation agricole des Mafor ont révélé des interrogations sur la pertinence de l’outil réglementaire des installations classées pour gérer les épandages et en particulier leurs aspects agronomiques. Si les dispositifs en place pour garantir la maîtrise de la contamination sont globalement considérés comme satisfaisants, il existe de vraies difficultés concernant la fertilisation azotée, en raison des interférences avec l’application de la directive nitrates. En général, la question des responsabilités respectives entre le producteur et l’utilisateur des Mafor est un point sensible.

Face à ces constats, la mission propose un nouveau cadre réglementaire qui reposerait sur un texte unique applicable à l’ensemble des Mafor.

Elle envisage deux scénarios pour le devenir des plans d’épandages.

Le premier scénario consisterait à supprimer le plan d’épandage à la parcelle dans la mesure où il n’est pas suffisant pour maîtriser les pollutions alors qu’il est contraignant et conduit à « geler » des surfaces qui ne peuvent plus accueillir d’autres Mafor.

Le second scénario porte sur un ensemble d’améliorations à apporter au dispositif des plans d’épandage (si le choix était fait de les conserver) en termes de clarification des responsabilités respectives des acteurs et d'harmonisation des mesures de gestion des Mafor tout au long de la chaîne de valorisation.

Pour ce qui concerne la fertilisation, la mission recommande :
- de prévoir l'encadrement de ce thème dans un texte unique ou des textes harmonisés,
- d’établir un cadrage national avec des adaptations territoriales pour prendre en compte le phosphore dans le dimensionnement des capacités d’épandage,
- de mettre à la charge de tous les producteurs la fourniture à l’agriculteur utilisateur d’analyses de la teneur des Mafor en éléments fertilisants,
- d’évaluer le dispositif de déclaration des flux d’azote, avant d’envisager une éventuelle extension à de nouvelles zones à forts enjeux.

Enfin, la mission présente des propositions sur les outils de gestion des épandages et sur les contrôles, avant de terminer par des suggestions de mesures pour accompagner et renforcer un dispositif rénové de gestion des épandages de Mafor (instances régionales de concertation multi-acteurs, dispositif d'animation technique, centre national de ressources).


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